L’enseignement supérieur français, comme notre pays, a bien changé. Pourtant, certains débats et certaines organisations plongent leurs racines dans une histoire ancienne. En lisant « La vie universitaire à Paris » 1La vie universitaire à Paris, ouvrage publié sous les auspices du Conseil de l’Université de Paris, ouvrage collectif paru en 1918 dont Émile Durkheim a été l’un des auteurs principaux, des questionnements très actuels émergent… Voici quelques notes de lecture.
La préface d’Émile Durkheim a un côté drôle, involontairement bien sûr. « L’étudiant étranger qui arrive à Paris est souvent dépaysé par avance par l’organisation de notre enseignement supérieur. C’est le cas par exemple, de l’étudiant américain qui, chez lui, est habitué à trouver groupés dans l’Université tous les établissements de haute culture. Chez nous, mais surtout à Paris, il se trouve en face d’une constellation d’Écoles diverses, indépendantes même les unes des autres.
Car ce pauvre étudiant américain (chinois aujourd’hui ?) « n’aperçoit pas toujours en quoi elles se distinguent, comment elles coopèrent, quelle est la fonction propre de chacune. Un des objets poursuivis dans le présent ouvrage est de l’initier à son organisation, de la lui expliquer, d’introduire de l’ordre et de la clarté dans cette complexité qui, au premier abord, peut lui paraître confuse. On lui épargnera ainsi d’inutiles expériences. »
Sur la gouvernance
Évoquant l’Université de Paris (celle de l’époque ?), il la décrit « formée par l’union, la fédération de cinq Écoles ou Facultés, qui existaient déjà antérieurement, mais isolées les unes des autres : Faculté des lettres, des sciences, du droit, de la médecine, et École supérieure de pharmacie. A cet organisme, déjà complexe, un organe nouveau est venu s’ajouter en 1904 : c’est l’École normale supérieure. » Et « chacune de ces Facultés ou Écoles garde, à l’intérieur de l’Université, son individualité et son autonomie. Chacune a son chef particulier (doyen pour les Facultés, directeur pour les Écoles). » Les doyens, comme les directeurs, sont nommés par le ministre, « mais sur la présentation de leurs collègues ; et il n’y a guère d’exemple que la proposition faite par la Faculté ou l’École ne soit pas ratifiée par le ministre. » Et ils sont assistés par un Conseil qui comprend tous les professeurs titulaires : il « administre les biens propres de la Faculté, présente au choix du ministre les candidats aux chaires magistrales, donne son avis sur toutes les questions qui concernent l’enseignement. »
Émile Durkheim tient cependant à préciser que « l’Université est tout autre chose qu’une simple juxtaposition des Facultés et Écoles qui la composent. Elle est un tout naturel. De même que la science est une malgré la diversité des sciences particulières, il y a, entre les écoles où s’enseignent les différentes sciences humaines, unité d’aspirations et solidarité d’intérêts : c’est cette unité et cette solidarité qu’exprime l’Université. Elle a donc une fonction propre, distincte de celles qui incombent aux Écoles spéciales dont elle est composée. »
La reconstitution de l’Université … et du pays
Au « lendemain de la défaite » en 1870, « tous les bons citoyens n’avaient qu’une pensée : refaire le pays. Pour le refaire, il fallait l’instruire. Une société qui aspire à se gouverner elle-même a, avant tout, besoin de ‘lumières’. Une démocratie serait d’abord infidèle à son principe si elle n’avait pas foi dans la science. Aussi les années qui suivirent la guerre furent-elles une belle période d’ardeur intellectuelle. Constituer des centres de haute culture où la science trouverait tout ce qui lui est nécessaire pour s’élaborer et d’où elle pourrait se répandre sur le reste de la nation, telle fut la tâche que l’on s’assigna. »
Mais le sociologue note que les écoles spéciales des régimes précédents « ne pouvaient remplir ce rôle. Elles vivaient trop à l’étroit dans le cadre exigu où elles étaient tenues de se renfermer ; de plus, asservies aux exigences professionnelles, elles n’avaient pas l’indépendance que réclame l’activité scientifique. Au lieu de séparer par des cloisons artificielles les différentes disciplines humaines, il fallait les rapprocher, les mettre en contact aussi intime que possible, leur faire prendre conscience de leur unité et de l’œuvre complexe à laquelle elles collaborent. La vie intellectuelle ne peut être intense qu’à condition de se concentrer : pour elle, la dispersion, c’est la mort. »
« Pour donner aux esprits le goût des grandes choses, il faut élargir leur horizon. Il fallait donc rapprocher les écoles spéciales, et, pour les arracher à leur spécialisation, en faire les parties d’un même tout, d’une école vraiment encyclopédique. Or, l’école encyclopédique a un nom dans l’histoire. La restauration, sous des formes nouvelles, des anciennes Universités apparut ainsi comme le moyen d’atteindre le but poursuivi. »
Sur le recrutement des professeurs
A l’origine, « les professeurs titulaires se distinguaient des chargés de cours et des maîtres de conférences par la plus haute importance attribuée à leur enseignement. Les disciplines qu’ils étaient chargés de professer passaient pour particulièrement fondamentales ; pour celte raison, leur enseignement était qualifié de magistral. Les enseignements confiés aux chargés de cours et aux maîtres de conférences étaient considérés comme moins essentiels à la vie de l’Université. Mais cette différence entre enseignement magistral et non magistral tend de plus en plus à s’effacer. Aujourd’hui, ces deux sortes de maîtres ne se distinguent plus guère que par leur âge et leur inégale autorité scientifique. Les chargés de cours et les maîtres de conférences sont, en général, plus jeunes ; leur situation est une situation de début. Le titulariat est le couronnement de la carrière ; c’est pourquoi, comme nous l’avons dit, le Conseil de la Faculté ne comprend que des professeurs titulaires. »
C’est pourquoi « leur nomination est-elle entourée de garanties toutes spéciales. Ils sont nommés par décret du Président de la République, sur une double liste de présentation, établie, l’une par le Conseil de la Faculté intéressée, l’autre par la Section permanente du Conseil Supérieur de l’Instruction publique. Ils sont inamovibles. Les maîtres de conférences et les chargés de cours sont nommés par le Ministre, s’ils sont rétribués sur les fonds de l’État, par le Recteur sur une liste de présentation établie par le Conseil de l’Université, si c’est sur le budget propre de l’Université que leur traitement est prélevé. »
Les établissements extérieurs à l’Université
Décrivant le paysage de l’ESR, Emile Durkheim revient sur la création à la Révolution des « Écoles spéciales ». Il souligne que plusieurs d’entre elles furent ensuite incorporées à l’Université reconstituée (l’ENS, l’École de santé, et l’École de droit). Mais il relève que d’autres maintinrent leur autonomie et subsistent encore en dehors des Universités (Muséum d’Histoire naturelle, l’École des langues orientales vivantes et l’École des Chartes, pourtant fondée plus tard).
Mais son analyse mérite d’être relevée : « tous les établissements d’enseignement supérieur qui ne sont pas compris dans l’Université sont dus à des éclipses passagères ou à des défaillances de l’Université. (…). Il est donc permis de penser que si l’Université avait suivi normalement sa carrière, si elle n’avait pas connu, pendant plusieurs siècles, une période de déclin, ces divers établissements seraient nés dans l’Université elle-même. » Il constate les effets de cette coupure, reconnaissant que ces établissements, « chemin faisant », se sont fait légitimement « une personnalité propre, une physionomie distincte (…) ».
Références
↑1 | La vie universitaire à Paris, ouvrage publié sous les auspices du Conseil de l’Université de Paris, ouvrage collectif paru en 1918 |
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