Le sujet du ‘déficit’ des retraites, et particulièrement pour les fonctionnaires, est un sujet clivant. Mais sans polémiquer sur l’âge de départ, le niveau des pensions, les conditions de liquidation ou la démographie, on peut à propos de l’ESR détecter deux effets pervers du CAS Pensions. Ils sont moins connus que la hausse de la charge laissée partiellement ou totalement aux opérateurs universitaires : gonfler artificiellement la dépense intérieure d’éducation, et donc la dépense par étudiant, et majorer le salaire brut au détriment du salaire net des « académiques », dans un contexte de concurrence internationale. Explications.
La hausse de 4 points du taux de cotisation employeur du CAS Pensions est un exemple de la pression budgétaire subie par les opérateurs de l’ESR. Si France Universités salue « le volontarisme du ministre » qui « a permis d’obtenir une compensation partielle du CAS Pension à hauteur de 100 millions d’euros sur les 180 millions nécessaire » 1Pour la mission Recherche et enseignement supérieur dans le PLF 2024, la contribution d’équilibre au CAS Pensions était par exemple de 124M€ pour une masse salariale de 307M€, soit un total de 431M€., elle relève que « cette contribution partielle au CAS Pension est, en 2025, modulée par une réduction de 55 millions d’euros appliquée au programme 150. » En quelque sorte du bonneteau !
En passant d’une logique de cotisation à une logique budgétaire, on découvre 2 effets pervers, propres à l’ESR. Elle grave dans le marbre le décrochage de la rémunération des « académiques », par rapport à leurs collègues étrangers : plus de salaire brut moins de salaire net. Et « maquille » l’affichage, repris par l’OCDE qui n’y peut rien, de la dépense intérieure d’éducation (DIE) et la dépense par étudiant.
Par quel mécanisme ? C’est ce que décryptent des économistes, de gauche, du centre et de droite, comme Philippe Ashkenazy (CNRS), François Geerolf (OFCE), Charles Dennery (économiste et éditorialiste), François Ecalle et son site Fipeco, Antoine Lévy (UC Berkeley), Sylvain Catherine (Wharton School of the University of Pennsylvania) ou l’ancien haut fonctionnaire Jean-Pascal Beaufret en débattant du déficit du système de retraite de la fonction publique et du CAS Pensions sur X/twitter (oui c’est possible !). Des échanges passionnants, très pédagogiques, parfois très techniques, mais éclairants. Et surtout quand ils débusquent un loup…
2 effets pervers du ‘CAS Pensions’
J’avoue que cette question du CAS (compte d’affectation spécial) Pensions ne m’a jamais passionné. Vous aussi 🤭? Et même ces spécialistes s’y perdent un peu ! Le point de départ est ce constat de Philippe Ashkenazy en 2024 décrivant les artifices comptables utilisés par l’État pour alimenter les subventions d’équilibre du système des retraites (public et privé) en ‘surcotisant’ à hauteur de 74 % (78 % à partir de 2025) alors que le taux normal est de 16 % dans le privé.
A sa suite, économistes et hauts fonctionnaires de tous bords soulèvent par ricochet une question, quoiqu’ils pensent du déficit supposé : le chiffre de la dépense intérieure d’éducation française (et d’enseignement supérieur) est-il biaisé ? Oui selon eux, unanimes pour une fois ! Notre DIE est en effet globalement dans la moyenne des pays de l’OCDE, voire supérieure, ce que ne ressentent ni les enseignants, ni les familles et les élèves !
En clair, cette spécificité française (une de plus)
– gonfle artificiellement la dépense intérieure d’éducation, et donc la dépense par étudiant, et fausse le débat sur la politique publique en matière d’éducation et d’ESR.
– majore le salaire brut au détriment du salaire net, ce qui explique en partie le décrochage des rémunérations des enseignants français par rapport aux pays de l’OCDE, à masse salariale équivalente ou presque. Comme le souligne Ph. Ashkenazy, il s’agit d’un « système qui accroit l’écart entre le salaire brut et le salaire net des fonctionnaires ». Or, les enseignants-chercheurs/euses et chercheurs/euses sont des fonctionnaires travaillant dans un environnement international concurrentiel.
Les données de base à connaître pour comprendre
Résumons. La cotisation salariée pour la retraite de base est de 11,10 % du traitement indiciaire brut à laquelle il faut ajouter celle du Régime de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (RAFP) à 5 % 2L’argent de ces cotisations est placé dans un fonds de capitalisation investi en obligations, en actions françaises et internationales ou encore en biens immobiliers pour environ 40 milliards d’euros., retraite par capitalisation gérée avec les syndicats 😂.
La cotisation retraite employeur dans le PLF 2025. C’est là où il y a un problème. Il existe dans le régime de base des fonctionnaires, un équivalent de la cotisation patronale acquittée par les employeurs du privé pour leurs salariés. En 2024, le taux de cette cotisation était de 74,28 % pour le personnel civil, de 126,07 % pour le personnel militaire et de 30,65 % pour le détachement du personnel civil dans la fonction publique hospitalière ou territoriale 3Pour la retraite additionnelle, il est le même que pour les fonctionnaires, 5%..
Dans le PLF 2025, le taux de contribution employeur passe de 74,28 % à 78,28% soit + 4 points au 1er janvier 2025. La raison avancée ? Pour respecter, selon le Sénat, l’impératif organique de solde cumulé positif du CAS Pensions 4Selon la direction du budget, la hausse d’un point de taux permet d’augmenter les recettes du CAS Pensions de 550 M€ en 2025, soit 2 022 M€ au total, ce qui augmenterait les recettes du CAS Pensions de 6,7 % par rapport à l’exécuté 2023..
Si les comparaisons internationales sur ce sujet sont très complexes (quel âge de départ, quel niveau de pension etc.), il apparaît en tout cas qu’aucun pays de l’OCDE n’a un taux de cotisations patronales de 78%. En Angleterre, les personnels des universités cotisent à hauteur de 6,1%, les employeurs universitaires (autonomes 😯), à 14,5%, tout ceci dans le cadre du Universities SuperAnnuation scheme (USS) créé il y a 50 ans. Pour sourire un peu sur ce sujet austère, l’explication des rémunérations des enseignants français (hors enseignement supérieur) nécessite 4 pages et demie d’explication méthodologique de l’OCDE… !
Mais pourquoi un taux de cotisation différent entre privé et public ?
Un peu d’histoire : Jean-Pascal Beaufret, IGF honoraire, relève les spécificités du régime de la fonction publique : « la longévité plus importante des fonctionnaires, la structure des rémunérations avec une proportion plus importante de cadres A du fait des enseignants, enfin les modalités encore aujourd´hui plus favorables des règles de liquidation de la fonction publique : 75% des 6 derniers mois de traitements. » Il oublie cependant que les primes ne sont pas prises en compte, contrairement au privé.
Il rappelle que « le taux a été fixé à 50 % (civils) et 100 % (militaires) en 2006 lors de l’institution d’un ‘CAS Pensions’ unique qui a rassemblé les comptes des pensions auparavant gérées par Ministère. » S’il relève que cela « a été un progrès », il déplore que cela ait été « accompagné par un renoncement concomitant à la clarté.« Car on aurait dû selon lui scinder alors « la contribution de l’État entre cotisation normale et subvention. »
Elle place également les opérateurs universitaires (et d’autres) en situation de variable d’ajustement du déficit su système de retraite, avec un taux de cotisation employeur fictif supérieur de près de 48% à celui de la fonction publique territoriale ou hospitalière (voir infra) ! Les universités sont à juste titre vent debout contre cette mesure laissée à leur charge par l’État (comme le point d’indice qui en plus pèse sur le CAS Pensions !), avec des compensations partielles ou totales au fil des années, en tout cas jamais automatiques. Remarquons que les détracteurs et partisans de l’autonomie des universités pourront méditer (et débattre ?) sur le taux des collectivités locales, avec environ 40 points de cotisations patronales en moins….
Un jeu d’écriture sans rapport avec la réalité
Sylvain Catherine, et tous les économistes, quelle que soit leur opinion sur les retraites, confirme que cet écart, « particulièrement élevé » entre coût employeur et salaire net est effectivement le résultat d’un jeu d’écriture. Il a selon lui comme « fâcheuse conséquence de cacher le déficit du système de retraite aux citoyens. » Il estime que cette différence avec le taux normal (16 % dans le privé) « est une subvention qui, plutôt d’être fléchée directement vers les retraites, est versée aux budgets des différents ministères, puis est utilisée pour payer ces énormes taux de cotisations employeur. » Il estime le montant à plus de 40 Mds€ « de subvention d’équilibre au système de retraite qui transitent ainsi par les différents ministères et apparaissent ainsi sur les bulletins de salaire des fonctionnaires. »
Les vases communicants de la DIE
Mais que nous disent les données françaises sur la DIE et la dépense par étudiant ?
Pour jeter un regard français, la note de l’Insee sur la DIE ;
Pour une comparaison internationale, l’État de l’enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation : « l’effort national consacré à l’enseignement supérieur représente 1,6 % du produit intérieur brut, soit un poids légèrement supérieur à la moyenne observée dans les pays de l’OCDE (1,5 %). »
Il est toujours nécessaire de penser contre soi-même : mes analyses passées sur la dépense par étudiant méritent d’être nuancées… Les différences de financement ne s’expliquent pas uniquement par le fléchage des financements. Certes, il y a les particularismes du système français avec une dépense par étudiant différente entre STS, CPGE, Universités etc. 5Et rappelons que la dépense intérieure d’éducation inclut aussi les contributions des collectivités locales et des ménages.. Mais alors qu’un universitaire allemand ou anglais titulaire est globalement, on le sait, baucoup mieux rémunéré que son homologue français, cela n’apparaît pas dans la dépense par étudiant, la France étant dans la moyenne des pays de l’OCDE.
Or la dépense majeure dans l’ESR, ce sont les salaires des personnels. François Geerolf (OFCE) déplore à juste titre, à propos du différentiel coût employeur pour un enseignant de 4 800€ vs un salaire net de 2 100€, cette conséquence de « la cotisation retraite ‘fictive’ « de 78% : elle est « une convention comptable qui majore nos dépenses d’éducation dans les comparaisons internationales 6Il faut souligner également que le différentiel de dépense par élève entre le primaire (professeur des écoles) et le secondaire (Certifiés et agrégés) est aussi en partie dépendant des niveaux de rémunération. ».
Le déficit de rémunération en France s’explique donc par un net minoré avec un brut surévalué afin de contribuer au déficit du régime des retraites du public. Jean-Pascal Beaufret estime que dans les 87 Md€ du budget de l’éducation nationale il y a 24 Md€ de contribution aux retraites : il ajoute : « on comprend pourquoi la France a une dépense d’éducation de 5 % du PIB supérieure à la moyenne. »
Un choix « qui pèse sur les stratégies »
Ce que Patrick Aubert, sur son blog de l’Institut des politiques publiques (IPP) déplore avec un autre argument. Il souligne les effets de ce niveau de cotisation « sur les stratégies de ces acteurs – par exemple dans les politiques d’embauche, du fait des différences de coût salarial qu’elle induit entre un fonctionnaire de l’État et un salarié embauché sous un autre statut. » Mais surtout, comme ses collègues, il juge que les budgets affichés ainsi que les coûts moyens des personnels affectés à ces politiques, affectent « la vision que l’on a des budgets alloués aux différentes politiques, et par conséquent sans doute aussi sur ces politiques elles-mêmes. »
Cette affirmation résonne pour moi de façon concrète : depuis des années, quels que soient les gouvernements, quand j’interrogeais de hauts responsables politiques sur le déficit de financement des universités, on me rétorquait régulièrement « on est dans la moyenne de l’OCDE ». Et chez les défenseurs de l’ESR une forme de résignation face à ce discours technocratique.
N’est-il pas temps de changer de « narratif » comme l’on dit ? N’est-il pas temps de travailler de façon détaillée cette question, pas seulement chez France Université, mais chez tous les chercheurs/euses qui étudient l’enseignement supérieur ? On manque par exemple de travaux sur cette question, tant en projection démographique dans l’ESR (impact des départs à la retraite sur la masse salariale des opérateurs) qu’en comparaison des autres systèmes, l’OCDE ayant, sauf erreur, montré ses limites pour l’ESR face à la complexité des systèmes.
Le périmètre du CAS Pension
Sur son blog de l’Institut des politiques publiques (IPP), Patrick Aubert explique que « la contribution des employeurs de fonctionnaires de l’État n’est pas fictive : elle est effectivement payée par les employeurs autres que l’État (certains, tels que La Poste et Orange, bénéficiant toutefois d’un taux de cotisation employeur dérogatoire). » Ce qui est évalué à 40 ou 50 Mds€ pour le déficit des retraites, est aussi lié selon Jean-Pascal Beaufret, appuyé par Charles Dennery, au « surcoût considérable des retraites des anciennes administrations de La Poste et des Telecom transformées en sociétés anonymes en 1997 et 2010, le régime des retraites ayant perdu de ce fait 400 000 cotisants en laissant a la charge de l´Etat 300 000 retraites sans compensation du régime général. »
En résumé, les personnels de l’ESR (entre autres) paieraient notamment à la place de La Poste et de France Telecom. Un constat tempéré par S. Catherine pour qui « ce sont le niveau des pensions et l’évolution de la démographique à l’échelle du pays qui expliquent ces déficits. » Pour Patrick Aubert, il faudrait surtout « décomposer ce qui, dans le total des dépenses de tels régimes, relève des avantages de retraite proprement dits, communs à tous les fonctionnaires, et ce qui relève davantage d’une optique de régime professionnel, propre à certains métiers, et donc à certaines politiques. »
Pourquoi ? Il cite l’exemple des militaires et policiers : « il n’y a pas de raison en effet que ces droits spécifiques soient financés par tous les autres fonctionnaires de l’État – et par eux uniquement – au travers d’une cotisation employeur plus élevée pour tous. » Il préconise « une prise en charge explicite dans le budget du ministère employeur », ce qui existe déjà pour la Défense nationale avec, dans le CAS pension, un taux de cotisation employeur distinct pour les militaires (pour lesquels les règles de retraite sont très spécifiques) et les fonctionnaires civils. Il faudrait selon lui « pousser cette logique jusqu’au bout ».
Jean-Pascal Beaufret estime ainsi que si l’État et ses opérateurs étaient assujettis à la même cotisation plafond de 28% du secteur privé, (17% pour l’employeur) cela ne leur coûterait pas 56 Md€ mais seulement 12 Md€ au taux plafond. Ce qui représenterait selon lui un surcoût des retraites de la fonction publique de l’État de 44 Md€, versé sous forme de subvention.
Références
↑1 | Pour la mission Recherche et enseignement supérieur dans le PLF 2024, la contribution d’équilibre au CAS Pensions était par exemple de 124M€ pour une masse salariale de 307M€, soit un total de 431M€. |
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↑2 | L’argent de ces cotisations est placé dans un fonds de capitalisation investi en obligations, en actions françaises et internationales ou encore en biens immobiliers pour environ 40 milliards d’euros. |
↑3 | Pour la retraite additionnelle, il est le même que pour les fonctionnaires, 5%. |
↑4 | Selon la direction du budget, la hausse d’un point de taux permet d’augmenter les recettes du CAS Pensions de 550 M€ en 2025, soit 2 022 M€ au total, ce qui augmenterait les recettes du CAS Pensions de 6,7 % par rapport à l’exécuté 2023. |
↑5 | Et rappelons que la dépense intérieure d’éducation inclut aussi les contributions des collectivités locales et des ménages. |
↑6 | Il faut souligner également que le différentiel de dépense par élève entre le primaire (professeur des écoles) et le secondaire (Certifiés et agrégés) est aussi en partie dépendant des niveaux de rémunération. |
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