Aujourd’hui, le « spectacle » d’universités américaines devenues des foyers antisémites fait frémir, et surtout la main tremblante de leurs dirigeants. Mais comment se fait-il que ces universitaires français, qui d’habitude prennent position sur tous les sujets (les bassines, les violences policières, l’autoroute A 69, le racisme, les discriminations etc.) soient ambigüs ou silencieux face au terrorisme islamiste et à la montée de l’antisémitisme ? Le regretté Raymond Aron, qui a eu raison avant tout le monde, nous donne des clés de compréhension.
Il ne s’agit pas dans ce billet de trouver une solution au conflit du Proche-Orient mais de se poser les bonnes questions, et ce quelle que soit la politique d’Israël. Bien sûr le gouvernement Netanyahou est d’extrême-droite et l’action des colons inacceptable et condamnable. C’est d’ailleurs ce qu’ont clamé des centaines de milliers de manifestants israéliens pendant des mois avant le 7 octobre. Ce qui prouve que c’est un état certes imparfait mais démocratique. Doit-on rappeler les manifestations contre le Hamas réprimées il y a quelques mois dans la bande de Gaza ? Bien sûr, la guerre c’est mal 1Je remarque avec d’autres au passage qu’à Mossoul, Daech a été éradiqué au prix de destructions immenses, y compris civiles, dans l’indifférence générale.. Si les victimes civiles se valent évidemment toutes, il n’en est pas de même des objectifs si l’on compare ceux du Hamas et d’Israël : éliminer les juifs d’un côté pour ce qu’ils sont, éliminer le Hamas de l’autre car il devient encore plus une menace existentielle pour Israël.
Les véritables questions pour nos sociétés démocratiques sont simples : comment peut-on ne pas dénoncer le terrorisme et l’antisémitisme quelle que soit son opinion sur le conflit en cours ? Y a-t-il un signe égal entre des démocraties imparfaites et des dictatures ?
Où sont les universitaires ?
Les intellectuels, l’intelligentsia en général, ne se réduisent évidemment pas aux universitaires. Mais ces derniers donnent le ton dans les débats publics. L’attaque terroriste du Hamas et la riposte d’Israël n’échappent donc pas à leurs prises de parole dans les médias. Ils/elles le font, en tout cas pour l’instant, de façon très sélective : il n’y a pas ou peu de grandes tribunes enflammées dans Libération ou Le Monde avec les habituels universitaires pétitionnaires et/ou ‘engagés’ comme l’on dit 2Sinon une tribune d’artistes dans l’Humanité mettant sur le même plan Israël et le Hamas, et oubliant curieusement le qualificatif de terroriste pour le Hamas…. Il est vrai que le refus par J-L Mélenchon et une partie de LFI d’utiliser le mot terrorisme, vient après le soutien à Poutine, et sème de plus en plus le trouble et la division dans cet écosystème protestataire.
Après les tueries de Charlie-Hebo et du Bataclan, l’assassinat de S. Paty et de D. Bernard, la condamnation claire du terrorisme islamiste, qu’il soit de Daech, du Hamas, du Hezbollah etc. est une nécessité. Or, alors que les universitaires français, comme le remarquait à juste titre l’historien et politiste Patrick Weil, privilégient en permanence leur fonction tribunitienne, les habituels pétitionnaires semblent donc collectivement absents. Ils/elles semblent paralysés. Certes, une partie d’entre eux se vautre tout de même dans la dénonciation unilatérale d’Israël, chargé de tous les maux. Mais la grande majorité, par calcul mais surtout je crois par lâcheté, se réfugie dans le silence. Je ne parle pas évidemment des universitaires et chercheurs en général, mais de celles et ceux qui passent leur temps à donner des leçons de morale pour sauver le monde…
Des pertes de mémoire gênantes…
Car ce que l’on doit retenir, c’est ce silence assourdissant à propos de l’antisémitisme, le mot semblant tabou, à l’exception notable de Sandrine Rousseau. Ils/elles singent ainsi leurs ancêtres qui évitaient dans les années 50 soigneusement de s’en prendre à l’URSS et ses satellites.
Plus récemment dans les années 70, les mêmes organisaient des manifestations contre l’extradition en Allemagne de l’Ouest, pays démocratique, de l’agent de la Stasi déguisé en avocat, Klaus Croissant, avec l’appui de nombreux intellectuels, comme Deleuze, Guattari etc. Leur courage n’allait pas jusqu’à réclamer la libération des prisonniers politiques en Allemagne de l’Est… C’est aussi cela qui a mené à la tragique défense de Pol Pot par une partie des universitaires, des journalistes et de la gauche au nom de la haine des États-Unis.
Alors, on doit s’étonner devant leur étrange silence sur les 1 500 civils israéliens massacrés parce que juifs ? De leur silence quand des citoyens français sont tués ou pris en otage ? Si prompts à dénoncer le Qatar lors de la Coupe du monde de football, ils sont muets sur son financement du Hamas, et pas pour acheter des bonbons. Ou encore sur celui de la chaîne Al-Jazeera comme outil de propagande et de désinformation comme l’a montré Libération. Il est évidemment plus facile de dénoncer le blocage par Israël de l’entrée des journalistes dans la bande de Gaza.
Et d’ailleurs que disent-ils sur l’action de l’Iran qui opprime à l’intérieur et allume des mèches à l’extérieur ? Que disent-ils de l’expulsion par le Pakistan musulman de dizaines de milliers d’Afghans … musulmans ? Réclament-ils du Hamas des élections et une presse libres ? Partagent-ils l’appréciation sur le Hamas portée par Judith Butler dans AOC 3Il faut lire ce gloubi-boulga dont cette perle : « quand les Groupes Solidarité pour la Palestine de Harvard (Harvard Palestine Solidarity Groups) publient une déclaration disant que ‘le régime d’apartheid est le seul responsable’ des attaques mortelles du Hamas contre des cibles israéliennes, ils font une erreur et sont dans l’erreur. » L’antisémitisme une erreur ? ? Et soutiennent-ils les positions du Hamas et des théocraties contre les LGBT ?
Condamnent-ils l’antisémitisme quasi officiel dans tous les pays arabes et en Iran à l’image de la Tunisie et des déclarations antisémites de son président 4 Pour Kaïs Saïed, le choix du nom de la tempête Daniel est une preuve de l’influence du « mouvement sioniste ». ? Le massacre des Ouïghours en Chine ? Quand ils parlent de nettoyage ethnique à Gaza, font-ils aussi référence au fait que tous les juifs ont été expulsés de facto de tous les pays arabes ? Et quand ils évoquent l’apartheid d’Israël, parlent-ils des 2 millions d’arabes israéliens bénéficient des mêmes droits ? Ou de celui du Qatar ou de l’Arabie Saoudite avec les ouvriers philippins ?
Un voyage dans le passé universitaire
Comment cela est-il possible ? L’explication nous la trouvons dans le passé évidemment qui a conduit l’intelligentsia française à soutenir les pires régimes, ouvertement ou par ses silences gênés, de Staline à Mao en passant par Pol-Pot et Castro, et faisant par exemple du meurtrier de masse Che Guevara, un pur stalinien, une icône.
Méditons ce qu’écrivait Raymond Aron dans ses mémoires en 1983 sur les raisons profondes de cette dérive : « Depuis plus de 50 ans les intellectuels d’occident refusent d’entendre la question » celle que posait Soljenitsyne sur le fait que l’oppression, « brune ou rouge », reste une oppression. « Une fois pour toutes ils ont posé qu’il y avait les bons camps et les mauvais, les camps que transfigure la sainteté de la cause et d’autres qui ne sont que ce qu’ils sont.« Et il ajoutait que la plupart des intellectuels occidentaux sont « toujours enclin à découvrir des raisons pour excuser ou excommunier. Les intellectuels qui se disent de gauche les commettent avec plus d’éclat, à la mesure même du goulag qu’ils ont nié le plus longtemps possible, le plus énorme de tous, dissimulés dans l’ombre du régime qui se déclare le plus humain de tous. »
A gauche, Khaled Mechaal (Hamas), Hassan Nasrallah (Hezbollah) et Ali Khamenei, Guide de la Révolution iranienne, sont les nouveaux ‘saints de la cause’ LFI/NPA si je puis dire, à savoir celles et ceux qui depuis des décennies ont adulé à gauche tous les dictateurs. La politique de colonisation, commme les méchants capitalistes pour Staline, suffit à les excuser… A droite, c’est plus simple : Dominique de Villepin, comme avocat d’affaires pour le Qatar, une « qualité », sauf erreur, qu’aucun journaliste ne mentionne, pourfend Israël, après avoir défendu Poutine. Comme on se retrouve…
Références
↑1 | Je remarque avec d’autres au passage qu’à Mossoul, Daech a été éradiqué au prix de destructions immenses, y compris civiles, dans l’indifférence générale. |
---|---|
↑2 | Sinon une tribune d’artistes dans l’Humanité mettant sur le même plan Israël et le Hamas, et oubliant curieusement le qualificatif de terroriste pour le Hamas… |
↑3 | Il faut lire ce gloubi-boulga dont cette perle : « quand les Groupes Solidarité pour la Palestine de Harvard (Harvard Palestine Solidarity Groups) publient une déclaration disant que ‘le régime d’apartheid est le seul responsable’ des attaques mortelles du Hamas contre des cibles israéliennes, ils font une erreur et sont dans l’erreur. » L’antisémitisme une erreur ? |
↑4 | Pour Kaïs Saïed, le choix du nom de la tempête Daniel est une preuve de l’influence du « mouvement sioniste ». |
Excellent…
Vous dites:
« Comment cela est-il possible ? L’explication nous la trouvons dans le passé évidemment qui a conduit l’intelligentsia française à soutenir les pires régimes »
Mais répétition n’est pas explication. En outre, le communisme en tant qu’idéologie pouvait séduire, mais là, l’islamisme du Hamas? Certes Netanyahou est un parfait repoussoir. Un autre dirigeant israélien accepterait, espérons-le, une solution politique à 2 états. Mais mènerait-il différemment la guerre contre le Hamas? Pourquoi n’avons-nous pas de chiffres crédibles sur ls morts civils et militaires à Mossoul, Rakka, Marioupol?