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Qu’est-ce qui suscite plutôt le consensus dans les dispositifs européens ? Erasmus bien sûr, mais aussi l’ERC (CER en français) qui est un succès manifeste dans ce secteur si difficile à convaincre. Dans son discours prononcé en mai dernier à Stockholm, son président (français), Jean-Pierre Bourguignon, en livrait un bilan qui peut se lire à l’aune du système français. J‘ai évoqué dans un billet sa vision des raisons du retard européen en matière d’innovation : il dessine également en creux les évolutions possibles du système français de recherche. Notre pays sera-t-il capable de miser sur les jeunes chercheurs ?

La vision proposée est avant tout scientifique bien que les conséquences organisationnelles et institutionnelles puissent être considérables. Je ne ferai pas dire à Jean-Pierre Bourguignon ce qu’il n’a pas dit, mais on peut légitimement transposer ceci à la situation française.

Revenant sur la situation européenne, il remarque que la création, il y a plus de 30 ans, du programme-cadre de recherche et développement, visait à remédier “à la fragmentation et au manque de masse critique en Europe en mettant sur pied des projets de collaboration à grande échelle dans des domaines prioritaires.”

Les 3 faiblesses initiales du programme-cadre de recherche et développement

Quelles sont-elles selon Jean-Pierre Bourguignon ?

  1. Des types de financements qui ne s’attaquaient pas aux faiblesses structurelles du système de recherche en raison d’“un caractère quelque peu artificiel” et la création d’un environnement “propice à la clientèle”.
  2. Une politique descendante avec une “lourdeur bureaucratique” et une “importance excessive accordée aux résultats escomptés au moment de la soumission”.
  3. Une intensité de la concurrence limitée, la politique européenne de recherche se basant “largement” sur des réseaux et des coalitions d’institutions et d’équipes.

Résultat : nombre des meilleurs scientifiques s’en sont détournés, ce qui a conduit “la communauté scientifique européenne à lancer une (longue) campagne pour obtenir un instrument qui prendrait la recherche exploratoire pour ce qu’elle est, à savoir une aventure sans limite.”

Car avec le lancement de l’Espace européen de la recherche (EER) et de la stratégie de Lisbonne, le débat qui s’est ouvert “a souligné l’importance centrale de la recherche fondamentale pour la performance relative des systèmes d’innovation des États-Unis et de l’Europe.

Prendre des risques…

L’idée d’un mécanisme de financement de la recherche fondamentale menée par des chercheurs individuels au niveau de l’UE a donc progressivement gagné du terrain.” Avec la création en 2007 du Conseil européen de la recherche, qui fonctionne de manière “moins bureaucratique”, les jeunes chercheurs ont “la possibilité de développer leurs projets les plus ambitieux”.

Dans le plaidoyer pro domo de Jean-Pierre Bourguignon du bilan de l’ERC, on peut retenir des tendances fortes :

  1. des moyens “pour les meilleures idées” ;
  2. plus d’espace pour une approche ascendante ;
  3. un processus de sélection exemplaire avec les chercheurs les plus qualifiés du monde entier ;
  4. un statut et une visibilité pour les “meilleurs leaders de la recherche travaillant en Europe” et l’attractivité pour“des chercheurs exceptionnels” sur le continent ;
  5. le refus de distinguer recherche pure et recherche appliquée en utilisant l’expression “recherche exploratoire” ;
  6. la production d’applications totalement inattendues, “avec des effets très concrets et parfois spectaculaires dans la société” ;

…et miser sur les jeunes chercheurs

Tout ceci a eu selon lui uneffet catalyseur” dans les politiques nationales de financement de la recherche scientifique ainsi que les pratiques institutionnelles. Mais Jean-Pierre Bourguignon souligne ce qu’il appelle l’impact additionnel du CER” :  un certain nombre de chercheurs, “en particulier les plus jeunes”,  en essayant “de formuler ce sur quoi ils rêvent vraiment de travailler”, ont été influencés “dans le développement ultérieur de leur carrière.”

Et c’est là sans doute le côté innovant de l’ERC : miser sur les jeunes chercheurs en leur donnant “accès à une véritable autonomie scientifique beaucoup plus tôt qu’il ne l’aurait été traditionnellement dans leur environnement”. En résumé, placer la confiance dans les jeunes a eu “un impact considérable sur la communauté scientifique en Europe”, par le soutien au risque que cela représentait.

Ceci a été rendu possible parce que la gouvernance de l’ERC a été confiée “à un conseil scientifique indépendant chargé de la stratégie scientifique globale” qui a pleine autorité “sur les décisions relatives au format de la recherche à financer et à son évaluation.”

Les 3 conséquences positives ? “Crédibilité” au sein de la communauté scientifique, efficacité du programme scientifique”, de la manière “la moins bureaucratique possible” et intégrité du processus d’évaluation par les pairs.”

En lisant ces lignes, on ne peut que faire le rapprochement avec l’aveuglement dont ont fait preuve depuis des années les pouvoirs publics dans notre pays. Alors que la tribune des 178 lauréats de l’ERC dans Le Monde s’inquiétant de savoir si “le CNRS fêtera ses 100 ans“, se limite aux moyens, les critiques de Philippe Froguel en commentaire de mon précédent billet, (on connaît ses avis tranchés !) font souvent mouche et méritent réflexion.

Imaginons donc les effets bénéfiques d’une ERC “à la française”…

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