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Donc, pour avoir un pays gouvernable, il va falloir faire des compromis. Compromis, oui mais quel compromis ? Pour l’ESR, comme pour le reste, avec qui et sur quoi ? Face à des positions souvent irréconciliables au niveau national, posons-nous une question : et si, dans un secteur adepte des compromis permanents, l’enjeu de ces compromis favorisait paradoxalement une nouvelle étape pour l’autonomie ? Avec un “créneau” étroit, à la fois pour les établissements mais aussi pour la ministre. Explications aussi sur l’hypothèse d’un 3ème tour social à l’université.

Le secteur de l’ESR pourrait-il paradoxalement profiter de cette situation qui ne va pas être simple ? Question a priori bizarre, mais pas tant que cela. Les faits me démentiront peut-être mais j’y vois 4 raisons. La première, c’est qu’il est certain qu’il n’y aura pas de majorité pour remettre en cause l’édifice institutionnel et organisationnel du système. La seconde, c’est que cet édifice est proche de l’embolie et qu’une inflation législative dans ce secteur de l’ESR est peu envisageable. La troisième est que le gouvernement ayant une majorité relative, il ne pourra imposer des évolutions mais devra écouter et nouer des alliances, en particulier avec des corps intermédiaires ignorés pendant 5 ans. Et la quatrième, c’est que les dynamiques locales, quelle que soient l’appellation qu’on leur donne sont de plus en plus incontournables.

En résumé, cette “stabilité” fait que les débats vont de plus en plus se polariser sur les questions les plus concrètes que se posent établissements, étudiants et communautés, loin du prurit législatif et réglementaire que l’on a connu depuis des années. Une situation adaptée à des communautés spécialistes du compromis 😀 !

Ensemble ! NUPES, LR : des compromis difficiles

Si l’on met de côté le programme du RN, qui se résume à la “préférence nationale”, et dont le vide est abyssal, la comparaison détaillée des projets et/ou des discours, celui de la NUPES, de LR et sa candidate V. Pécresse ou d’E. Macron montre, au moins dans les discours, des constats partagés non négligeables : réinvestir dans l’enseignement supérieur et la recherche, en particulier dans les universités, en accélérant le rythme, en favorisant le temps long de la recherche autour de crédits récurrents suffisants et enfin en améliorant les conditions de vie des étudiants.

Cela pourrait-il être le point de départ d’un débat et de solutions transpartisanes 1“La compromission c’est la lâcheté. Le compromis, c’est le courage” selon les propos attribués à la figure de la résistance à l’oppression communiste en Pologne, Adam Michnik. Malheureusement notre pays est plutôt habitué à l’intransigeance et au dogmatisme, l’autre forme de la lâcheté, comme on l’a vu sur Parcoursup, l’autonomie, les appels à projet etc. : soit on est pour, soit on est contre, la vie en noir et blanc. ? Probablement non car à partir de là les ennuis commencent et les solutions divergent ! Il y a des clivages marqués sur l’orientation et la sélection, l’organisation du système par exemple, et puis des zones grises sur la façon de simplifier et débureaucratiser, ou encore sur le rôle des organismes nationaux, des appels à projet.

Cependant, côté LR et Ensemble !, on possède à l’évidence, au-delà des postures, une position globalement convergente sur l’autonomie des universités, le PIA, Parcoursup etc. Mais la polarisation politique étant ce qu’elle est, ces positions partagées déboucheront-elles sur des consensus possibles ? D’autant que l’on n’entend pas de véritable remise en cause, en dehors du manque de financements (le constat ne coûte pas cher…), de ce qui n’a pas marché, par exemple sur les raisons de la bureaucratisation sans précédent du système, de sa faible réactivité, et du maintien d’une inégalité choquante entre le financement des filières universitaires et les autres, et enfin du faible impact du CIR.

Côté NUPES, le ‘big bang’ institutionnel proposé ou encore la remise en cause de l’autonomie des universités, vue comme l’outil du démantèlement du service public, laissent peu de place à des compromis. Certes, des nuances existent au sein de la NUPES, le PS n’étant pas sur la même longueur d’onde à propos de l’autonomie tout en ayant validé l’abrogation des lois LRU et Fioraso. Il faut également noter la non-réélection de C. Villani (EELV) qui avait cherché à tempérer ce programme notamment sur l’ANR 2Ajoutons que ce dernier incarnait chez EELV une vision plus proche de la science que la fraction EELV proche elle des délires complotistes de Michelle Rivasi. ou à l’inverse celle de William Martinet (LFI), ancien président de l’Unef. Par ailleurs, comme je l’ai expliqué, la NUPES est face à une contradiction majeure sur la sélection : dénonçant Parcoursup, elle reste silencieuse sur les filières, universitaires ou non, déjà sélectives. Au risque d’apparaître comme protectrice des “privilègiés”, un comble !

Impasse donc ? Le premier acte (et test) sera le budget de l’ESR dans la loi de finances, avec peut-être une bonne nouvelle : on n’imagine pas le budget baisser et on peut espérer une mise à niveau ! Néanmoins ce secteur peut aussi être une victime collatérale de la guérilla parlementaire sur d’autres sujets, voire de compromis ‘foireux’ (si je peux me permettre), avec des mesures inapplicables … qui ajoutent de la complexité.

Le poids des dynamiques locales

Alors, les établissements et des communautés peuvent-il profiter d’une forme de stabilité pour utiliser les capacités d’initiatives permises par les textes, proposer des solutions nouvelles, jouer également sur les contradictions des uns et des autres ? De quelque côté que l’on regarde, l’ensemble des étudiants des universités 3Auxquels on se doit d’ajouter le million de toutes celles etc eux qui n’y sont pas, BTS, privé etc., des personnels Biatss, enseignants-chercheurs/euses, chercheurs/euses, sont de plus en plus confrontés à des problématiques et choix majeurs au niveau local, y compris avec leurs instances représentatives.

L’enjeu des compromis souhaitables s’est désormais déplacé de façon irréversible : désormais, sur la plupart des sujets, les stratégies et dynamiques d’établissements priment. On l’a vu sur la mise en place des CPJ. C’est vrai également pour Parcoursup., et encore plus sur la prise en compte des enjeux de développemnt durable. Cela signifie-t-il que l’enjeu national n’existe plus ? Non bien sûr. Il y a les grandes orientations nationales, les “compromis” négociés avec le ministère par certains syndicats, à l’image de la partie RH de la LPR (avec parfois comme conséquence des usines à gaz 🤔). Ou encore ceux négociés par des associations et conférences diverses, dont France Universités est la représentante emblématique.

Mais il y a avant tout ces milliers de compromis quotidiens, humains, disciplinaires, organisationnels etc. qui sont les poumons du monde académique. Car l’enjeu national a changé de nature dans l’ESR : le pouvoir politique peut encourager, entraver ou freiner, mais n’a plus la main sur le terrain, quoi qu’il en pense. Cela a d’ailleurs été le talon d’Achille du tandem F.Vidal/E.Macron comme on l’a vu de façon caricaturale à propos de la polémique sur l’islamo-gauchisme.

A cet égard, le discours anti-autonomie et recentralisateur rencontre les mêmes limites que celui favorable à la compétition à outrance par les appels à projets. Car c’est justement la recentralisation et le “tout” appel à projets qui étaient rejetés. En résumé, la véritable “machine à compromis” est désormais au niveau des sites et des communautés, souvent loin des mots d’ordre nationaux.

S. Retailleau : opération « déminage »

Quid dans ce contexte de la stratégie de la ministre ? En évoquant devant le Cneser, et ce avant même les résultats du 2ème tour, la “méthode renouvelée” qu’elle compte employer afin de favoriser “le dialogue et la concertation avec l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur” , elle prend de fait le contrepied de sa prédécesseuse. S. Retailleau (si elle reste ministre évidemment !) peut sans problème gouverner sans nouvelle loi sur la plupart des sujets, y compris financiers. Ne serait-ce d’ailleurs pas une bonne nouvelle ?

Plus de dialogue, moins de centralisme, moins de verticalisme, plus d’empathie etc. : ce discours sera-t-il crédible ? En précisant qu’elle “s’attachera pour chaque établissement à simplifier les procédures et à favoriser les initiatives”, en réaffirmant son plaidoyer pour le temps long de la recherche, pour l’équilibre à trouver entre crédits récurrents et appels à projet, son souci des étudiants, elle ouvre la voie à un apaisement généralisé.

De ce point de vue, la mise en place de “contrats d’objectifs, de moyens et de performance” qui se substitueraient aux contrats stratégiques actuels de court terme sera un test important : le ‘duo’ jamais convergent évaluation-financements va se retrouver sur le devant de la scène.

Mais la ministre et son administration, recentrées par la force des choses sur l’essentiel, pourraient-elles à la fois obtenir (enfin) des financements à la hauteur et redonner la main aux acteurs du système ? Sylvie Retailleau saura-t-elle manœuvrer dans ce contexte politique compliqué et obtenir les arbitrages budgétaires nécessaires ? Et saura-t-elle aussi encourager les initiatives et gouverner sans circulaires ?

On peut en tout cas légitimement se poser une question : cette situation d’apparent blocage politique à l’Assemblée nationale, pourrait être paradoxalement le « printemps » de l’acte 2 de l’autonomie … Pour peu que les acteurs de l’ESR relèvent le gant.


L’hypothèse d’un ‘3ème tour social’ à l’université : 3 éléments de réflexion

Puisque J-L Mélenchon n’est pas Premier ministre 😃, ce qui doit retenir l’attention est la stratégie de la NUPES, et plus spécifiquement de LFI. La tentation/tentative d’un ‘3ème tour’ est évidente, avec ses propres résultats décevants face à une majorité relative elle aussi affaiblie, et un RN pour l’instant inexistant dans l’enseignement supérieur. Seule LFI a des relais militants et syndicaux même si, chez les étudiants, son influence demeure pour l’instant limitée, concurrencée par des éléments “radicaux” mais marginaux 4On attend de voir des militants d’Ensemble sur les campus, ou d’un PS en état végétatif chez les jeunes !. 3 éléments méritent réflexion.

Le premier, c’est que chez les jeunes, y compris étudiants, l’abstention a été massive … comme lors des élections universitaires. Sont-ils “apathiques”, “indifférents” ou bien sont-ils intéressés par d’autres formes d’engagements, de thèmes ? Remarquons qu’à l’exception de la sortie médiatisée et mise en scène de quelques étudiants d’AgroParisTech (issus de CSP+ et sans problème d’emploi), il n’y a pas eu de mobilisation étudiante sur les questions climatiques. Pour la grande masse d’entre eux, y compris sur ces thèmes, conditions de vie, contenu des enseignements et insertion professionnelle, apparaissent prioritaires. A suivre donc.

Le second, c’est justement cette question sensible des conditions de vie. Elle pourrait faire paradoxalement consensus pour éviter un “mouvement” étudiant. Malheureusement, l’histoire nous enseigne que la démagogie a toujours triomphé avec le saupoudrage des aides au détriment justement des plus défavorisés. Le résultat ? Ce mécanisme simple et bien connu : on parle des conditions de vie des étudiant(e)s et on fait l’impasse sur leurs conditions d’études à l’université… Pourtant, c’est justement autour de ces dernières que la situation est potentiellement “inflammable” : manque d’enseignants et de personnels Biatss, locaux dégradés ou pas chauffés, cas de harcèlement etc. sont à mon avis des déclencheurs plus forts que les envolées révolutionnaires !

Le troisième élément, c’est que les personnels sont épuisés par les changements incessants et chronophages (ah ce RIPEC !) avec une bureaucratisation croissante, plus encore que le manque de moyens. Ajoutons que tous les exemples récents (Nanterre et ses “sans-facs”, saccage de l’EHESS etc.) montrent que la convergence des luttes reste très théorique ! Y compris chez les partisans de la NUPES. On assiste plutôt à l’accentuation d’une fracture entre personnels et “étudiants radicaux” voire entre personnels Biatss et enseignants-chercheurs. Ces derniers sont plus attentifs à leur discipline, leur labo, leur département qu’aux mouvements sociaux généraux 🙂 : a-t-on déjà vu des enseignants-chercheurs se mobiliser pour leurs salaires ou leur retraite ? Non, ils/elles préfèrent agir sur leurs conditions d’enseignement et de recherche dans leur université, … parfois en s’en prenant à l’administration et ses personnels. Enfin, le paysage syndical chez les personnels et les étudiants est comme partout très contrasté, avec certains qui signent des accords (Sgen-CFDT et Unsa, Fage) d’autres non ou rarement (FSU, Sud, CGT).

Les derniers résultats des élections dans les universités, comme à l’UPEC, confirment que ce secteur reste attaché à dépasser certains clivages. Des CA d’établissements sont effectivement par principe hostiles à l’autonomie, à Parcoursup etc. et en appellent en permanence à l’État, mais d’autres, semble-t-il beaucoup plus nombreux si j’en crois ces résultats de ces élections aux CA, demandent avant tout que l’État cesse de leur donner des directives : la  différenciation tant évoquée est aussi dans cette variété d’approches.

On aura probablement, comme d’habitude le syndrome “Tolbiac”, sauf coagulation liée à des événements extra-universitaires : quelques universités ou secteurs d’université en ébullition, visibles et médiatisés. Mais que fera la grande masse des étudiants ?

Références

Références
1 “La compromission c’est la lâcheté. Le compromis, c’est le courage” selon les propos attribués à la figure de la résistance à l’oppression communiste en Pologne, Adam Michnik. Malheureusement notre pays est plutôt habitué à l’intransigeance et au dogmatisme, l’autre forme de la lâcheté, comme on l’a vu sur Parcoursup, l’autonomie, les appels à projet etc. : soit on est pour, soit on est contre, la vie en noir et blanc.
2 Ajoutons que ce dernier incarnait chez EELV une vision plus proche de la science que la fraction EELV proche elle des délires complotistes de Michelle Rivasi.
3 Auxquels on se doit d’ajouter le million de toutes celles etc eux qui n’y sont pas, BTS, privé etc.
4 On attend de voir des militants d’Ensemble sur les campus, ou d’un PS en état végétatif chez les jeunes !

One Response to “Nouvelle législature et ESR : une hypothèse iconoclaste…”

  1. Tu ne dis rien sur la structuration de l’ESR: universités à 2 vitesses (voir lett ouverte de l’AUREF à la ministre qui pose des bonnes questions: écarts de dotation, trop d’AAP, place des collectivités, etc.. ), dualité universités-GE (on laisse tomber et on vit avec?), pilotage de la recherche entre organismes et universités/GE, etc… voir https://twitter.com/michelbessiere/status/1540311462287233024
    Il faut qu’on commence par se mettre d’accord sur cette structuration….

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