Bien sûr, l’ESR français est sous financé : mais cela justifie-t-il de croire que tout y est en déshérence et que c’était mieux avant ? A écouter certains, la situation serait toujours « pire », on « détruit », les « inégalités ne cessent d’augmenter », c’est « la fin de » etc. Je pourrais dresser une liste encyclopédique de ces constats alarmistes et catastrophistes, tristement pessimistes et surtout inexacts. Mais qui à force de viser à côté, oublient les questions essentielles.
J’ai déjà pointé une vision misérabiliste qui dessert l’université française. Quand vous parcourez les archives de ce qu’il s’est passé dans l’ESR, ce qui est frappant, c’est la persistance de ces discours pessimistes. Loin de moi l’idée de décrire un monde parfait mais le sens de la nuance permet parfois de mieux appréhender les véritables enjeux.
Si d’ailleurs, on prenait au pied de la lettre ces discours, on se demande ce qu’il resterait du système français ! Prenons l’exemple des systèmes d’orientation Ravel-APB et Parcoursup : avant Ravel on dénonçait l’anarchie (la « règle de l’autobus », premier monté, premier servi). Puis aux débuts de Ravel, on dénonçait l’utilisation d’un système minitel qui excluait. Avec la mise en place d’APB, l’Unef s’inquiétait « des conséquences de la mise en place du nouveau dispositif », et demandait « la remise à plat » de la procédure.
Puis Parcoursup… Pendant ce temps, le nombre d’étudiants ne cesse de progresser.
Soulignons à cette occasion un changement majeur : les mouvements étudiants ont perdu de leur ampleur et se limitent désormais à quelques établissements. Pour la première fois, on a assisté (Rennes 2 et Nanterre) à une forme de prise de pouvoir symbolique des étudiants refusant le blocage. Ceci sera-t-il durable ? Joker !
Des crises financières pas nouvelles
A lire certaines déclarations, on croirait que les crises financières dans les universités sont dues à la LRU. Voici une petite sélection à partir de mes archives.
En janvier 1972, éclatait la première crise financière des universités post 68 tandis que la réforme de la formation des maîtres (déjà !) agitait tout le monde…avant la réforme des sursis.
En octobre 1988, la CPU soulignait « la saturation, voire le dépassement des capacités existantes d’accueil des étudiants » et réclamait des « moyens exceptionnels immédiats » . Et elle réclamait une loi de programmation de l’enseignement supérieur.
septembre 1997, un rapport confidentiel de l’inspection générale de l’éducation nationale, révélé par Le Monde, dénonce à propos des heures complémentaires des situations « abusives » qui débouchent sur des « pratiques déviantes » : certains établissements disposent d’un fort contingent d’heures complémentaires, alors que leurs enseignants n’assurent pas leur service statutaire de 192 heures par an. Et dans les années 2000, il y a eu la fronde budgétaire des universités nouvelles.
Je pourrais faire la même chose avec les tensions qui ont concerné les organismes de recherche et en particulier le CNRS ! Et contrairement aux mauvais augures, il n’a pas disparu !
En résumé, ce n’est pas pire, ce n’est pas mieux, les universités ne sont pas assez financées mais il existe une grande différence, dont étudiants, personnels ont globalement bénéficié : les établissements sont de mieux en mieux gérés.
Or mieux gérés, c’est par exemple le respect des réglementations sur la sécurité, sur l’environnement ou encore les accès numériques. Tout n’est pas visible certes, mais sait-on que la mise aux normes a évité des fermetures ?
Les réformes des formations toujours contestées…puis acceptées
Je peux écrire la même histoire avec la mise en place du LMD dont je n’aurai pas la cruauté de rappeler les arguments de ses opposants en défense du DEUG. D’ailleurs, quand celui-ci a été mis en place en 1973, les mêmes arguments étaient utilisés pour défendre le système précédent !
Quant à la réforme du 2nd cycle de 1976, qui a suscité l’hostilité de la moitié des présidents d’université et de l’ensemble des syndicats, elle prévoyait…« d’inviter les universités à élargir les perspectives de débouchés de leurs étudiants au-delà des secteurs où elles exercent un monopole traditionnel : médecine, pharmacie, carrières de l’enseignement… » selon Jean-Louis Quermonne, le DGES de l’époque dans une tribune du Monde.
Comment ? En combinant « différentes disciplines en des ensembles cohérents » comme par exemple « telle université qui a organisé, en liaison avec les P.T.T., une licence de télécommunications, par tels établissements qui ont ouvert, avec le concours de la profession, des maîtrises de sciences et techniques financières et comptables, d’électronique et d’électrotechnique automatique, de génie civil géotechnique, d’administration économique et sociale, d’information-documentation, et de langues vivantes appliquées. » Bref, ce qui existe partout aujourd’hui !
Ah les neiges d’antan !
A rebours de cette vision qui magnifie les neiges d’antan, on peut donc apporter un peu de rationnel sans ignorer ce qui reste facteur de blocage.
Prenons 2 exemples significatifs :
L’immobilier. Qui se souvient encore des locaux insuffisants, insalubres, inadaptés et pas mis aux normes de sécurité ? Il y en a toujours, mais avant c’était la règle ! Plan U2000, Plan U3M et Plan Campus ont avec les CPER grandement modifié la situation. Et si l’on prend le Plan Campus, ses retards ont été d’abord ceux des établissements peu préparés et peu outillés pour monter des projets de cette ampleur.
La vie étudiante. Les restau-u ont fait leur mutation (pour qui a mangé au Bullier à la fin des années 70…), les plans logement ont assaini la situation (constructions, rénovations) pour des dizaines de milliers d’étudiants, même s’il reste évidemment les points noirs de Paris et de quelques métropoles. Quant à la proportion de boursiers elle n’a jamais été aussi importante. Et l’insertion professionnelle s’est améliorée malgré la détérioration du marché de l’emploi.
Et au-delà de la polémique sur la hausse des frais pour les étudiants extra-communautaire, qui se souvient du long cheminement (multiplication des opérateurs, puis Edufrance) pour arriver, sur le modèle du British Council, à une structure lisible pour promouvoir, avec Campusfrance, l’ESR français dans le monde ?
Enfin, pour les étudiants handicapés, les efforts des universités (bien seules d’ailleurs) portent leurs fruits mais butent sur le M et le D.
Les défis non réglés
Au passage, si la gouvernance des universités est régulièrement critiquée, j’observe que chez les business schools ce n’est pas un long fleuve tranquille. Et ce qui se passe chez Renault-Nissan montre que le monde de l’entreprise n’y échappe pas. Cela permet un peu de distance.
Du point de vue de la démocratisation, si la question de l’accès postbac a significativement progressé, c’est au niveau des masters et des Grandes écoles que le chantier est immense, sans qu’aucune politique d’aide sociale ciblée ne soit prévue.
Les points critiques sont la persistance voire l’aggravation du millefeuille et le rôle marginal du doctorat dans la société française, malgré le crédit d’impôt recherche.
Car le plus inquiétant reste le possible décrochage de la recherche, qui nécessite des moyens avec avant tout des carrières plus attractives. Car là je suis d’accord : être universitaire dans les années 60 ou 70, ça valait le coup !
Cela fait suffisamment de questions pour ne pas vivre dans le passé !
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