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Après avoir tenté de resituer le contexte des actions des président(e)s d’université, essayons de comprendre pourquoi ils/elles sont si peu audibles dans la société française. Hypnotisés par leur relation avec le MESR, ils/elles peinent à sortir de débats internes abscons, à l’image en fait de leurs communautés. Alors que la situation des universités est difficile, n’est-ce pas faire fausse route que d’essayer de convaincre l’État et les parlementaires sans convaincre d’abord la société et les familles ?

Le 3ème budget de l’État intéresse peu de monde, sauf en cas d’ »éruption étudiante », les universités et la recherche n’étant pas une priorité politique. Pour les Présidents et Premiers ministres, quels qu’ils soient, pour la technostructure et les réseaux d’influence, ce monde leur semble abscons, est perçu au travers de stéréotypes qui ont la vie dure mais aussi à partir de réalités indiscutables. Et contrairement à une idée reçue, le pouls de la société n’est pas forcément déconnecté des décideurs dans ce domaine : l’université est rarement le premier choix.

Un manque réel de confiance dans les universités 

Bien sûr, le sous financement a des conséquences concrètes sur les conditions d’études que voient les familles. Mais il est clair aussi que l’absence de transparence, une gestion perfectible au quotidien pour les étudiants, une évaluation sans véritable conséquence, font partie des ingrédients de ce manque de confiance.

Pourtant, des transformations majeures ont été opérées dans les universités : pas seulement des fusions (qui sont en réalité quantitativement marginales) mais des (re)positionnements, des choix forts que l’on aurait tort de sous-estimer en matière de différenciation. Et on parle trop peu du fait que la préoccupation de la pédagogie, de l’insertion professionnelle, n’aurait jamais pris cette place (encore fragile) sans l’impulsion politique des présidents, appuyée sur des appels à projet. Et dans les territoires les universités jouent un rôle considérable et leurs présidents sont en général parfaitement identifiés et reconnus par les collectivités locales, notamment en matière de recherche et d’innovation.

Sortir des explications habituelles

Malgré tout cela, alors même que tous les pays comparables accélèrent, la confiance n’est pas au rendez-vous, ce que traduit cette absence de priorité. Une explication classique, qui a sa part de vérité, consiste à dire que c’est le reflet d’une « université mal aimée », avec une faible représentation du monde scientifique dans les cénacles de l’État et de sa technostructure, et un MESR étouffant qui entrave leur autonomie. Bien. Mais les présidents peuvent-ils s’en laver les mains ?

Peut-on en 2023 (nous y sommes) continuer de le « déplorer » sans s’interroger sur d’autres raisons ? Pourquoi la confiance dans les universités n’est-elle toujours pas au rendez-vous ? Pourquoi cela n’imprime-t-il pas dans l’opinion publique, dans les familles et chez les étudiants ?

Il est indéniable que l’université de 2023 n’a plus grand-chose à voir avec celle des années 70 ou même des années 2000. Et pourtant, son image demeure brouillée, ses réussites mal connues, ses défauts exacerbés. Ce n’est bien sûr pas une question de bonne ou mauvaise communication, encore que sur ce sujet que les universités n’ont toujours pas compris la différence entre communication et relations presse… Les chefs d’établissement ne sont-ils pas en réalité confrontés à un nouveau défi collectif ? Celui de parler à la société telle qu’elle est ?

Sortir du microcosme … et de la ‘ministère dépendance’

Comment se faire entendre non seulement des cercles habituels (pouvoirs publics, parlementaires) mais de la société dans son ensemble ? Dans une interview bilan à AEF le président de France Universités, Manuel Tunon de Lara, estime que les présidents et les universitaires doivent sortir « de leur microcosme, lever le nez du guidon, tenter d’avoir une certaine hauteur de vue, sur le long terme. »

Sortir du ‘microcosme’, soulève cependant une question préalable essentielle, celle de la relation avec le MESR. René Rémond l’avait déjà pointé : “Divisés, les partisans de l’autonomie se heurtent au poids de la tradition jacobine, présente chez les partisans affichés du centralisme mais aussi, paradoxalement, en eux-mêmes : on est frappé par la prégnance des ‘habitus’ qui semblent guider les acteurs presque malgré eux vers des décisions contraires au discours autonomiste qu’ils professent.”

Au fond, les présidents sont à l’image de leurs communautés, englués dans des questions internes qui ne parlent pas à la société, encore moins aux étudiants et à leurs familles : ils sont tournés en permanence vers l’État. Toute leur énergie, de France Universités à Udice en passant par l’Auref est tournée vers des questions internes certes importantes. Mais que leur reste-t-il comme temps et comme énergie pour parler à la société ? En quoi le CNU, le GVT ou le point d’indice sont-ils plus stratégiques que les préoccupations des familles par exemple ?

Oser deux ruptures ?

Changer de paradigme suppose probablement d’oser 2 ruptures.

La première est de passer de la ‘coproduction’ avec le MESR à la concertation, ce qui n’est pas la même chose et n’implique pas d’organiser des manifestations rue Descartes… Car quelles que soient leurs dénégations, les présidents d’université vivent dans un univers dans lequel le MESR et l’État central dictent leur agenda.

On en a eu un exemple symboliquement flagrant avec le feuilleton du ‘dialogue stratégique de gestion’ critiqué de toute part … dans les couloirs. Idem pour France 2030 et bien d ‘autres sujets. Cela aurait-il ouvert une crise majeure avec la tutelle de dire STOP ? Bien entendu non… Mais il est vrai que de nombreux présidents continuent de tenir conférences de presse de rentrée, cérémonies avec leur ange gardien, la rectrice ou le recteur… Ce qui doit étonner leurs collègues étrangers ! De fait, cette « coproduction » avec le MESR les enferme dans une nasse dont ils peinent ou ne veulent pas sortir.

Conséquence, les dirigeants en viennent à sous estimer complètement leurs poids et leur influence vis-à-vis de pouvoirs publics, pourtant plus inquiets des manifestations étudiantes que du ‘wokisme’ supposé…

La seconde est de jouer à tous les niveaux la carte de la transparence comme levier de transformation. A la fois représentants de leurs communautés et d’un État français hypercentralisé, les présidents d’universités sont dans une situation ambivalente qui débouche vite sur l’ambiguïté. Cependant, à quelques exceptions comme les CPJ, leurs demandes recoupent celles de leurs communautés et des étudiants : financement, précarité etc. La transparence au sein des établissements et son corollaire l’évaluation est, si ils le veulent, un levier de transformation majeur. Elle permettrait de prendre positivement à témoin l’opinion publique, les médias. Mais elle implique de jouer cartes sur table, ce qui renvoie aux ‘clientèles électorales’…

Se tourner vers la société : un choix contraignant mais gagnant

Il s’agit évidemment d’un défi énorme et multiforme autrement plus complexe que la relation avec le MESR ! Cela concerne évidemment tous les universitaires. Mais le ou la présidente d’université a un rôle essentiel, d’incarnation. On l’a vu, pris entre le marteau des injonctions/réformes des pouvoirs publics et du MESR et l’enclume de leurs communautés, les présidents passent leur temps, et ceci au sens littéral du terme, à arbitrer et/ou de décider de choses légitimes mais invisibles pour l’opinion publique.

Depuis des années, j’ai eu l’occasion de rencontrer des dizaines de responsables de la société civile (chefs d’entreprises, membres de la technostructure y compris à Bercy, agences et conseils divers, dirigeants d’associations professionnelles d’entreprises, réseaux divers etc..) : j’étais toujours fasciné par l’incroyable méconnaissance non seulement de ce que sont les universités mais de qui sont leurs représentants institutionnels. Les présidents d’université ? A quelques exceptions près, inconnus !

Doit-on une fois de plus dénoncer ce fait ou prendre à bras le corps ette question ? Les présidents sont globalement absents des réseaux de décideurs qui, on peut le regretter mais c’est comme cela, sont à Paris. Et même en région, en dehors des collectivités, j’ai pu mesurer la faiblesse des relations avec les réseaux de décideurs. Comment pourrait-il en être autrement dans la relation de dépendance qu’ils/elles ont noué avec le MESR ?

Or ceci repose sur des relations personnelles, et pas la simple présence à un colloque ou à une inauguration. A l’inverse, partout on rencontre des dirigeants de Grandes écoles, de commerce, d’ingénieurs. A l’image du président de la CGE, et ses tribunes dans Les Echos, ils sont aussi présents dans des « libres opinions » dans les médias, superbement ignorés par les présidents d’universités.

Or c’est comme cela que l’on porte efficacement un discours, des messages, pas simplement par le compte-rendu du colloque annuel ou de la conférence de rentrée. Convaincre l’opinion publique dans sa diversité, avec ses réseaux, les médias, c’est à coup sûr plus complexe mais plus efficace qu’une réunion avec un chef de bureau à Bercy !

Aiguiser les messages

Il reste enfin la nature des messages portés. On le sait, pour être audible, il faut des positions claires, voire tranchées, notamment pour que les médias s’y intéressent. D’ailleurs sur la question ‘woke’, le communiqué de la CPU désavouant de fait et F. Vidal et JM Blanquer avait eu un écho considérable.

Je ne vais pas faire de langue de bois : ce qui domine et reste, c’est le côté souvent abscons de textes longs et pour tout dire assommants lié à un souci permanent du consensus et symboles d’un enfermement dans les débats internes. On pourrait prendre de nombreux exemples, c’est aux présidents d’université d’y réfléchir. J’en prendrai simplement deux qui seraient l’occasion de parler … aux gens normaux 😀.

D’abord, celui de l’enquête accablante de la DGCCRF sur les manquements d’établissements d’enseignement supérieur privés et les formations contrôlées par l’État. Les universités pourraient porter une parole forte auprès des familles qui pensent que payer cher est une garantie de qualité. Ce serait l’occasion de promouvoir l’université comme facteur de cohésion sociale et de démocratisation etc.

Ensuite, celui de toutes ces publications (Cereq, Sies-MESR, Depp) sur les diplômés qui donnent des arguments positifs aux présidents d’université : elles parlent bien plus à l’opinion publique qu’un texte sur le GVT !

Je conclurai ces deux articles sur les présidents d’université en rendant un hommage ému, très triste coïncidence, au président de l’université de Bretagne Occidentale, Matthieu Gallou, décédé ce 14 décembre.


Une gestion d’après-carrière difficile et ambiguë

Le double mandat de 4 ans accentue leur décrochage par rapport à leur métier de base et de fait limite leur retour normal dans leur communauté. Au passage, on entend ici ou là une dénonciation des présidents qui n’auraient pas un profil suffisamment ‘recherche’ mais personne ne s’inquiète de savoir s’ils étaient de bons enseignants ! Devenus des administrateurs de la recherche, ce qui n’a rien d’indigne, ils/elles ont acquis en général de véritables compétences.

Mais à de rares exceptions près, et plutôt dans les écoles et sur nomination, il est quasiment inenvisageable aujourd’hui de postuler comme « étranger » à la direction d’un établissement, y compris si l’on est français : il s’agit comme on l’a vu de régler d‘abord des questions internes. Ainsi, l’expérience acquise, indéniable même si de qualité variable, ne peut leur ouvrir que des fonctions à la discrétion de l’État : recteurs, cabinet, agences etc. Ce qui limite forcément leur degré de liberté et les rend dépendants, alors même que le deuxième mandat est supposé leur permettre de briser quelques chaînes.

3 Responses to “Président(e)s d’université (2) : des influenceurs qui s’ignorent”

  1. Merci pour ce billet qui comme toujours est excellent et très riche.
    On peut quand même se demander si le manque de confiance de l’Etat envers les universités et leurs dirigeants n’est pas dû aussi à un problème de gouvernance profond : le mode de nomination (ou d’élection) des présidents et CA des universités leur donne de facto une mission de défense des intérêts de leurs électeurs qui n’est pas toujours entièrement alignée avec l’intérêt général tel qu’il peut être compris au niveau de l’Etat. Là aussi il y a des spécificités françaises qu’il serait intéressant d’analyser.

  2. Merci de ces deux articles qui résument bien les problématiques de la fonction de président d’université.
    Je souscris globalement à votre analyse.
    Les présidents d’université ont certainement une responsabilité face aux carences que vous identifiez mais on peut noter tout d’abord que notre communauté de l’ESR ne parvient pas à sortir des préjugés et des postures absurdes vis à vis des notions de management et de pilotage même si les transpositions directes depuis le secteur de l’entreprise ne sont bien évidemment pas souhaitables. Ce n’est pas qu’un problème de présidents mais bien un enjeu de changement de culture de notre communauté pour pouvoir donner plus de sens et de réalité à l’autonomie et la responsabilité des établissements et doter ces derniers d’une gouvernance adaptée à ces enjeux. A ce niveau, il serait sans doute utile que des modules de formation et de sensibilisation aux enjeux du management puissent être proposés dans le cadre de la formation continue des enseignants chercheurs et qu’ils soient largement accessibles à la communauté bien en amont d’une candidature à la fonction de président.

    Le dernier paragraphe « Une gestion d’après-carrière difficile et ambiguë » donne, de mon point de vue, une clé essentielle.
    Je peux témoigner comme beaucoup d’autres que l’après carrière des présidents est complexe et il est globalement difficile de réatterrir après son mandat même pour ceux qui ne sont pas accros du pouvoir et de la voiture de fonction !!!
    Les pistes d’atterrissage sont, comme vous le signalez, réduites et essentiellement à « la discrétion de l’Etat ». Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui préfèrent la prudence et le politiquement correct plutôt que des positions fortes et affirmées. Le rôle de France Universités n’est pas neutre dans ce domaine et je souscris totalement à votre idée de passer de « la coproduction avec le MESR à la concertation ». Les ministres changent mais La technostructure du ministère perdure avec trop de cadres qui n’ont jamais exercé de fonctions dans les établissements. On a le sentiment que cette technostructure anesthésie et conditionne en quelque sorte les présidents au travers des multiples interactions porteuses effectivement d’ambiguïté notamment pour ceux qui sont préoccupés par l’après présidence.
    Au risque d’être politiquement incorrect, il faudrait enfin oser dénoncer le rôle particulièrement néfaste des réseaux omniprésents dans de nombreux processus de nomination ce qui conduit certains à préférer le jeu du repliement sur le microcosme ESR comme vous le regrettez….
    Robert Fouquet
    Ancien président de l’Université Jean Monnet Saint Etienne
    Créateur du blog Enseignement Supérieur Recherche et Assurance Qualité (EsrAq)

  3. Il faudrait aussi avoir une vrai politique de la conduite de changement. Avec enquête au moral du personnel. On ne peut pas conduire de changement avec les familles, les étudiants sans personnel motivé et avec le moral. Pour pouvoir apprécier l’autonomie, il vaut avoir un story telling qui la valorise et des valeurs morales qui aident.

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