Ces derniers jours, deux Français ont été distingués. L’un du prix Nobel de physique, l’autre du Nobel de littérature. Un autre, le SGPI Bruno Bonnell, s’est distingué dans une interview à Libération. Que nous disent ces deux récompenses sur notre pays ? Que nous dit le discours de Bruno Bonnell ? Tout simplement que pour les élites médiatiques, politiques et technocratiques, la science est au second plan.
Remarquons que dans la France d’hier et d’aujourd’hui, un prix Nobel de littérature vaut plus qu’un prix Nobel de physique. La couverture médiatique (Ah Libération, Le Monde, France Inter et les JT !) a été et est totalement disproportionnée en faveur d’Annie Ernaux. Ce n’est pas nouveau mais tellement caricatural.
A qualité égale, sauf à considérer que les travaux d’Alain Aspect sont « inférieurs » aux écrits d’Annie Ernaux 1Je précise que mes compétences en matière de quantique sont absolument limitées, et que je n’ai jamais lu A. Ernaux., il y a évidemment plusieurs raisons. Il y a sans aucun doute les engagements politiques (respectables, mais pas tous…) d’Annie Ernaux, ce qui fait du « buzz » et surtout sa présence régulière depuis des années dans les médias, avec l’appui des redoutables « attaché(e)s de presse » des maisons d’édition. Il y a ensuite l’évidente complexité du thème de recherche d’Alain Aspect : il faut absolument écouter l’interview d’Alain Aspect par Léa Salamé sur France Inter et le désarroi par moment de cette dernière, malgré ses efforts méritoires. Un moment de grâce 🤭?
Les dogmes contre la science
Mais il y a surtout que la science n’intéresse les médias que de façon éphémère. La faiblesse de la culture scientifique interpelle évidemment sur les formations des écoles de journalisme. Mais cela ne concerne-t-il pas tout le système de formation ? Elle s’exprime en permanence sur des notions de base comme la confusion cause et corrélation ou la non-maîtrise des ordres de grandeur. On a vu ces carences médiatiques à l’œuvre autour du COVID, pas seulement chez les complotistes. La difficulté est, outre le nombre très faible de journalistes scientifiques dans les « grands » médias, que les rédactions ne disposent pas en général de référent(e)s scientifiques, et encore moins dans les rédactions en chef.
La « doxa » médiatique aborde ainsi les OGM, le nucléaire ou le bio avec une approche dans laquelle le commentaire prend le pas sur les faits 2Il est vrai que ce travers du journalisme à la française ne se limite pas à la science…. Prenons une exemple récent, celui de la restitution par les médias d’un rapport de l’Anses sur la réduction des expositions aux nitrates et nitrites dans l’alimentation. Elle est partielle, pour ne pas dire partiale. C’est le cas d’un papier de France Info à partir d’une dépêche AFP qui oublie un détail à propos du ‘bio’ : « Les extraits végétaux apportent aussi des nitrates et nitrites ». Car, comme le rappelle l’Anses, « certains fabricants utilisent des extraits végétaux ou des bouillons de légumes comme substituts aux additifs nitrités. Cela ne constitue pas une réelle alternative dans la mesure où ils contiennent naturellement des nitrates qui, sous l’effet de bactéries, sont convertis en nitrites. Ces produits sans nitrites ajoutés ne permettent donc pas une diminution réelle de l’exposition du consommateur aux nitrites. » Mais comme cela va à l’encontre du dogme, pas d’échos…
Le « plan », toujours le plan
On peut cependant voir le verre à moitié plein, quand Radio France affirme lancer « le plus grand plan de formation de son histoire à destination de ses journalistes, ses producteurs et équipes de production, et ses animateurs, sur les questions climatiques et scientifiques. » La radio pointe à juste titre en enjeu majeur : « l’environnement et la science ne seront pas l’affaire des seuls journalistes spécialisés, ils constitueront le socle de connaissances indispensables mobilisables par toutes nos équipes éditoriales. »
Malheureusement, si le monde des médias n’est jamais avare de grandes déclarations sur la déontologie, sur le ‘fact-checking’ etc., l’expérience prouve que, comme pour les puritains, cela sert souvent à masquer l’inverse de ce que l’on prêche. Car cela n’empêche pas cette radio, comme beaucoup de médias, de développer un discours totalement idéologisé sur le changement climatique et le nucléaire en faisant régulièrement abstraction de toute une partie du rapport du GIEC. Même chose sur la « biodynamie » servie sur un plateau par de nombreux médias dont Le Monde … à rebours de tout discours scientifique.
Mais est-ce la faute des médias ? Non car cette inculture touche tous les partis, de J-L Mélenchon remis régulièrement à sa place par les historiens de la Révolution française à E. Macron et son entourage qui font de l’hydrogène, du quantique ou de l’IA les nouvelles pilules miracles. Et le gouvernement (je mets évidemment à part Sylvie Retailleau) ne comprend visiblement toujours pas le lien formation-recherche-innovation.
Inculture scientifique
C’est comme cela que j’interprète la nomination comme SGPI Bruno Bonnell « l’homme qui valait 54 milliards » comme titre Libération. Quelques jours après le prix Nobel d’Alain Aspect, ce dernier ose expliquer dans le quotidien du 10 octobre qu’il est « Aimé Jacquet. Je suis le sélectionneur de l’équipe de France 2030. On doit faire émerger des Kylian Mbappé du quantique et des Amandine Henry du nucléaire (Internationale française de football) ». Voilà, tout est dit : on confie 54 Md€ à un bateleur inculte, sans aucune compréhension de la relation science/innovation. L’a-t-on informé qu’Alain Aspect est prix Nobel ? Et en plus sur le quantique ? Qu’il a eu besoin de temps et de moyens, qu’on lui a accordé à l’époque ? B. Bonnell est-il au courant que le principe même de la découverte scientifique, c’est qu’elle ne peut pas être prévue ?
Pendant ce temps, on multiplie les appels à projet auquel plus personne ne comprend rien. Et dans un entre-soi délétère, sont lancés par les politiques (qui veulent de l’effet d’annonce), les médias (dans lesquels les journalistes scientifiques pèsent à peine), la technostructure (qui n’y comprend rien), des sujets sans en maîtriser le dixième du quart : on a eu les nanotechnologies, puis l’IA puis le quantique et l’hydrogène. Il leur faut des certitudes, la voiture électrique aujourd’hui, à hydrogène demain, à sustentation après-demain… C’est comme cela que la France a raté le tournant technologique des drones !
Mais au fait qui sont les véritables connaisseurs de ces sujets ? Alors que toute la classe politique (oui toute) ne jure que par la « planification », l’enseignement supérieur et la recherche, les laboratoires, incarnent en réalité une incertitude insupportable. Qu’on écoute Alain Aspect : une leçon ! Et je ne voudrais pas être à la place de S. Retailleau dans ses discussions avec B. Bonnell.
Références
Enfin!
Quel plaisir de lire un tel article.