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“Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre” selon la célèbre formule de Spinoza. Comprendre, c’est lire et c’est ce que j’ai fait avec le bilan d’un an de France 2030. Oui, il est indéniable que l’argent coule à flots. Mais coule-t-il là où il faut et au rythme où il faut ? Faut-il tout prévoir ou faire confiance ? Si les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité évidemment, les acteurs institutionnels de l’ESR, universités, écoles et organismes, qui veulent moins de top down sont aussi face à leurs responsabilités : que font-ils pour faire émerger une autre façon de faire ?

France 2030 affronte quelques turbulences, et pas seulement parce que son secrétaire général Bruno Bonnell est mis en cause dans un rapport au vitriol de la Chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes autour de la gestion de l’EM Lyon. Multiplication désordonnée des appels à projets, pilotage bureaucratique qui marginalise les chercheurs/euses (jetez un œil à l’espace presse de France 2030, à la composition du comité de surveillance ou encore à la “liste des ambassadeurs”), et surtout des résultats en trompe-l-œil qui interrogent de plus en plus.

Entrer dans la bonne case !

En témoigne un article des Echos du 25 novembre 2022 (abonnés) qui ajoute un clou à ce qui pourrait devenir le cercueil de France 2030. Alors que “le centre hospitalier universitaire du canton de Vaud (le CHUV) a signé en grande pompe le contrat de partenariat tripartite le liant au centre européen de physique des particules (CERN) et à l’industriel français Theryq pour fabriquer la première machine au monde de radiothérapie flash” (et ils en sont au prototype), le projet français rival (Institut Curie et Thalès), n’a toujours pas obtenu de l’État le financement nécessaire.

Pourquoi ? Faute d’après le quotidien “de rentrer dans la bonne case du plan France 2030, qui a prévu un volet pour les dispositifs médicaux (pansements, sondes etc) mais rien pour les gros équipements.” Pendant ce temps, les Suisses lancent la fabrication de leur prototype…🤨

Tout est dit ! On connaît (bien) la culture bureaucratique que symbolisent des lois inutiles ou mal rédigées, ‘justifiant’ une autre loi bien sûr, les décrets d’application qui prennent des mois, pour corriger la loi et en tout cas y ajouter une touche de complexité, puis les circulaires qui corrigent les décrets eux-mêmes tant ils sont inadaptés, puis enfin la note de service qui, à bas bruit, autorise, tolère ou interdit ce que les étages juridiques précédents ont acté… Maintenant, on y ajoute la case à cocher !

Or, contrairement à ce que pensent les idiots utiles de la dénonciation du “modèle néolibéral du new public management”, le modèle français se distingue par une bureaucratie étouffante qui n’est liée ni au capitalisme, ni au ‘new public management’. Ce modèle français, ancré historiquement et culturellement, exacerbe les défauts du centralisme mais en gomme ces effets bénéfiques. Bien sûr, le monde entier nous envie cette capacité à prévoir tous les sauts technologiques… 😊 !

Projets annoncés plutôt que réalisés

Après m’être intéressé à la comparaison France-Etats-Unis et aux inflexions annoncées par E. Borne, je me suis donc infligé la lecture de ce bilan d’un an de France 2030 (merci pour vos applaudissements !). Rappelons que ce plan est sensé concerner tous les secteurs de la recherche. L’éditorial d’E. Macron résume la situation : le mot recherche est absent (celui de chercheur oui)… Peut-être Joe Biden et Jake Sullivan lui parleront du temps long de la recherche, de la sérendipité et de la prise de risque autour de la science dans leur stratégie pour protéger leur souveraineté technologique lors de sa prochaine visite à Washington !

Et malheureusement, je ne suis pas sûr que beaucoup de journalistes soient allés au-delà du communiqué de presse, par crédulité parfois, par manque de temps aussi, par habitude de ces dossiers de presse, mais aussi par un manque de rigueur journalistique récurrent. Pourtant, ce dossier regorge malgré lui d’informations dont témoignent des perles, des âneries, des erreurs volontaires ou non !

Il est un condensé du fonctionnement de l’État français : on est en effet plutôt dans ‘France micro management’ que dans France 2030 ! L’exercice a consisté à demander à chaque ministère de sortir de son chapeau des ‘réussites’, en réalité des projets. Et dans la précipitation, les relances, chacun/e a dû sortir sa liste des courses… J’épargnerai à mes lectrices et lecteurs la liste de ces âneries, mais en résumé ça fait peur ! Un inventaire à la Prévert qui interpelle sur l’usage de ces 54 milliard d’euros.

Que nous dit la lecture de ce bilan ?

A l’inverse de toute démarche s’appuyant sur la recherche, ce plan veut tout prévoir, avec des objectifs risibles sur lesquels la France est déjà en retard. Par exemple, il faudra “maîtriser les briques technologiques nécessaires à la 5G et accélérer le développement des usages tout en étant au rendez-vous de la 6G.” Et ne pas rater la 10G non plus ? Sans doute écrit par Pierre Dac.

Un peu de démagogie cocardière. “Surtout, nous avons atteint des objectifs concrets, totalement impensables il y a encore quelques années, sur les mini-lanceurs, l’hydrogène, les semi-conducteurs, la fabrication d’un ordinateur quantique, ou encore les véhicules électriques.” Ainsi, dans le cadre de la stratégie nationale quantique, “France 2030 a permis de financer l’acquisition de l’ordinateur quantique analogique commercial le plus puissant au monde.” Et le monde entier n’est pas au courant ou ne l’a pas commandé ?

Une louche du génie français des indicateurs. Bien sûr, il faut ÉVALUER. Comment ? “Afin d’identifier et de retracer les mécanismes de transformation à l’œuvre dans les projets, ce référentiel des impacts repose sur 8 domaines principaux selon les axes et sous- indicateurs suivants.” S’ensuit un enfonçage de portes ouvertes, d’autant que “selon les objectifs poursuivis, des indicateurs spécifiques peuvent également être ajoutés à l’analyse.” Le N°5 (de B Bonnell, pas de Chanel) sur le “capital humain et connaissances” vise à mesurer rien de moins que : “accroissement des connaissances, aptitudes, expériences, talents et compétences accumulées par la société sur les filières d’avenir.” Diantre !

L’inimitable de langue de bois administrative. Il faut “éclairer à partir de la mesure de la performance globale des différentes stratégies les décisions éventuelles a prendre en matière de réallocations de crédits à opérer, en fonction du gains d’apprentissage et du niveau des résultats observés par rapport aux ambitions initiales.”  Cela pourrait faire un beau sujet de commentaire pour la nouvelle ENA !

Des réussites stratégiques à faire rougir le monde entier. Je ne résiste pas à citer l’une des ‘réussites’ du ministère de la culture : “Visite possible de la Cathédrale Notre-Dame de Paris en réalité virtuelle et à travers les époques.”  Et puis comme je suis mélomane, il y a aussi des réussites qui en fait n’existent pas, ou pas encore, comme le projet INSULA ORCHESTRA-VRTUOZ pour “faire venir à l’opéra un public d’adolescents et de jeunes adultes qui ne s’y destine pas spontanément” 1Aurait été conçu “un concert immersif mixant les univers de l’opéra de Beethoven et celui du manga en utilisant les dernières technologies de réalité virtuelle développées par VR-Tuoz.” Le problème est que les initiateurs cités n’en parlent jamais, et que la cheffe Laurence Equilbey travaille sur la N°5 de Beethoven, pas un opéra. Il n’en a d’ailleurs composé qu’un seul….

Des perles. “Le fabriquant (sic) de batteries Verkor a formé un consortium avec 11 partenaires pour développer de nouveaux cursus de formations professionnelles à tous les niveaux d’études, du CAP au doctorat” . On aura donc désormais un doctorat de batterie…

Bref, je m’arrête 😀.

Et l’ESR dans tout ça ?

Les “grands objectifs” résument ce qui devrait être la stratégie d’un MESR puissant, mais qui continue de passer sous les fourches caudines du SGPI (officiellement, le groupe vit bien comme disent les footballeurs 🤣) Mais en quoi, par exemple, “renforcer le positionnement des organismes de recherche dans leur rôle de pilote programmatique national, en articulation à l’échelle des territoires avec les universités” est-il du ressort de France 2030 ? Ou encore “Renforcer l’autonomie et la performance de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche” ?

Et puis je ne peux m’empêcher de souligner à propos d’un des exemples de réussite choisi, celui du projet de La Rochelle Université (ExcelLR) sur le littoral durable : pendant ce temps, le BRGM, opérateur de l’Etat a décidé de délocaliser son unité d’Orléans qui travaille sur ce thème à Pessac-Bordeaux… L’Etat-stratège sans doute.

Certes, la Première ministre a annoncé une évolution des méthodes. Le moyen ? Le déploiement de “Sous- préfets France 2030 et investissements”. Décidément… Ou encore des “appels à projets simplifiés”, “un accompagnement plus personnalisé” etc. On peut y voir l’action résolue mais discrète de S. Retailleau qui hérite d’un plan France 2030 dont on sait que la méthode sur l’ESR n’est pas initialement sa tasse de thé. Mais la balle n’est-elle pas aussi chez les acteurs institutionnels ?

Le 17 octobre dernier, le PDG de l’INRAE, Philippe Mauguin, évoquait pour AEF la volonté de Sylvie Retailleau et de Bruno Bonnell “de simplifier les processus, car il est vrai que les PEPR ont connu un démarrage un peu lent. Il est vrai aussi qu’il y a beaucoup d’argent sur la table et qu’une bonne dizaine de ministères sont concernés par les programmes, avec leurs administrations respectives, sans oublier les comités internationaux… À la fin, cela génère de la complexité et prend du temps, mais le bénéfice de moyen et long terme attendu est majeur.” 

Avec un sens si britannique de l'”understatement”, il poursuivait cependant : “C’est pourquoi nous faisons de la pédagogie auprès de nos équipes et avons mis en place une organisation spécifique pour les PEPR, avec une unité de service dédiée qui vient en appui de nos responsables scientifiques pour que la partie administrative et juridique soit prise en charge.”

Toujours chez AEF, le PDG du CNRS Antoine Petit louait lui, le 25 novembre, France 2030 , “très positif même s’il faut éviter de lancer trop d’appels à projets au sein des PEPR.” Enfin, France Universités juge que France 2030 “confirme la nécessité d’appréhender de manière systémique innovation, recherche et formation, dans les 10 objectifs prioritaires du plan.”

Mais faut-il le souligner et le regretter ? Aucun des acteurs concernés, nommé ou élu, n’ose taper du poing sur la table et dire les choses tout haut. Englués dans des débats internes, ils/elles sont comme tétanisés par le poids de l’Etat central et de ses représentants. C’est aussi un des problèmes majeurs de ce secteur.

Références

Références
1 Aurait été conçu “un concert immersif mixant les univers de l’opéra de Beethoven et celui du manga en utilisant les dernières technologies de réalité virtuelle développées par VR-Tuoz.” Le problème est que les initiateurs cités n’en parlent jamais, et que la cheffe Laurence Equilbey travaille sur la N°5 de Beethoven, pas un opéra. Il n’en a d’ailleurs composé qu’un seul…

2 Responses to “France 2030 ou France micro management ?”

  1. Rafraîchissant oui comme à l’accoutumée et même bien citronné. Mais j’ai un regret. 84% de la chronique s’attachent à une critique (justifiée) de nos travers bureaucratiques bien français. Mais seulement 6% du texte à ce qui reste, pour moi, le vrai sujet du moment, dans deux paragraphes que je rapproche ici volontairement : « Si les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité évidemment, les acteurs institutionnels de l’ESR, universités, écoles et organismes, qui veulent moins de top down sont aussi face à leurs responsabilités : que font-ils pour faire émerger une autre façon de faire ? Aucun des acteurs concernés, nommé ou élu, n’ose taper du poing sur la table et dire les choses tout haut. Englués dans des débats internes, ils/elles sont comme tétanisés par le poids de l’État central et de ses représentants. C’est aussi un des problèmes majeurs de ce secteur. »

    C’est le Grand Mystère. Pourquoi cette passivité ? Pourquoi ne pas vouloir parler fort ? Pourquoi accepter sans broncher tout ce qui entrave les acteurs publics et, au premier chef, les universités ? Pourquoi ne s’appuient-ils pas sur les exemples étrangers qui donnent à voir à l’opinion par comparaison l’état réel des choses en France ? Pourquoi ne se saisissent-ils pas collectivement des idées qui fleurissent ici ou là pour « faire autrement » ? Pourquoi même ne pas porter haut leurs réussites ? C’est totalement incompréhensible. Je ne peux croire qu’on se complaise dans une posture « victimaire » ou qu’on ait été depuis des années « mithridatisés » à l’apathie.

    D’où le regret dont je faisais part. Je maintiens que la critique de nos défauts étatiques ne servira à rien, si les acteurs de l’ESR n’assument pas eux-mêmes le sursaut chaque jour plus nécessaire.

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