Il s’en est passé des choses cet été ! Non je ne parle pas des législatives et du premier ministre, voire des nominations à la Dgesip ou à l’ANR, ou de non-nomination au Hceres. Il y a eu la publication de quelques rapports IGESR comme souvent très intéressants, sur la 1ère année d’enseignement supérieur, sur les systèmes d’information RH et les ITA/ITRF. Avec souvent une responsabilité partagée entre l’État et les établissements, source de dysfonctionnements majeurs. Et puis il y a ces JOP et paralympiques qui non seulement ont démenti tous ceux qui avaient annoncé des milliers d’étudiants sans logement mais ont au contraire permis de voir des centaines d’étudiants participer et des dizaines être médaillés.
Commençons par le commencement, les effectifs étudiants 2023-2024. Après une perte « inédite » de 43 900 étudiants à la rentrée 2022, ils sont de nouveau à la hausse, selon une note Flash du SIES-MESR mais seulement de + 1 % (28 300 étudiants) soit 2,97 millions. Stabilisation dans les universités (+ 6 500 inscrits après une perte de 57 000 en 2022), grâce notamment au lancement de la 3ème année de BUT. Le secteur privé continue lui sa progression : + 23 100 étudiants en un an (+ 2,8 %), pour atteindre un total de 790 000, soit 26,6 % des effectifs du supérieur…
Il faut également souligner la place de l’enseignement supérieur dans l’apprentissage 1Au total, plus de 6 apprentis sur 10 sont en apprentissage dans le supérieur en 2023, soit 635 800 apprentis. même si la croissance ralentit. Selon la Depp (MENJ) ‘L’apprentissage au 31 décembre 2023’, ce sont les niveaux 7 (bac+5) et 8 (doctorat), qui enregistrent la plus forte croissance : +12,9 %. Au niveau 6 (bac+3), la hausse de 9 % est portée principalement par le nouveau BUT. Une fois de plus, les écoles de commerce et de management progressent beaucoup, + 17,2 %.
Le Capharnaüm des formations supérieures
Alors que le MESR et le MENJ indiquent qu’il reste, avec la phase complémentaire de Parcoursup, 114 000 places à pourvoir au sein de 6 800 formations, contre 100 000 au même stade l’an passé, il faut lire le rapport de l’IGESR sur la 1ère année des formations supérieures, publié en juillet. Après les rapports du CESP, il ajoute une pierre de plus à la compréhension de cette question, que mériteraient de lire les femmes et hommes politiques 2Je pense à Carole Delga qui dans La Tribune du Dimanche pense que c’est l’algorithme de Parcoursup qui sélectionne les étudiants : connaît-elle les président(e)s d’université de sa région 😒? .
Un réel problème de financement. Face à « des injonctions contradictoires » (d’un côté « améliorer la réussite étudiante en continuant d’accueillir tous ceux qui en font la demande », de l’autre « maîtriser, voire réduire, les coûts liés à la formation »), l’IGESR propose 3 scénarios, dont le coût s’échelonne de 393 M€ à 2,9 Md€ par an, pour « mettre à niveau la licence générale en augmentant les taux d’encadrement et en améliorant concrètement le suivi et l’accompagnement à l’université ». Notons le scénario n° 3, légèrement révolutionnaire 🤭 3 Je suis sûr évidemment que le NFP le mettrait en œuvre… : « aligner en 1ère année le coût de l’encadrement des licences et des BUT sur celui des CPGE pour un coût de 2,9 Md€ par an. »
En effet, la mission insiste à juste titre sur le nécessaire renforcement de la « proximité pédagogique » pour améliorer la réussite en licence, ce qui relève de la responsabilité des universités, « à condition de leur en donner les moyens ».
La question-clé de l’assiduité. Le constat n’est pas nouveau mais clair. Si les dispositifs d’aide à la réussite permettent « incontestablement » aux étudiants motivés avec un niveau académique limité de « franchir la première année avec des résultats corrects », ils ont un impact limité sur « les étudiants non motivés, mal orientés et sans projet clairement définis, qui se retrouvent bien souvent en licence par défaut, n’ayant été acceptés nulle part ailleurs. Ces étudiants décrochent très rapidement et adhèrent très peu à ces dispositifs 4Au passage, l’IGESR souligne que « de nombreux interlocuteurs de la mission ont déploré le caractère largement symbolique du contrat pédagogique » un OVNI de plus dans la longue liste des mesures inapplicables (ça c’est moi qui le dit !. »
Donc, pour contrer l’image d’une « filière marquée par l’échec » qui lui colle à la peau, l’IGESR recommande d’indiquer dans Parcoursup pour chaque formation, niveau mention, les taux de réussite en distinguant celui des inscrits administratifs et celui des étudiants assidus (ayant obtenu au moins une note supérieure à zéro dans chacune des UE dans lesquelles ils sont inscrits).
Les établissements et le foisonnement de l’offre de formation. 25 000 formations sont désormais répertoriées sur Parcoursup en 2024, avec des candidats « confrontés à la multiplication des parcours et des appellations ». Classiquement, l’IGESR plaide pour cette arlésienne de l’amélioration de l’accompagnement à l’orientation et le renforcement des liens entre universités et lycées, soit le chantier du bac-3/+3. Mais elle pointe surtout le fait que la « diversification de l’offre de formation de premier cycle » s’est faite au « détriment de sa lisibilité ».
Le grand bazar des formations sélectives universitaires : CUPGE, CPES, cycles préparatoires, doubles diplômes, double licence, licences renforcées voire bachelors (hors BUT), DU Paréo, DSP, BTS, etc. Résultat : « cette profusion et ce manque de lisibilité sont encore accentués par la survivance – fût-ce à titre résiduel – de formations telles que les Deust réalisés en deux ans ou les magistères. » Le comble, c’est ainsi que certaines formations sélectives à l’université « peinent parfois à trouver leur public faute de bénéficier d’une visibilité suffisante » !
Un « droit à la poursuite et au changement d’études ». C’est là où l’IGESR touche le plus sensible, la culture strictement disciplinaire du système éducatif français. Elle appelle à « repenser les parcours » et à instituer « un droit à la poursuite et au changement d’études tout au long du cursus ». Selon elle, « c’est toute la notion de réussite étudiante qui mérite d’être reconsidérée ».
Quelles conclusions tirer de ce rapport rédigé en langage prudent de l’IGESR ? Il y en a beaucoup évidemment mais je voudrais insister sur 2.
- D’une part la sélection à l’université n’est plus un tabou et il faut mieux la valoriser, alors que de nombreuses formations ne font pas le plein.
- De l’autre, les jeunes veulent de moins en moins de parcours tubulaires 5ce que les écoles privées ont bien compris en recrutant à tour de bras des étudiants d’universités : les universités et surtout les universitaires comprendront-ils un jour que la réussite n’est pas une chemin droit et que des jeunes de 18/20 ans ont le droit à l' »erreur, qui est en réalité aussi un apprentissage ? A condition que les universités et leurs facultés choississent réellement leurs étudiants.
La gestion des RH dans l’ESR, un chemin tortueux
L’Etat complexifie, les établissements en rajoutent. Contraintes d’utiliser « une profusion d’outils », les universités sont en demande d’un Système d’information RH (SIRH) « efficace » selon ce rapport de l’IGESR, tout en ayant eux-mêmes contribuer à cette profusion… Evidemment, ils en appellent au MESR !
A leur décharge ce constat : des mises à jour fréquentes « rendues nécessaires par le rythme élevé des évolutions réglementaires ». L’Amue indique qu’elle a dû prendre en compte récemment plus d’une trentaine de textes réglementaires relatifs aux RH en l’espace d’un seul mois !
Des rémunérations inégalitaires dans la Fonction publique. A ces questionnements s’ajoute évidemment la question des rémunérations des personnels non-académiques. Dans un rapport de mars 2023 mais publié en juillet 2024, intitulé « Perspectives d’évolution des filières des ITRF et ITA », l’IGESR constate que leur niveau de rémunération des filières ITRF et ITA est en « décalage » voire en « décrochage » par rapport aux rémunérations des autres ministères et versants de la fonction publique.
D’ailleurs, dans un autre rapport, sur l’immobilier universitaire, elle précise les différences de rémunération entre les personnels Biatss des universités et ceux des rectorats ou des collectivités territoriales qui « affectent l’attractivité des emplois offerts à l’université ». À titre d’exemple, le Rifseep annuel moyen en 2022 d’un ingénieur d’étude est de 8 803 € dans l’ESR contre 11 627 € au MENJ soit 32 % de plus. Pour les ingénieurs de recherche, l’écart est encore plus important puisqu’il s’établit à 58,6 % (12 964 € pour l’ESR contre 20 562 € pour le MENJ).
Vers des fusions ? Comme la Cour des comptes, elle propose d’engager une « déconcentration de la GRH sur le modèle des EPST ». Sont ainsi présentés plusieurs scénarios visant à « repenser l’architecture de ces filières « , notamment par une fusion. La mission constate qu’au sein d’un même établissement et d’un même service, cohabitent « des personnels aux statuts différents, aux modalités de gestion diverses, rendant difficiles pour un EPSCP la mise en œuvre d’une politique RH commune » . S’ajoute à cette complexité, le fait qu’au sein d’une même UMR, « ces filières coexistent avec des employeurs distincts ».
Pour être complète, l’IGESR appelle à une remise à plat de la durée légale de travail… Car on ne voit pas comment le MESR pourrait plaider un alignement des rémunérations avec un temps de travail (officiellement) plus faible !
Quelques (petits) coups de griffe
Les Cassandre universitaires des Jeux olympiques de Paris 2024. Où sont tous ces universitaires qui annonçaient une catatstrophe, certains engoncés dans leur parisiannisme parce que des barrières les gênaient pour accéder à leur labo, d’autres détestant le sport et la plupart cultivant leurs passions tristes ? Voici ce que j’écrivais en novembre 2023 : « L’annonce que les 2 200 étudiants, dont les logements Crous seront réquisitionnés durant les JO, recevront une aide de 100 € et des billets pour les épreuves olympiques, a provoqué un tollé. Je donne RV au moment des JO : on verra si les prévisions apocalyptiques (dans ce domaine) se réalisent. » Vous avez le résultat : aux JOP et aux paralympiques, aucun étudiant à la rue mais plein d’étudiants de haut niveau, plein de médailles.
Shanghai 2024. Comme d »habitude, on a eu droit à notre polémique avec ces méchants chinois inféodés au PCC vs la réussite de nos universités. Le Monde a publié un article à la gloire des SHS françaises tenues à l’écart de ce classement, ce qui est partiellement exact (mais en partenariat avec Cairn.info faut-il souligner 😉), En résulte un article laudateur sur l’impact Cairn.info, que je consulte effectivement régulièrement. Mais en quoi consulter un article est-il un gage de qualité/excellence ? A trop vouloir prouver…
Achats publics des universités : l’enfonçage de porte ouverte du Sénat. La commande publique universitaire est « mal connue malgré des montants conséquents » d’environ 2,5 Md€, selon le rapport sur la performance économique des achats des universités, de la sénatrice Vanina Paoli-Gagin (Les Indépendants, Aube). « Le montant total des achats publics est extrêmement variable selon les universités. D’après les données de la DGESIP, il est ainsi en 2023 de 15 millions pour l’université de Nîmes, de 22 millions pour l’université d’Avignon et de 457,4 millions d’euros pour l’université Paris Saclay. Il est également extrêmement variable selon les années, le lancement de gros projets, en particulier immobiliers, entraînant un sursaut ponctuel qui ne reflète pas le niveau moyen des achats. » Quelle perspicacité 🤣 ! Tout ça pour préconiser une centralisation quasi soviétique, en oubliant la carcan des achats publics dans de nombreux cas.
L »ultralibéralisme’, sauce Conseil d’Etat. Le Conseil d’État a annulé une circulaire du MESR d’août 2022 imposant aux universitaires de déclarer une activité libérale liée à leurs fonctions. Il rappelle que selon l’article L. 123-3 du code de la fonction publique, « l’exercice, par un agent public membre du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement, d’une profession libérale découlant de la nature de ses fonctions n’est soumis à aucune déclaration ou autorisation préalable, ni à aucune autre formalité ». L’éternelle autonomie des universitaires contre l’autonomie des universités. Et le service public, les étudiants dans tout ça ? Car il me semble pourtant que les activités libérales peuvent prendre beaucoup de temps ?
Un hommage
Je voulais dans ce billet rendre hommage à André Legrand, disparu cet été. Professeur de droit public, il a été recteur puis directeur des lycées et des collèges, et directeur des écoles du ministère de l’Éducation nationale. Élu en 1998 président de l’université Paris-Nanterre, il fut 1er vice-président de la CPU, à l’époque présidée par le ministre. Je l’ai évidemment souvent rencontré, à la CPU et à Nanterre, et je garde avant tout le souvenir d’un homme de convictions qui, malgré les attaques et agressions permanentes et indignes de peudo-révolutionnaires à Nanterre, sut garder un cap, tant dans la rénovation immobilière nécessaire que dans la modernisation du fonctionnement de son université. Il refusait d’être l’otage de groupes de pressions et dénonçait ces universitaires qui instrumentalisaient les conflits. Quant à la CPU, il eut le courage d’admettre que l’Amue de l’époque était engagée dans une démarche centralisatrice et dépensière hors de propos, face au silence gêné de ses collègues. L’honneur de la profession (c’en est une) de président d’université.
Références
↑1 | Au total, plus de 6 apprentis sur 10 sont en apprentissage dans le supérieur en 2023, soit 635 800 apprentis. |
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↑2 | Je pense à Carole Delga qui dans La Tribune du Dimanche pense que c’est l’algorithme de Parcoursup qui sélectionne les étudiants : connaît-elle les président(e)s d’université de sa région 😒? |
↑3 | Je suis sûr évidemment que le NFP le mettrait en œuvre… |
↑4 | Au passage, l’IGESR souligne que « de nombreux interlocuteurs de la mission ont déploré le caractère largement symbolique du contrat pédagogique » un OVNI de plus dans la longue liste des mesures inapplicables (ça c’est moi qui le dit ! |
↑5 | ce que les écoles privées ont bien compris en recrutant à tour de bras des étudiants d’universités |
On ne peut pas aborder la question de la réussite en licence sans évoquer ce qui est évalué au bac. Il n’est plus possible d’orienter les élèves au lycée contre leur volonté, plus possible de redoubler contre leur volonté et le taux de réussite à l’examen final dépasse malgré tout les 90%.
La réalité est que l’on tire le niveau vers le bas en L1 pour s’ajuster au niveau hétérogène des bacheliers. Dans la plupart des disciplines, vous pouvez faire 5 fautes par ligne sans que cela ne diminue la note d’un seul point.
Mais il est impossible d’aller aussi bas que le niveau plancher de validation du bac. C’est notamment lié au fait que les enseignements ne sont pas strictement nationaux et qu’on ne peut pas trop se décaler avec ce qui est pratiquée dans le reste du monde, notamment lorsque l’objectif est de multiplier les échanges universitaires internationaux.
On se retrouve ainsi en 1e année avec des étudiants qui échoueront quels que soient les dispositifs d’aide, car leur niveau réel est inférieur de 4 ou 5 années à celui d’un bachelier réel, et ce n’est pas avec quelques heures de tutorat ou d’accompagnement individuel que cela changera quoi que ce soit.
Je partage pleinement cette conclusion en hommage à André Legrand et je constate hélas qu’elle pourrait parfaitement coller à l’actualité concernant Nanterre, mais aussi l’AMUE. Je relisais « chien blanc » de Romain Gary en me disant que ses constats, son analyse pourraient être repris avec les mêmes termes. Si rien ne change ou si peu en 50 ans, en 20 ans, à quoi servent les politiques ?