Alors que le salon Vivatech, « vitrine » de l’innovation vient de s’achever, est-on sûr que l’on parle en France, à propos d’innovation, de la même chose ? Car l’innovation (chacun peut innover !) n’est pas l’innovation de rupture, de même qu’une création d’entreprise n’est pas une start-up. C’est bien le cœur de la confusion française, dont les élites coupées de la recherche fonctionnent à coup d’engouements et d’effets de mode. Examinons les effets du CIR et analysons ce que disait Cédric O, conseiller d’Emmanuel Macron, lors d’une matinée de l’ANRT consacrée au numérique. Avec une question légitime : les pouvoirs publics, depuis des années, ne font-ils pas fausse route en confondant innovation et innovation de rupture ?
La Cour des comptes estime que « l’étude de l’efficacité du CIR au regard de son objectif principal, à savoir l’augmentation de la Dirde, reste difficile à établir », dans son rapport sur « Le budget de l’État en 2017 ». Et elle ajoute qu’« en l’absence de données pertinentes, l’administration n’est pas en mesure de déterminer, pour l’heure, l’impact du dispositif sur la création d’emplois ». Alors que le montant global du CIR devrait avoisiner en 2018 près de 6 Mds d’€, on peut s’interroger sur la pertinence, non pas du CIR, mais de son dispositif, qui n’a pas fait exploser les contrats avec la recherche publique ou l’embauche de Ph D.
Car la France a l’habitude de légiférer, avec des entreprise françaises biberonnées aux aides de l’État (le culte de la rente) : faut-il rappeler qu’il a fallu contraindre celles-ci dans l’après 68 à s’engager dans la formation de leurs salariés ? Comme si ce n’était pas naturel de le faire pour rester compétitif ! Or, le monde de l’entreprise en France, par son positionnement moyen de gamme, et par l’origine de ses principaux dirigeants, non formés à la recherche, est culturellement décalé par rapport à ce que signifie l’innovation.
Une législation favorable fait-elle changer les comportements ? On peut en tout cas s’interroger en matière de recherche et d’innovation. Les échanges dans le cadre d’une matinée de l’ANRT autour de son livre blanc (avec Futuris et l’académie des technologies) « Pour une politique industrielle du numérique » le montrent. Car notre pays pèche avant tout sur l’innovation de rupture, et donc le lien avec la recherche.
Il est vrai que l’on parle beaucoup de la difficulté qu’ont les entreprises à comprendre l’organisation de notre système de recherche. Cette remarque est juste mais débouche sur un constat : si elles avaient plus de personnels issus de la recherche, cette difficulté serait largement aplanie.
Le manque de diversité thématique des élites françaises
Cédric O, conseiller d’Emmanuel Macron, soulignait l’écart de 65 Mds d »€ de dépenses R&D entre l’Allemagne et la France, essentiellement lié aux entreprises, même si le profil de l’industrie française est un handicap. Il remarquait qu’il était plus simple pour l’État de jouer sur l’assiette du CIR, « car ça on sait faire, tandis que les Américains ont eux des fonds de pension » pour investir dans l’innovation.
Lucide, il notait que la French tech est une « belle réussite, mais sur des services » et « sans avantage technologique ». Et Cédric O de regretter que la plupart de ces entrepreneurs (Blablacar etc.) viennent d’HEC : « j’en viens, mais le problème est qu’un HEC face aux biotechs ce n’est pas adapté ! »
Il pointe donc le véritable problème de la formation des élites françaises : leur diversité thématique. Passons sur leur diversité ethnique et/ou sociale, une question majeure souvent relevée. Passons également sur le fait qu’elles viennent essentiellement des Business schools, des Grandes écoles d’ingénieurs ou de Sciences Po : la plupart des pays développés ont des « usines » à élite. Mais c’est l’absence cruelle de scientifiques, de chercheurs dans les élites françaises qui frappe le plus. Or les grandes réussites américaines ou israéliennes proviennent de la recherche, pas des Business schools.
L’aversion au risque et l’innovation de rupture
Je suis déjà revenu sur l’enquête du Medef et de l’association des Centraliens qui pointait ce qui mine les grandes entreprises françaises, à savoir l’aversion au risque. Le culte du plan est l’autre face de ce miroir. A chaque débat sur l’innovation, les réponses françaises sont des mesures réglementaires, des plans, des subventions. A tel point, comme le relèvent désormais de nombreux observateurs, que le but de beaucoup de start-uppers est avant tout de lever des fonds ou d’obtenir des aides. L’enjeu est pourtant de prendre à bras-le-corps le problème du management à la française, ce que le sociologue Philippe d’Iribarne avait superbement cerné dans son livre « La logique de l’honneur ».
Or, par nature, l’innovation de rupture, le fameux avantage technologique, ne se prévoit pas. C’est d’ailleurs pourquoi, ce que rappelait Cédric O, de plus en plus de groupes (c’est le cas dans l’industrie pharmaceutique) misent sur des start-up issues de la recherche, capables de briser les frontières. Certes les chercheurs ne sont pas programmés pour l’entreprise, mais sans eux, rien ne se fera.
Frédérique Vidal, expliquait récemment, à French Tech Central, que si « le temps de la recherche n’est pas celui de l’entreprise », il faut « des passeurs de temps capables de rendre les choses plus compréhensibles pour mettre de l’agilité dans le système. » Et Guillaume Boudy, secrétaire général pour l’investissement d’indiquer réfléchir à une « French Tech recherche qui permettrait de mieux accompagner les chercheurs qui décident de sauter le pas et de se lancer dans le grand bain du business ». Encore une structure, toujours des structures ? Les 200/250 M€ annoncés par le Premier ministre pour l’innovation de rupture, avec un nouveau conseil créé ? n’auraient-ils pas pu être ajoutés au budget de l’ANR ?
Il suffit de regarder ce qui marche à l’étranger. Mes observations me portent de plus en plus à penser que le problème ne se situe pas d’abord dans la recherche publique, mais bien dans la culture entrepreneuriale française. Lors de cette matinée de l’ANRT, à un responsable d’entreprise qui réclamait de former plus de Data scientists, une chercheuse ENS Paris-Saclay-CNRS rappelait que face aux atermoiements des entreprises françaises, celles et ceux qu’ils formaient partaient à l’étranger… Attirer, garder les talents vaut bien quelques uns des milliards dépensés depuis des années dans des dispositifs qui tardent à produire leurs effets.
Du pur bon sens, Cher Jean Michel ! Et donc pratiquement aucune chance que nos chers « décideurs » prennent en compte les arguments que tu présente ici ??