L’actualité, c’est l’arrivée de Patrick Hetzel, son espace politique face aux menaces budgétaires, lce sont es derniers chiffres sur la recherche publique et privée, et l’incapacité française et européenne à investir sur l’innovation de rupture. C’est aussi une précarité étudiante à nuancer pour mieux cibler les efforts. C’est enfin, ce qui fait le sel de l’actualité de l’ESR français, ces éternels villages gaulois toulousains et lyonnais qui résistent. Pour donner raison à toutes celles et ceux qui dénoncent l’incapacité des universitaires à se gérer.
Avec un Premier ministre et des parlementaires (quel que soit leur bord) qui ignorent totalement l’ESR (dans tous les sens du terme), Patrick Hetzel va devoir gérer le gel de la LPR et la non mise en œuvre la réforme des bourses préparée par Sylvie Retailleau à partie de la mission Jolion. Je suis certain que toutes celles et ceux qui dénonçaient ces mesures seront désormais pour 1Dans le cadre de la préparation du PLF 2025, « les plafonds attribués [pour la Mires] ne permettront pas de mettre en œuvre la majeure partie de la marche LPR telle que programmée », a écrit notamment S. Retailleau, ministre de l’ESR démissionnaire, dans un courrier adressé le 4 septembre 2024 à G. Attal, alors encore Premier ministre. Il manque selon elle « 320 M€ de crédits » et « la création de 250 emplois ». ! Et puis, lorsque Bruno Retailleau va proposer les mesures ‘Guéant’ (souvenons-nous !), l’ancien Dgesip devra clarifier sa position sur les étudiants étrangers. Dans ce contexte, dénoncer l’islamogauchisme à l’université ne pourra pas lui servir longtemps, si tant est qu’il en éprouve le besoin. C’est donc une mission périlleuse qui l’attend.
Un monde politique étranger à la recherche
Curiosité de ce gouvernement (entre autres), la secrétaire d’État chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique auprès de Patrick Hetzel, Clara Chappaz n’est pas une scientifique : elle est un pur produit de ce courant de pensée qui s’intéresse à l’innovation (produit, marketing etc.) mais pas à l’innovation de rupture, formation business school oblige. Décidément, quel que soit le camp politique, le monde de la science est un objet étranger.
Car (pas seulement sur le plan budgétaire) l’appareil d’État, le monde médiatique mais aussi l’opinion publique ne s’intéressent absolument pas au 3ème budget de l’État. On nomme une fois de plus un énarque à la tête de Sciences Po (Luis Vassy), au moment où sort (malencontreusement 😉) le rapport d’évaluation du HCERES. Ce dernier juge que les crises de gouvernance que Sciences Po a traversées récemment « posent question sur les règles régissant la sélection et le recrutement du directeur », lors d’un processus « difficilement comparable aux normes internationales ». Et on relèvera que l’ambition de Sciences Po de devenir d’ici 2030 « la première université de l’Union européenne en sciences sociales » est un rêve selon le comité…On continuera ainsi à y former des politiques et hauts fonctionnaires étrangers à la culture scientifique.
4 notes éclairantes sur la recherche publique et la recherche privée
Intéressons-nous donc à l’essentiel ! 4 notes publiées entre juillet et septembre par le SIES-MESR doivent retenir l’attention en ce qui concerne la recherche.
Crédits 2024 de la recherche publique en baisse. « Les crédits budgétaires pour la recherche de la Mires en 2024″ s’élèvent « à 17,2 Md€, + 3,9 % par rapport à 2023 », soit une baisse de 1% face à une inflation de 4,9%. Près de la moitié des crédits budgétaires recherche répartis sont orientés vers les sciences du vivant (21 %), les sciences naturelles (14 %) ou l’espace (13 %), 11 % étant consacrés aux SHS.
Dépense intérieure de R&D 2023 en baisse. L’effort global de recherche en 2022 « s’établit à 58,9 Md€ en valeur, soit une augmentation de 2,6 % en volume, après une hausse de 3,7 % en 2021 ». Mais cette hausse ne peut pas masquer le fait que l’effort de recherche publique et privée rapporté au PIB (2,22 % en 2022 comme en 2021), pourrait baisser à « 2,19 % en 2023 »…
Une R&D des entreprises concentrée. Une note souligne à propos des activités de R&D selon les catégories d’entreprises en 2021 que « l’intensité de recherche des PME de recherche est nettement supérieure à celle des autres entreprises en 2021 ». Les PME consacrent en moyenne 10,2 % de leur chiffre d’affaires à des activités internes de R&D, contre 1,6 % pour l’ensemble des entreprises exécutant des travaux de R&D en interne…
Des docteurs plutôt bien insérés. L’insertion professionnelle des docteurs (2020) est plutôt rassurante dans le contexte français. Un an après leur soutenance, 89 % sont en emploi. Une fois insérés, 49 % occupent un emploi stable, 90 % ont un emploi de cadre et 95 % sont en emploi à temps plein. Et « 83 % des docteurs en emploi déclarent être satisfaits de leur situation professionnelle un an après leur soutenance. » Cependant le niveau de satisfaction varie selon la discipline : « il est plus élevé en sciences exactes et applications (86 %) et en sciences du vivant (83 %) qu’en sciences de la société (79 %) et en sciences humaines et humanités (74 %). » Petit message à l’attention du ministre de l’intérieur, 6 docteurs étrangers diplômés en France sur dix restent travailler en France…pour le bien de notre économie.
Innovation ou innovation de rupture ?
L’Observatoire des sciences et techniques du HCERES publie une étude comparative sur les dépôts de brevets à l’OEB qui crédite la recherche publique française d’une performance très bonne, surtout si on la rapporte à ses financements. 6ème pays déposant pour le total des brevets, la France se classe en 3ème position pour les dépôts issus de la recherche publique uniquement, derrière les États-Unis et l’Allemagne.
Constatons que, une fois de plus, les entreprises françaises ne se distinguent pas par leur dimension innovatrice. Heureusement 😒, les Inspecteurs des finances de l’IGF proposent de raboter le CIR de 450M€ (sur 7Mds€) … mais en supprimant notamment la bonification du CIR pour les jeunes docteurs.
C’est cette vision d’un autre temps que dénonce le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe. Il estime nécessaire de réformer l’orientation, la gouvernance et l’allocation budgétaire du programme-cadre de l’UE pour la R&I avec un doublement du budget à 200 Mds€ sur sept ans. Il reprend ce que constataient cinq économistes, dont Jean Tirole, dans un rapport publié en avril 2024 2Intitulé « Comment échapper au piège de la technologie intermédiaire ? », il est le fruit d’une collaboration entre Toulouse School of Economics, le Ifo Institute et l’Institute for European Policymaking de l’université de Bocconi (Milan, Italie).. Ils analysaient comment « l’Union européenne est en train de perdre la course à l’innovation ».
Parce que l’Europe est « prise au piège de la technologie intermédiaire » malgré l’augmentation des aides publiques à la R&D au cours des deux dernières décennies pour arriver « à peu près au même niveau qu’aux États-Unis (environ 0,7 % du PIB) ». Ce retard est dû au secteur privé, la R&D des entreprises européennes étant concentrée dans les secteurs de moyenne technologie, comme l’industrie automobile. Les dépenses de R&D des entreprises dans l’UE, avec 1,2 % du PIB, représentent environ la moitié de celles des États-Unis (2,3 % du PIB). Et ils dénoncent le fait que « l’EIC est principalement dirigé par des fonctionnaires de l’UE plutôt que par des scientifiques de haut niveau 👏. »
Précarité étudiante : un peu de nuance(s) ne nuit jamais
Une vidéo sur France Bleu Bordeaux a fait le buzz à propos d’une file d’attente d’étudiants pour des colis alimentaires. Aussitôt, l’émotion a pris le pas sur la raison 3Il faut d’ailleurs lire les témoignages qui expliquent bien la typologie des étudiants concernés. Car même si c’est évidemment un véritable problème, 500 étudiants sur 105 000 bordelais 4Dont le problème majeur est le logement., cela représente 0,47%… C’est pourquoi je préfère me référer au rapport annuel de l’Observatoire de la vie étudiante qui donne une vision nuancée des conditions de vie des étudiants et surtout incite à cibler les efforts sur les plus fragiles, un sujet ce que j’ai abordé à de multiples reprises.
Retenons 6 choses :
1. Pas d’aggravation depuis 2016. Il souligne que « si les situations de précarité sont importantes, elles restent donc de niveau relativement équivalent depuis 2016 » et en précise les contours, pour agir efficacement.
2. Une réorientation des dépenses étudiantes. « Les étudiantes et étudiants organisent différemment leur budget en réduisant certaines dépenses essentielles (vestimentaires, alimentaires ou dans le domaine de la santé) pour faire face à l’augmentation de leurs charges fixes et incompressibles (loyer, eaux, électricité, etc.).
3. Des aides en augmentation. « Entre 2020 et 2023, ce sont les montants des aides familiales et des aides publiques qui ont le plus augmenté (+ 20% pour l’aide familiale et + 31% pour les aides publiques). » Il est incontestable que tant F. Vidal que S. Retailleau ont réussi à peser pour les aides financières 5(Le repas à un euro notamment mais pas seulement : la loi dite ‘Lévi’ consacre le principe d’un accès de tous les étudiants à une restauration à tarif social et actant la création d’une aide pour ceux qui en sont privés, un décret fixant le cadre de cette nouvelle prestation. On attend l’arrêté..
4. Une typologie de la vulnérabilité. Les étudiants qui, en raison de leur âge, de la distance géographique ou encore des ressources limitées de leurs parents ne peuvent bénéficier de l’appui de leur famille sont « davantage exposé·es à des situations de vulnérabilité économique et cumulent les formes de fragilités. » L’OVE souligne que la contribution familiale aux études représente l’une des caractéristiques du modèle français par rapport aux autres pays du programme EUROSTUDENT. Ce qui alourdit selon l’Observatoire le poids de l’origine sociale dans les parcours.
5. Des effets durables sur la santé. C’est là que les effets de la crise sanitaire sont « les plus durables avec un nombre croissant d’étudiantes et étudiants qui montrent des symptômes de détresse psychologique par rapport à la situation d’avant crise, mais là encore avec des différences notables selon les ressources économiques et sociales des étudiantes et étudiants. »
6. Activité salariée des étudiants
- 4% soit 120 000 étudiants ont une activité salariée très concurrente de leurs étude et 3% concurrent soit 90 000 d’entre eux/elles ;
- 18% soit 540 000 une activité occasionnelle ;
- 19% une activité liée à leurs études (alternance etc.) ;
- Et 56% soit 1 680 000 aucune activité salariée.
Sachons raison garder ! Il y a des problèmes, mais les généraliser implique de mal cibler les étudiants(e)s les plus fragiles. Et de saupoudrer … au profit malheureusement des plus favorisés.
Nos villages gaulois Toulousains et Lyonnais résistent toujours
Heureusement, la France résiste avec 2 villages gaulois engluées dans leurs querelles byzantines. A Lyon et Toulouse, les communautés académiques s’entre déchirent et ne peuvent même pas arguer que c’est la faute de l’État ou de la météo exécrable de septembre 😊. Comme l’écrit sur X, J. Vicente, « Saison 12 Netflix de « To loose in Toulouse ». Dans ces 2 places fortes scientifiques, on a un savoir-faire indéniable pour parler cuisine locale, mais sans savoir mijoter des plats 6Notons que personne, y compris les syndicats, ne réclame sauf erreur, un retour en arrière à propos des fusions partielles ou totales d’universités sur les sites comme Strasbourg, Bordeaux, Montpellier, Clermont, Nancy-Metz, Aix-Marseille etc. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes, surtout en Île-de-France, mais les catastrophes annoncées n’ont pas eu lieu. C’est évidemment beaucoup plus compliqué au niveau des EPE au sujet de l’intégration d’établissements avec des statuts, des tutelles et des cultures différents, comme on le voit à Paris-Saclay..
A Toulouse, CNRS, région et maire de Toulouse soutiennent donc le projet et le transfert du nom ‘Université de Toulouse ‘ actuellement porté par la Comue à l’EPE Toulouse-III. La Toulouse School of economics (TSE) et l’Iep de Toulouse, membres du CA de l’université Toulouse Capitole, ont voté en faveur du changement de nom. Et tous s’écharpent avec H. Kenfack, président isolé de Toulouse Capitole, opposé au transfert du nom, qui refuse d’accepter ces changements. L’université Toulouse Capitole a ainsi voté contre le transfert du nom ‘Université de Toulouse’ au futur EPE toulousain par 21 contre, 8 pour, 1 abstention, vendredi 20 septembre 2024. Ce qui pousserait le futur EPE à adopter le nom ‘Toulouse Occitanie université’, Astérix au secours !
Spontanément 🤭, 151 responsables de 92 structures de recherche toulousaines ont écrit au nouveau ministre de l’ESR pour soutenir le transfert du nom et demander que « tout soit mis en œuvre au niveau le plus haut pour sortir de cette situation de blocage ». Et désormais, c’est Toulouse Jean-Jaurès qui apparaît comme un pôle de stabilité ! Une belle revanche !
A Lyon, ce n’est pas mieux avec des batailles lunaires et le combat pathétique depuis des mois d’un président d’université (Lyon-1 Claude Bernard) isolé, incapable de convaincre, changeant en permanence de projet, tandis que ses opposants ne sont pas plus inspirés au-delà de leurs quotas de représentations dans les instances et des directions d’écoles d’ingénieurs dont le courage n’a d’égal que le côté visionnaire.
Ce qui prouve une chose : le fantasme de l’injonction de l’État à la fusion s’est toujours heurté au principe de réalité. En fin de compte, ce sont toujours les communautés académiques qui ont la main. Et qui en appellent toujours à l’Etat, dont ils ont naturellement dénoncé les ingérences la veille, pour trouver les solutions qu’elles sont incapables de trouver,
Je conclurai ce billet en signalant et saluant le travail de Pierre-Yves Beaudouin en résidence à @UrfistNice @Univ_CotedAzur et ancien président @Wikimedia_Fr qui inventorie les présidents (et la poignée de présidentes) d’universités (1970 à nos jours).
Références
↑1 | Dans le cadre de la préparation du PLF 2025, « les plafonds attribués [pour la Mires] ne permettront pas de mettre en œuvre la majeure partie de la marche LPR telle que programmée », a écrit notamment S. Retailleau, ministre de l’ESR démissionnaire, dans un courrier adressé le 4 septembre 2024 à G. Attal, alors encore Premier ministre. Il manque selon elle « 320 M€ de crédits » et « la création de 250 emplois ». |
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↑2 | Intitulé « Comment échapper au piège de la technologie intermédiaire ? », il est le fruit d’une collaboration entre Toulouse School of Economics, le Ifo Institute et l’Institute for European Policymaking de l’université de Bocconi (Milan, Italie). |
↑3 | Il faut d’ailleurs lire les témoignages qui expliquent bien la typologie des étudiants concernés. |
↑4 | Dont le problème majeur est le logement. |
↑5 | (Le repas à un euro notamment mais pas seulement : la loi dite ‘Lévi’ consacre le principe d’un accès de tous les étudiants à une restauration à tarif social et actant la création d’une aide pour ceux qui en sont privés, un décret fixant le cadre de cette nouvelle prestation. On attend l’arrêté. |
↑6 | Notons que personne, y compris les syndicats, ne réclame sauf erreur, un retour en arrière à propos des fusions partielles ou totales d’universités sur les sites comme Strasbourg, Bordeaux, Montpellier, Clermont, Nancy-Metz, Aix-Marseille etc. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes, surtout en Île-de-France, mais les catastrophes annoncées n’ont pas eu lieu. C’est évidemment beaucoup plus compliqué au niveau des EPE au sujet de l’intégration d’établissements avec des statuts, des tutelles et des cultures différents, comme on le voit à Paris-Saclay. |
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