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Le temps est maussade avec ces giboulées de mars en avril et quelques éclaircies. Mes humeurs de printemps tournent autour de l’apprentissage et de l’enseignement supérieur privé lucratif, des vacataires de l’ESR, du lent décrochage en matière d’attractivité pour les étudiants étrangers, de la science et France Télévision et Radio France, de la vie étudiante, et enfin de Sciences Po.

L’investigation menée par le magazine de France 2 Complément d’enquête sur l’apprentissage dans le supérieur pointe des dérives dans des écoles du Groupe Galileo. Cette enquête arrive après la publication du rapport adopté à l’unanimité de la mission parlementaire sur le privé supérieur et qui juge que « le secteur privé lucratif reste un ‘angle mort’ de la connaissance de l’enseignement supérieur. »

Fausse sélectivité, concours bidons, chiffres trafiqués, encadrement limité 1On notera qu’en avril, AEF.info publiait des chiffres à méditer : les écoles de commerce post-bac comptent en moyenne un professeur permanent pour 48,5 étudiants …, contenus pédagogiques indigents, taux d’insertion professionnelle surévalués, tout ceci grâce à l’argent du contribuable : c’est un constat qu’empiriquement beaucoup (moi le premier) pouvaient faire bien au-delà du cas du Groupe Galiléo. Mais on doit remercier les journalistes d’avoir effectué ce travail factuel.

S’il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause l’intérêt de l’apprentissage, on peut et on doit s’interroger. L’économiste Philippe Martin, décédé récemment, pointait régulièrement avec de nombreux économistes la nécessité de redéployer les aides de l’Etat sur les publics réellement en difficulté, à savoir avant le supérieur, en tout cas pas en master. C’est ce qui semble se profiler.

À quoi et à qui doit servir l’apprentissage dans le supérieur ?

Une des motivations des jeunes et de leurs familles est d’avoir une rémunération, de bénéficier d’une acquisition de savoirs et de compétences différentes des filières dites « académiques », avec à la clé bien sûr une insertion professionnelle meilleure. Une des motivations de l’Etat, c’est de combattre le chômage des jeunes.

Ces promesses sont-elles tenues ? Théoriquement 😊 oui, mais à quel coût pour la collectivité ? Cela débouche sur des questions complémentaires autour des effets d’aubaine pour les familles et jeunes « aisés », les entreprises, notamment du CAC 40 et bien sûr les établissements privés, que ce soit les « Grandes écoles de commerce » ou les petites écoles du groupe Galileo ou d’autres. Chacun peut constater en ouvrant les yeux, ces familles et jeunes favorisés qui voient leurs chères études payantes … payées par l’État. Et ces établissements pour qui le chiffre d’affaires étant une obsession, le maintien des aides de l’Etat est une nécessité vitale, comme l’a très bien montré Complément d’enquête.

Le problème est que le secteur public, en particulier les universités, s’est aussi saisi de ces dispositifs, y compris en master, et ce pour plusieurs raisons : abonder des budgets insuffisants, renouveler l’approche pédagogique et favoriser l’insertion professionnelle. Et au passage moderniser son image d’institution figée dans le culte des savoirs théoriques 2 La polémique sur X autour de la révélation d’une thèse délivrée à l’université Paul Valéry de Montpellier n’aidera pas : éloge de l’anthroposophie et de la biodynamie etc. Quant à un master il promet une bienvivance et une approche du care et quantique du Leadership capacitant et vibratoire (sic). Comment cela a-t-il pu passer sous les radars ????  Lisez…

Tout ceci soulève donc une question fondamentale : comment revenir en arrière sans déstabiliser tout le système ? Car ces dizaines de milliers d’étudiants « happés » par des promesses abusives, il faudrait bien les réintégrer dans un système public ou privé non lucratif, pas seulement universitaire, ou les laisser choisir un privé à but lucratif mais alors sans subvention de l’État. Un choix éminemment politique sur le budget de l’enseignement supérieur.

Enseignement supérieur privé à but lucratif : il faut agir, et vite

On ne peut que constater la déliquescence du contrôle par l’État. On sait que la différence d’approche 🤭entre le MESR et le Ministère du travail a largement contribué à une forme de désorganisation. Il est non moins évident qu’une partie des pouvoirs publics y a vu un contournement positif à ce qu’ils estiment être l’impéritie du secteur public, en particulier universitaire. Mais qu’ont fait le MESR, ses recteurs délégués à l’ESRI et la Dgesip face à ce que tout le monde savait/sait ? Il y avait suffisamment de signaux d’alerte depuis des mois et des mois. Et il suffisait si besoin d’interroger des connaisseurs du milieu, moi et plein d’autres 🤭 : on leur aurait donner des noms d’établissements, pas seulement chez Galileo !

Qu’on me permette enfin de relever la transparence relative 😉 des écoles privées dites « respectables », je pense bien sûr aux écoles de commerce. La connaissance de leur ‘frais de prospection et de marketing’ doit être une exigence. Les suppléments des médias (Aujourd’hui en France, le Figaro étudiant etc.) font ainsi une promotion permanente d’une supposée excellence : le dernier numéro d’Aujourd’hui en France est une véritable caricature de ‘greenwashing’ magnifiant la vertu de ces écoles dans le domaine de l’écologie. Avec des publicités à la clé.

Peut-on accepter que les aides de l’Etat financent ce marketing, tandis que les universités subissent la double peine ? Elles n’ont pas les moyens d’investir dans ce pseudo marketing de l’excellence, ce qui par contraste souligne leur non-excellence.

Vacataires de l’ESR : nuancer et cibler

Le collectif ‘Nos services publics’ dénonce un « usage généralisé de la vacation » conduisant à une « désorganisation » de l’ESR. Il indique que leur nombre s’élève à 167 000 pour l’année 2021-2022 (+ 30 % en sept ans) et qu’ils représentent plus de 60 % des effectifs d’enseignants de l’ESR. Le collectif met l’accent sur 2 problèmes qui ‘pourrissent’ l’ambiance et renforcent le sentiment d’être la chair à canon de l’enseignement : le niveau de rémunération et les délais de paiement. Mais que l’on soit clair : cette « chair à canon », très inégalement répartie selon les disciplines, est envoyée au front par les établissements ET les enseignants titulaires…

Cependant, les chiffres avancés par ce collectif méritent d’être précisés. C’est ce que j’avais expliqué en mai 2023 en expliquant qu’il fallait nuancer à propos de la précarité chez les personnels de l’ESR. Pourquoi ? Parce que comme pour la précarité étudiante, à force de tout globaliser (« tous les étudiants sont précaires ») on finit pas déboucher sur des revendications et/ou des actions à côté des véritables questions.

Le collectif cite une note de la DGRH de mai 2023 qui ne mélange pas tout : peut-on comparer en termes de précarité enseignants invités, associés, ou encore lecteur/répétiteur/maître de langue étrangère à l’Inalco ? Contractuel n’est pas égal à vacataire et l’on voit que le ratio contractuel/titulaire est stable autour de 24%.

Une note d’octobre 2023, la DGRH souligne que  parmi les enseignants contractuels, « la catégorie des doctorants contractuels qui effectuent un service d’enseignement est la plus importante, avec 29 % des effectifs en 2022. » Et elle explique que « l’augmentation du nombre de doctorants contractuels a contrasté avec la diminution du nombre d’attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER), en particulier depuis le milieu des années 2000. En 2022, les ATER représentent 20 % des enseignants contractuels contre 32 % en 2004. »

Dans une analyse très fouillée, AEF.data (je conseille !) montre les vases communicants entre les effectifs de contractuels, globalement en stagnation, au profit des vacataires en nette progression. Le problème se situe effectivement sur les vacataires mais avec des différences considérables entre disciplines et établissements. Doit-on en considérer les 4 000 vacataires de Sciences Po comme des précaires ? Les professionnels intervenants dans les IUT également ? Etc. etc.

Ce qui est le plus choquant est la faible visibilité des heures réalisées par des vacataires. L’étude globale des heures complémentaires est pour le moment quasi impossible, les données étant gardées dans le coffre-fort des établissements. Mais si la transparence est indispensable, si la création de postes est nécessaire (mais pas dans toutes les disciplines comme le montrent des statistiques plus fines), le véritable scandale à court terme, selon moi, reste la rémunération et les conditions de travail (bien décrit par la note du collectif). Ce qui relève du MESR mais aussi des établissements…

Étudiants étrangers : un lent décrochage

Une chronique de Ph Bernard dans Le Monde alerte très justement sur le fait que la France « aurait intérêt à voir les étudiants étrangers comme des agents d’influence plutôt que comme de potentiels immigrés illégaux. »

Contrairement à des communiqués un peu optimistes de CampusFrance et France Universités, la chose à retenir n’est pas la hausse de + 3 % d’étudiants étrangers en 2022-2023, soit au total 412 087. Certes la France demeure le 6ème pays d’accueil, certes le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Australie ont pris des mesures restrictives dont il faudra déterminer selon CampusFrance si ce sont des « ajustements » ou bien un « changement d’ère » pour les mobilités étudiantes. Effectivement, en Grande Bretagne le modèle économique des universités est grandement fragilisé : le rédacteur en chef du THE, Phil Baty annonce qu’ « un nombre alarmant de 44 universités britanniques ont à ce jour annoncé des programmes de licenciements de personnel, soit près d’un tiers de l’ensemble du secteur national. » Un tiers !!!

Cependant sur 5 ans, la hausse en France n’est que de 17% alors qu’elle est de 39% au Royaume-Uni et 54% en Allemagne.

Et puis, « si les effectifs d’étudiants étrangers progressent dans l’ensemble des types d’établissement, les écoles de commerce connaissent une croissance plus marquée, avec un bond de 80 % sur 5 ans. Les écoles d’ingénieurs progressent de 19 % sur la période et les universités, de 8 %. » Et dans ces dernières, rappelons que la baisse est marquée au niveau doctoral (-15 %).

On peut affirmer que les débats sur l’immigration n’ont pas amélioré l’image de notre pays. Mais cela n’explique pas l’écart sur 5 ans : je renvoie à mon analyse, car il n’est pas interdit de réfléchir…

La science et France Télévision-Radio France : ça craint…

Plusieurs associations de journalistes, dont l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) lancent dans Libération un cri d’alarme à propos de France Télévisions qui « ne doit pas abandonner les sciences dans ses programmes ». Elles pointent notamment l’arrêt de la série-documentaire Vert de rage, suppression annoncée du Mag de la santé sur France 5 etc. Leurs inquiétudes méritent le respect évidemment.

Mais ne peut-on pas s’interroger sur l’absence dans les directions des rédactions (la hiérarchie) du service public de journalistes scientifiques ? Ne doit-on pas s’inquiéter des dérives d’une pseudo information scientifique en vogue sur les antennes publiques ? Car sur France TV et radio France, on ne peut que constater l’essor des sujets dont la science a montré depuis longtemps l’inefficacité, voire le danger (naturopathie etc.) sans parler des accents complotistes sur tout ce qui concerne les OGM ou tout simplement militants comme La terre au carré, et son tropisme ‘Soulèvements de la Terre’ ? Un exemple emblématique est la mise sur orbite de l’ ‘hydrologue’ E. Haziza sur France Inter, quasi porte-parole officielle de la science sur ce sujet alors qu’en réalité elle développe son business (pourquoi pas) de conseil aux mairies, par exemple sur les plan de prévention des inondations… France Inter a même été obligée sous la pression de démentir ses affirmations

N’est-ce pas cela la véritable privatisation du service public ?

Vie étudiante et gestion des universités

Les universités ont été beaucoup critiquées, par la Cour des comptes, non-publiquement par le MESR, ouvertement par des associations étudiantes, sur le fait que l’on ne voyait pas la couleur de l’argent récolté avec la CVEC. Toujours cette méfiance centralisatrice et cette vision court termiste. Eh bien, les chiffres et les faits sont là : en 2022, 103,7 % de la CVEC ont été dépensés, contre 64,3 % en 2021, selon une enquête de la Dgesip présentée lors d’un séminaire sur cette taxe affectée. Cet excédent s’explique simplement par le fait que les établissements ont constitué des cagnottes sur des projets de longue durée (équipement culturel ou sportif etc.) : faut-il les blâmer ?

Sciences Po et l’antisémitisme

Ne relativisons pas ce qu’il se passe à Sciences Po autour de l’antisémitisme. Dire que les étudiants de Sciences Po sont antisémites, non, 3 fois non. Mais que les militants présents le soient, il y a de fortes chances… Le silence et la lâcheté de beaucoup d’universitaires n’en sont que plus terribles.

Il aurait pourtant été facile pour LFI et ses députés, leurs 200 militants de dénoncer les victimes civiles à Gaza et réclamer en même temps la libération des otages, de soutenir l’opposition à Netanyahou qui, elle, a le droit de manifester, de dénoncer le financement par la grande démocratie qu’est le Qatar de certaines universités, de dénoncer les massacres en Syrie, au Soudan, des ouïghours, des iraniennes. Mais voilà, il n’y a pas de Juifs à stigmatiser. Vous me direz, l’ayatollah Khamenei a apporté son soutien aux mouvements sur les campus : on a les amis que l’on mérite.

Pendant ce temps, l’université de Haifa a nommé la neuroscientifique Mona Maron comme rectrice, ce qui fait d’elle la première Arabe israélienne à être nommée à ce poste en Israël. L’apartheid se porte bien.

Relativisons ce qu’il se passe à Sciences Po autour de l’ampleur du mouvement. J’ai connu (et organisé) comme étudiant grèves et occupations. C’est un peu un passage obligé, souvent ridicule il faut l’avouer, de la jeunesse politisée et venant la plupart du temps de milieux favorisés (j’étais une exception 😊). Le conflit israélo-palestinien est peut-être, comme le souligne l’ancien ambassadeur Gérard Araud, « une cause emblématique comme la guerre du Vietnam ». J’ajouterai cependant un gros bémol : dans les années 70/80, les luttes étaient (très) violentes mais jamais un étudiant ou une étudiante n’était pris à partie, à part par le GUD, parce qu’il était juif, noir, arabe, etc.  A l’heure où j’écris ces lignes, je pronostique que cette opération militante de LFI dans les universités ne prendra pas : elle sera localisée comme d’habitude à quelques bastions militants.

En tout cas, il faut saluer l’appel de chefs/cheffes d’établissement « Les universités ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques » et la fermeté de la ministre de l’ESR lorsqu’elle dénonce notamment le fait de « demander l’arrêt des coopérations académiques avec Israël ». Il faut qu’elle transmette cette position à J. Bassères qui a accepté d’en discuter avec les militants LFI…  Enfin, j’ai découvert que les universités américaines n’avaient pas de Cneser disciplinaire : elles suspendent directement leurs étudiants 🤭. Au passage, à propos de la décision du président de l’université de Lille d’interdire la tenue d’une réunion de LFI j’invite à lire l’intéressante contribution d’Olivier Beaud, professeur de Droit à Paris-II Panthéon-Assas.

Pour finir, l’activisme de LFI va contribuer une nouvelle fois à faire monter le RN. Mais n’est-ce pas le but recherché pour créer une situation pré-révolutionnaire (je connais mes classiques !) ?


Références

Références
1 On notera qu’en avril, AEF.info publiait des chiffres à méditer : les écoles de commerce post-bac comptent en moyenne un professeur permanent pour 48,5 étudiants …
2 La polémique sur X autour de la révélation d’une thèse délivrée à l’université Paul Valéry de Montpellier n’aidera pas : éloge de l’anthroposophie et de la biodynamie etc. Quant à un master il promet une bienvivance et une approche du care et quantique du Leadership capacitant et vibratoire (sic). Comment cela a-t-il pu passer sous les radars ????  Lisez…

One Response to “Humeurs de printemps sur l’enseignement supérieur et la recherche”

  1. L’ouverture de l’apprentissage depuis 2018 a surtout permis à de très nombreux jeunes issus de milieux populaires d’accéder et de réussir dans l’enseignement supérieur professionnalisant. Nous l’observons plus particulièrement dans les villes moyennes où le taux de poursuite d’études des bacheliers semble s’améliorer significativement (il faudra le mesurer exactement). Dans ces territoires, des établissements privés (ESPIG ou dit lucratifs) contribuent à ce mouvement. Notamment sur les formations d’ingénieurs, paramédicales, et pour les fonctions support (indispensables aux TPE-PME-ETI de ces territoires, et auxquelles les écoles dites « de commerce » préparent plutôt bien). L’apprentissage est aussi une opportunité pour conforter ou développer les « antennes universitaires » par exemple en BUT ou en Licence Pro (post BTS).
    Mais même avec le financement par l’apprentissage, ouvrir de nouveaux départements d’IUT suppose aussi des créations de postes de fonctionnaires, et là c’est tout de suite plus compliqué, hélas. L’université ne joue pas à armes égales avec les opérateurs privés. Ces derniers ont plus d’agilité pour répondre aux attentes de acteurs territoriaux, collectivités ou entreprises. Mais le risque est alors de fracturer le territoire national : le public dans les métropoles et le privé dans les villes moyennes.

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