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Après la réforme des régions académiques, i.e. l’alignement sur les régions administratives, le gouvernement s’apprête à porter le coup de grâce au monopole des universitaires sur la fonction de recteur/rice. Non pas qu’il n’existait pas déjà des « dérogations » mais le projet de décret en cours signe la fin d’une époque. Retour sur l’évolution des processus de recrutement. Et puis une question : les universités ont -elles vraiment besoin d’une rectrice (osons féminiser !) au-dessus d’elles ?

J’ai eu l’occasion depuis près de 25 ans de côtoyer tous les recteurs (il y a vingt-cinq ans quasiment pas de femmes…) et de connaître les coulisses de leurs nominations (avant ou après selon) et de leur…limogeage, mais aussi d’observer leur fonctionnement. N’ayant aucun compte à régler, je ne donnerai aucun nom, la question qui m’intéresse étant une fonction dont je mesure la difficulté.

Ce ne sont pourtant pas les anecdotes qui me manquent sur ce système, unique au monde, survivance d’une époque où le prestige et l’autorité descendaient en rangs serrés du Professeur des universités à l’instituteur en passant par les Capesiens et agrégés.

Depuis longtemps, les gouvernements ont essayé de desserrer l’étau de cette hiérarchie en ouvrant le recrutement, à des énarques, des Igen, des IGAENR, et suprême tabou, des Dasen. Mais pour quoi faire ?

Des années d’amateurisme dans les nominations

Je me souviens de ce cas emblématique d’un universitaire tout juste sorti de son labo, propulsé dans une académie dite difficile et complétement déboussolé face aux problèmes des écoles primaires, des collèges et des lycées.

Car tout au long de ma carrière j’ai pu constater la permanence de nombreuses nominations relevant d’erreurs manifestes de casting (pas seulement pour des raisons de proximité politique). Il y aurait même eu une erreur de nomination par homonymie, au début de la présidence de François Mitterrand !

C’est ce manque de professionnalisme qui a conduit à nommer des présidents dont l’université était dans un état catastrophique, ou encore à promouvoir une rectrice, depuis condamnée en première instance par la justice, alors même qu’une rumeur courait depuis longtemps sur de supposées turpitudes.

Parallèlement, les limogeages divers, politiques, pour incompétence, mais aussi sans raisons claires ont été légions. La règle de l’épée de Damoclès du conseil des ministres du mercredi est brutale : ainsi ce recteur qui apprend, alors qu’il avait organisé le mariage de sa fille à l’hôtel du rectorat, qu’il est démis de ses fonctions.

Car à l’image de la haute fonction publique, les rectrices ne sont pas réellement évaluées :  la remontée négative ou positive est parfois celle des syndicats, mais plus souvent celle du président d’université, du maire, du président de région et bien sûr du ministre lorsque qu’une visite se passe mal.

Est-ce que les choses ont réellement bougé ? Oui par l’élargissement du vivier, non par les changements incessants de ministre de l’éducation nationale ou encore par la difficulté à repérer des profils, hormis le bouche à oreille.

La formation au métier reste succincte et procède plus du stage avec promesse d’embauche immédiate que de l’apprentissage combiné de la théorie et de la pratique. Un comble pour l’éducation nationale !

Culture éducation nationale vs culture universitaire

Il est de notoriété publique (cela semble avoir changé avec Jean-Michel Blanquer…qui connaît la musique) que les réunions de recteurs sont profondément ennuyeuses, avec les « fayots » ou les silencieux qui en ont vu d’autres. D’autres conservent une liberté de parole, acquise par leur parcours…ou leur réseau. Claude Allègre les tançait, Vincent Peillon parlait de la IIIème République, d’autres y venaient rarement etc.

La grande différence avec les présidents d’université, élus, c’est en effet la parole contrainte des rectrices : cela débouche sur des phénomènes de cour que mes fonctions de directeur de la rédaction d’AEF m’ont permis d’observer de près.

Cela est d’ailleurs un choc culturel pour ces présidents d’université nommés recteurs/rices qui découvrent, au-delà des questions techniques, une culture centralisatrice, faite de circulaires, et d’injonctions. Tous les jours les déclarations dans la presse de leur ministre donnent « la ligne du Parti » !

Le métier de rectrice change

Le changement probable de la proportion (maximale) de non universitaires, de 20 à 40%, succède à celui tout aussi important de féminisation de la fonction.

Élargir le vivier, comme pour tout recrutement, augmente les chances de réussites mais n’interdit pas les erreurs. Par bienveillance, je ne mentionnerai pas celles en cours dont le microcosme se régale ? !

Que demande-t-on aux rectrices ? C’est la question essentielle dans un contexte où la verticalité et la centralisation ne permettent plus une gestion efficace : on leur demande d’adapter la politique de l’État à leur territoire. Qui peut penser sérieusement que l’on peut piloter une académie très rurale de la même façon qu’une académie très urbaine ?

Être rectrice, c’est gérer le plus grand nombre de fonctionnaires sur un territoire mais surtout piloter un paquebot qui in fine concentre à la fois tous les problèmes et toutes les solutions de la société : les drames humains, les situations de crise y sont récurrents, et prennent souvent le pas sur les réussites.

Cela demande des capacités de diplomatie (avec les élus locaux par exemple), un sens politique (notamment dans les relations avec les syndicats), de communication, d’avoir du sang-froid et, par-dessus tout des compétences managériales. Le charisme est optionnel.

En fin de compte, côté éducation nationale, le recteur doit passer du rôle de relayeur de consignes soviétiques (ah cette circulaire de 2016 sur comment faire une chorale si vous voulez rire !) à manageur d’IEN, IA-IPR et chefs d’établissements.

Cette responsabilisation accrue des acteurs remet en cause une vision hiérarchique de la fonction de rectrice : pourtant perdure au XXIè siècle une vision d’ancien régime qui veut qu’un Dasen est d’abord un inférieur.

Or, la clé du fonctionnement d’un rectorat, c’est avant tout un bon secrétaire général et des Dasen qui tiennent la route. Avec bien sûr des chefs d’établissement qui soient au niveau. Cela a permis aux rectrices médiocres de faire illusion ?…

Pour résumer, et avec le recul, les profils non-universitaires ne se distinguent pas vraiment : des bons et des mauvais, pas plus pas moins, mais sans doute pour les bons avec des regards différents, par exemple sur la pédagogie (Igen), sur la gestion (IGAENR) ou sur le terrain (Dasen).

Et concernant la fonction de chancelier des universités (mettons Paris à part), la qualité d’universitaire ne garantit rien ! Qui peut sérieusement croire que l’on peut imposer à un Président d’université ou/et son conseil quoique ce soit ?

Au passage, cette diversification des profils est l’un des changements majeurs à l’IGAENR  et qui en a amélioré considérablement l’efficacité : ancien président d’université, docteur, agent-comptable, informaticien, directeur de Crous etc.

Le rôle de la rectrice et l’université

Laissons donc de côté l’éducation nationale et parlons d’enseignement supérieur. La recherche échappe toujours à la rectrice, les DRRT étant rattachés au Sgar, c’est à dire au Préfet. Le Préfet joue un rôle majeur sur les CPER en collaboration intelligente ou pas avec les régions. Pour les Idex/Isite, ce n’est pas faire injure aux rectrices de dire qu’elles pèsent très peu, sinon rien.

Mettons les pieds dans le plat : pour un président d’université, une bonne rectrice, c’est celle qui lui fiche la paix, ou plus exactement qui lui rend service quand c’est nécessaire. Or la vision actuelle du MESRI fait craindre à beaucoup de présidents d’université une forme de recentralisation.

Car pour l’instant, les rectorats sont en charge du contrôle de légalité, sachant que la Cour des comptes a souligné à maintes reprises les failles de leurs services, sous-dimensionnés à quelques exceptions près, et souvent peu qualifiés dans ces domaines.

Et à chaque fois qu’il y a un problème, c’est surtout l’IGAENR qui est en première ligne, ou la Dgfip (Bercy). Certes, avec le regroupement de rectorats, l’objectif est le regroupement des moyens et des compétences.

La proposition de la Conférence des DRRT d’un service dédié à l’ESRI au sein des rectorats « sous la responsabilité d’un chancelier ou vice-chancelier aux universités, à la recherche et à l’innovation, placé sous l’autorité du recteur » fait grincer des dents.

Elle s’ajoute à la tentative du MESRI de faire piloter le dialogue de gestion et donc l’allocation des moyens, par les recteurs, ce qui a suscité l’ire du président de la CPU.

Si pour Parcoursup, le rôle de coordination des rectorats est indéniable, les universités ont fixé leurs règles. Et dans le – 3/ + 3, les rectrices ont assez à faire avec la gestion de Parcoursup dans les lycées, sans parler des prépas et des BTS.

L’autonomie des universités est-elle compatible avec une tutelle rectorale ?

Le classement de l’EUA sur le degré d’autonomie des universités en Europe décerne un bonnet d’âne à la France. L’exception française du recteur censé contrôler les universités y est pour beaucoup, et symbolise la place de la tutelle. Le choix français, quels que soient les discours, n’est en tout cas pas celui de l’autonomie des universités, au sens des standards internationaux.

Respectable, ce choix n’est toujours pas assumé : on parle de recteurs qui seraient des facilitateurs. Mais il y a déjà, en théorie, les conseillers d’établissement. Alors que les relations personnelles entre rectrices et présidents d’université sont globalement bonnes, la contradiction est d’ordre politique : peut-il y avoir deux autorités sur le territoire, dont l’une n’en est pas vraiment une tout en l’étant ! Le génie français sans doute…

Car j’allais oublier l’action du HCERES qui évalue les universités, celle de l’ANR pour leurs appels à projets, les organismes de recherche et leur labellisation, enfin bien sûr les jurys des appels PIA. Ainsi que les chambres régionales des comptes. Et puis aussi les accréditations/labellisations de la Dgesip. Ainsi que le contrat quadriennal.

Les universités sont donc bien gardées ! Mais n’ont-elles pas plutôt besoin de clarification et de simplification ?

On peine toujours à saisir la cohérence d’une politique qui ressemble surtout à une valse-hésitation. C’est donc, au-delà de la fonction rectorale, un problème de l’organisation de l’État central lui-même qui est posé et de ses objectifs en matière d’ESR.

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