Un article de Ouest France, multi repris sur twitter serait la preuve que Parcoursup conduit des jeunes vers les écoles privées, à cause de ses dysfonctionnements. Il faut vraiment qu’une partie des universitaires vive sur une autre planète pour découvrir que le privé récolte la mise depuis des années. Les raisons ? Multiples, mais la principale réside dans l’incapacité dans laquelle a été l’Université de proposer, de façon réactive, une offre suffisamment diversifiée, couplée à une pédagogie différente. Le tournant raté des années 70/80 pèse encore sur les universités.
Rassurez-vous : je ne vais pas parler de ces universitaires qui connaissent si bien le privé, y compris les pétitionnaires professionnels. Vous savez, ceux qui d’un côté s’opposent à toute évolution de leurs filières, dénoncent le privé mais n’hésitent pas à faire quelques ménages.
C’est en tout cas ce que racontent des directeurs de business schools et des présidents d’universités : présidence ou participation à des conseils scientifiques, animation de séminaires, placement de doctorants etc.
Non, je voudrais parler de ceux qui visiblement ne sont pas au courant des évolutions public/privé depuis des années. Un tweet du blogueur, pourtant souvent pertinent, Guillaume Ouattara@ingenuingenieur “Et ce qui devait arriver arriva…” citant un article de Ouest France a suffi a agité la toile.
A charge contre Parcoursup, il entendait démontrer que cette procédure conduisait les lycéens vers le privé. “Certains n’hésitent pas à délaisser la faculté pour des écoles privées, hors parcoursup”, affirmait Ouest France, sans chiffres évidemment…
Ce papier de Ouest France s’appuyait sur 2 sources, l’une syndicale, l’autre…d’un établissement d’enseignement supérieur privé, qui se fait ainsi un peu de pub. Bien joué !
Une montée en puissance régulière du privé
Ce qui est toujours aussi étonnant, c’est que des universitaires, ou de futurs ingénieurs, tout à leur dénonciation de Parcoursup (ce qui est un autre débat) tordent les faits : le pire à mon avis, c’est leur ignorance absolue de la montée en puissance du privé, qui ne doit rien à Parcoursup.
Pourtant, chacun a dans son entourage, à moins de vivre enfermé, des jeunes qui passent par l’enseignement supérieur privé. Et il serait faux de réduire ce secteur à ses nombreuses écoles de faible niveau qui existent et pour lesquels les familles paient cher.
J’ai évoqué plusieurs fois sur ce blog la tendance observée depuis des années de la croissance du secteur non universitaire de l’ESR, en particulier du privé. Ce n’est pas un hasard si ont émergé quelques grands groupes, dans des logiques de consolidation, comme Galileo, Ionis ou Laureate. Et ces groupes s’aventurent dans des niches laissées par les universités : les arts, le design, la mode, voire l’informatique.
Tout un secteur du privé est donc désormais piloté par des groupes et/ou de véritables entrepreneurs éducatifs, sans parler des écoles de commerce liées (encore) aux chambres de commerce. Il serait absolument vain de les traiter avec mépris et condescendance.
D’ailleurs de nombreuses écoles de ces groupes ont des partenariats, y compris recherche avec les universités et les organismes. Isabelle Barth, universitaire et nouvelle directrice générale d’Inseec Business school n’hésite pas ainsi à parler d’université privée pour son nouvel établissement.
Pourquoi ce succès du privé ?
Historiquement, l’université française s’est limitée à 2 choses : former les futurs enseignants du secondaire, avec les concours Capes/Agreg, et recruter … des enseignants-chercheurs. Ce modèle est aujourd’hui obsolète. Il est d’ailleurs frappant de voir que pour certains le débouché exclusif d’un docteur reste exclusivement un poste de chercheur.
Les raisons du succès du privé sont évidemment multiples. Il y a une demande, des parents et des jeunes, vers plus de formations en prise avec leurs aspirations, avec une réelle adaptation de la pédagogie, et le suivi de secteurs économiques émergents. Tout ceci présuppose une grande réactivité que l’université commence à acquérir.
Je voudrais citer une anecdote. Il y a quelques années, j’avais une conversation avec un président d’université, décédé depuis, qui me disait son mépris pour ces jeunes qui voulaient s’inscrire dans la filière cinéma de son université : “vous vous rendez compte, ils croient qu’ils vont se servir d’une caméra !” Tout était dit, comme un symbole, avec cette dichotomie théorie/pratique, ou matières vulgaires/nobles. Je remarque que les écoles de cinéma privées se sont multipliées depuis…
Le modèle universitaire interpellé
Cette montée en puissance de l’ESR privé est donc avant tout l’occasion d’interroger le modèle public, en particulier universitaire. Est-il en capacité de répondre aux demandes de la société ? Et doit-il d’ailleurs répondre à toutes ?
Est-ce qu’avec des milliards d’euros en plus, les universitaires auraient collectivement pris les tournants nécessaires, et donc les remises en cause qui vont avec (nouvelle pédagogie, nouveaux secteurs à défricher) ?
Cet argument des moyens ne me semble pas pertinent. Des initiatives de plus en plus nombreuses sont nées depuis des années, mais dans le corset des sections du CNU, des disciplines.
Sur son blog, Didier Delignières, qui préside la conférence des directeurs de Staps revient sur la question du rôle de l’université.
Pour lui l’originalité et la force des formations universitaires ce sont “la formation de l’esprit critique, la réflexion sur les valeurs, la prise de recul épistémologique, la formation à et par la recherche”. Mais il critique vertement la DGESIP qui “pendant des années nous a incité à « LMDiser »” les formations STAPS “afin de les faire rentrer dans le moule.”
Car c’est bien le débat : “Admettre que si tout bachelier doit avoir droit à une poursuite de formation, les licences universitaires ne constituent pas la solution universelle.” Et il plaide pour “diversifier les voies de réussite post-baccalauréat”, alors “que les fourches caudines du LMD construisent une trajectoire mortifère pour de nombreux étudiants.”
C’est exactement ce à quoi le privé a répondu, parfois bien, parfois mal, depuis des années. Ce qui est extraordinaire, c’est que les familles ont préféré investir dans ces filières aux coûts élevés, plutôt que de choisir le système gratuit.
De ce point de vue, les IAE en concurrence frontale avec les écoles de commerce, ou encore les masters universitaires, ont un avantage compétitif indéniable, la quasi gratuité. Encore faut-il répondre aux attentes des étudiants : qualité des cours et de la pédagogie, qualité de l’administration et bien sûr qualité et niveau de l’insertion professionnelle.
On peut donc voir dans l’émergence du privé un “complot néolibéral”, mais la réalité est implacable : les jeunes ont voté avec leur pied. Système payant et sélectivité (apparentE selon moi !) sont rassurants pour certaines familles.
Heureusement, peu à peu les universités ont mis et mettent en place une offre différente, font des efforts sur leur pédagogie. Une partie des universitaires a pris conscience de cette demande. Reste que le tournant raté des années 70/80 pèse encore : il faudra du temps.
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