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J’ai abordé la question de la « démocratie universitaire » sous l’angle de la représentation dans les CA. Mais un autre aspect mérite d’être regardé, c’est celui des relations entre le pouvoir académique et le pouvoir administratif et leurs légitimités respectives. Si la place de l’administration n’équivaut pas à la représentation des personnels Biatss dans les CA , elle en dit long sur le fonctionnement efficace d’un établissement. Dans un troisième article, j’aborderai ce qui me semble être la question désormais majeure, à savoir le sentiment croissant d’un éloignement des centres de décision.

Gestion financière, humaine, immobilière, informatique etc. : la gestion d’une université est de plus en plus complexe tant par les effets de taille que par la nature des missions confiées. Comme dans les collectivités avant les lois de décentralisation de 1982, l’amateurisme n’a plus sa place, sauf au risque de catastrophes.

D’autant que chaque semaine les pouvoirs publics ajoutent un défi aux universités : faire émerger des start-up, lutter contres les fake news dans la société, ouvrir les BU plus longtemps, se placer dans une logique de développement durable, valoriser l’engagement associatif etc. et bien sûr faire réussir leurs étudiants et briller dans les classements basés sur la recherche !

Aucun organisme public de l’ESR n’est dans ce cas, ni les organismes de recherche (qui n’ont pas d’étudiants) ni les écoles (qui n’ont pas la même taille). Faut-il rappeler qu’une grosse université pèse plus en termes financiers et humains que n’importe quel organisme de recherche, à l’exception du CNRS ? Et pourtant dans les organismes de recherche, la place de l’administration est un fait, pas un débat : cherchez l’erreur ?.

La complexification de la réglementation (finances, sécurité, gestion des déchets etc.) voisine également avec des changements incessants (Comue, Parcoursup…). Pourtant, on lit encore, sur les réseaux sociaux, dans des tribunes dont sont coutumiers les universitaires, des affirmations à l’emporte-pièce qui ignorent la complexité de la gestion de leur établissement.

Il faut dire que la notion de fonds de roulement n’est pas, à juste titre, leur quotidien ! On peut constater que le désintérêt ou le mépris pour la gestion (au sens concret du terme) fait partie de la culture universitaire française.

Un rappel historique

Rappelons d’abord un état de fait. Abandonnée à elle-même pendant des décennies, l’université a connu au fil des années 2 processus :

  • d’un côté des enseignants-chercheurs se débrouillant tant bien que mal, allant chercher du côté des organismes de recherche réconfort et moyens, et vivant leur vie comme des professions libérales.
  • de l’autre des personnels Biatss souvent sous ou peu qualifiés et pas du tout managés : la surreprésentation des personnels de catégorie C, qui perdure dans les universités (à l’inverse du CNRS) en est un symptôme.

D’où un Yalta qui a débouché sur une situation dans laquelle les enseignants-chercheurs pilotaient leurs établissements, avec le parapluie du ministère, mais sans les manettes essentielles de la gestion. Souvent, il faut le dire, les personnels Biatss ont aussi souffert du mépris d’universitaires pour qui l’intendance relève des choses sales. Et à l’inverse, une partie de ces derniers s’agaçait du manque de professionnalisme des Biatss.

Tableaux de bords inexistants, organisation déficiente, etc. :  tout ceci a donné lieu dans la plupart des établissements à des « arrangements » entre enseignants-chercheurs et Biatss, au détriment notamment des étudiants (services administratifs de piètre qualité, services non faits et dérives sur les heures complémentaires par exemple). Cour des comptes et Igaenr ont largement documenté ces errements : quels que soient leurs problèmes de financements, certaines ont su gérer, d’autres non, ce qui a ajouté une pierre à l’édifice de la mauvaise image des universités .

Je pourrais d’ailleurs multiplier les anecdotes croustillantes sur ce sujet, comme celle du président découvrant qu’une subvention qu’il réclamait à cors et à cris avait été versée depuis bien longtemps ?… Ou encore celle des réquisitions permanentes de l’agent-comptable pour s’affranchir des règles de gestion financière qui ne plaisaient pas aux enseignants-chercheurs !

Ce n’est à mon avis pas un hasard : un peu comme les directions de labos, au fond très heureuses de la multi-tutelle qui leur permet de jouer sur tous les tableaux, une partie des enseignants-chercheurs a pu laisser libre cours à son penchant de profession libérale pour s’extraire sans souci des règles respectées dans les autres administrations : en gros, chacun se débrouillait.

C’est dans ce contexte, et il faut leur rendre hommage, que des équipes enseignantes et Biatss, souvent dépourvus de moyens, en tout cas d’indicateurs pour piloter leurs établissements, ont su faire face aux chocs démographiques.

L’impact de la LRU sur la professionnalisation de l’administration

Qu’en retenir ? Pendant longtemps, les services administratifs, au nom de l’indépendance des universitaires, n’arrivaient pas à faire respecter les règles et les textes. Cette situation a changé (pas complètement) et désormais la plupart des universités disposent de tableaux de bord…que les directions utilisent ou pas !

Car les universités, avec la LRU, ont été dans l’obligation de professionnaliser leur services administratifs, que ce soit en RH, en gestion immobilière, financière etc. Le transfert de la gestion de masse salariale a ainsi fait basculer les universités dans un autre monde (que les organismes de recherche connaissaient depuis longtemps) : pas de process, pas de service RH pro, pas de paie !

La LRU a eu le mérite de révéler ces fonctions administratives décisives, mais faibles à cette époque. Le même phénomène s’est produit par exemple pour le patrimoine immobilier, l’hygiène et la sécurité ou encore le juridique. Cela a d’ailleurs créé des remous lorsqu’il a fallu recruter des personnels hors des grilles classiques de rémunération ! Une question qui est pour certains recrutements de cadres supérieurs un enjeu face au privé mais aussi face aux collectivités locales.

Hormis les responsables d’établissements, faut-il rappeler que les universitaires ont pour principe de toujours réclamer des postes d’universitaires, beaucoup plus rarement de Biatss ? Or, le grand différentiel avec les universités équivalentes dans le monde, c’est justement sur le personnel de soutien. Celui qui permet aux enseignants-chercheurs de se consacrer à leurs cours et à leurs recherches.

Les 2 reproches contradictoires faits à l’administration

Alors que les reproches d’incompétence faits par les universitaires (sans parler de étudiants !) à l’administration étaient la règle (remarquons que le CNRS « réputé » plus professionnel n’est pas épargné), la LRU a enclenché un autre mouvement : en renforçant leur administration, en mettant en place des process, les universités ont parfois déclenché la crainte d’une main mise de la bureaucratie.

En un mot, l’administration trop faible est souvent critiquée pour être trop forte ! C’est un bouc-émissaire permanent, notamment sur les marchés publics de voyages ou de matériel informatique.

Tempérons cependant : si la professionnalisation de la gestion des universités a fait des progrès considérables elle reste, notamment dans la qualité de service aux usagers et personnels, encore très perfectible, avec de grandes différences entre établissements.

Il reste que la montée en gamme est une réalité : la preuve auprès des enseignants-chercheurs et des étudiants se fait évidemment par le service rendu, en nette amélioration. En un mot, le pouvoir administratif s’est professionnalisé et a gagné une légitimité incontestable…face à la légitimité quasi ontologique des académiques et au mythe de l’universitaire omniscient.

Le temps où des professeurs d’informatique prétendaient mieux connaître les solutions en matière de système d’information que ceux dont c’est le métier, ou encore celui du professeur de gestion croyant mieux maîtriser les règles de la comptabilité publique que le chef des services financiers est presque révolu…

Le couple Président-Directeur Général des Services

Le récent séminaire commun CPU-ADGS a mis en valeur des établissements dans lesquels le couple Président-DGS marche bien. Le fait que les présidents d’université choisissent leur directeur général des services suffit-il cependant à clarifier les relations entre le pouvoir académique et le pouvoir administratif ?

Car au-delà du DGS, les universités profitent désormais des compétences de spécialistes de la gestion dans tous les secteurs : ces professionnels appliquent évidemment la stratégie décidée par leur établissement mais ont un devoir d’alerte (c’est la mode) sur les conséquences de celle-ci : soutenabilité financière et réglementaire, moyens humains etc.

De ce que je recueille, tant auprès de présidents, de DGS ou de personnels Biatss, ce n’est pas du tout évident. Certes, le couple Président-DGS fonctionne en général plutôt bien, mais avec une répartition des rôles qui varie énormément. La place du DGS dans l’équipe de direction est encore trop souvent assez réduite, malgré un référentiel de la profession précisant qu’il contribue à l’élaboration de la politique de l’établissement.

Mais au-delà du fonctionnement de ce duo, la répartition des rôles révèle un équilibre complexe entre le pouvoir académique et le pouvoir administratif. Les modalités électorales, la gouvernance des universités en France ont ceci de baroque qu’une alliance électorale entre un président et des syndicats de personnels peut singulièrement compliquer la tâche du DGS…

Des organigrammes d’université révélateurs

Les spécialistes le savent bien : jeter un coup d’œil à un organigramme suffit souvent à dépeindre le type de management. Dans ce que j’ai vu (vous pouvez faire la même chose !), ceux des universités ressemblent souvent à un inventaire à la Prévert et défient parfois les lois de la logique, en tout cas celle de la clarté. Pire, dans de nombreux cas, trouver les services est difficile !

Par contre, la propension ridicule à mettre en avant les règles de la gouvernance avec un rédactionnel type IVè République (on croirait entendre les infos Pathé Cinéma !), ou encore le nombre de vice-présidences et/ou de chargés de mission, sont très révélateurs de la place laissée aux services et à leur chef, le DGS. Cela démontre, si besoin était, que cette question n’est majoritairement pas réglée !

Le système électoral actuel, la « démocratie universitaire », implique en effet pour le président élu de s’appuyer sur des consensus larges, des « coalitions », qui se traduisent très souvent par des postes de vice-présidents et de chargés de mission à foison.

Or très souvent, ce pouvoir académique, issu de l’élection du président, « double » les services. Pourtant, officiellement, il s’agit d’une fonction politique mais, de fait, les interférences/interventions directes sont fortes. Ce système de double commande est évidemment très perturbateur pour les personnels techniques et administratifs mais il pèse surtout sur l’efficacité.

Il est évident que la nécessité d’échanges permanents avec les enseignants-chercheurs, selon le site, la discipline, le statut, exige des relais, de la même façon qu’une équipe municipale reflètera des équilibres politiques mais aussi géographiques. Il est non moins évident qu’un enseignant-chercheur incarne le cœur de métier de l’établissement. Donc, loin de moi l’idée de banaliser l’apport d’enseignants-chercheurs en responsabilité sur le fonctionnement de leur établissement.

Mais force est de constater que ce sont rarement des personnes formées. Surtout, leur rôle est souvent mal défini (lire les intitulés de fonction est parfois un plaisir ? !), alors qu’ils/elles font face désormais à des chefs de services de plus en plus compétents, qui ne sont plus de simples exécutants, et qui managent (globalement) des centaines voire des milliers de personnels.

Quel rapport avec la démocratie universitaire me direz-vous ? La confusion des rôles génère perte d’efficacité, voire tensions, ce qui menace le fragile équilibre des pouvoirs, symbole d’une véritable démocratie. Lénergie mise à s’occuper du quotidien se substitue à celle mise sur la stratégie de l’établissement, sa déclinaison et sa représentation.

La séparation claire entre politique et administratif reste donc fragile. Ce qui nous ramène au débat sur la nature et les objectifs d’un CA d’université.

« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat » écrivait Hannah Arendt dans La Crise de la culture. Cette citation ne vaut pas aujourd’hui que pour les « infox » : débattre sereinement dans les universités nécessite de partir des faits et des chiffres, du réel et pas des fantasmes.

Une administration efficace et forte est dans ce cadre une garante de la démocratie et surtout de performance scientifique. C’est ce qu’ont compris les meilleures universités du monde.

One Response to “« Démocratie universitaire » (2) : quelle place pour l’administration ?”

  1. Excellente analyse, à remettre sur le « haut de la pile » en ce moment de campagne électorale dans un nombre très élevé d’universités. Il serait intéressant que les différentes équipes candidates soient interrogées sur ce sujet et amenées à se posiitonner.
    Les collectivités sont citées en début d’article : On pourrait même pousser la comparaison assez loin, avec la même coexistence d’élus et de l’administration, les mêmes équilibres fragiles à trouver et faciles à déstabiliser.
    Avec beaucoup de mauvaise foi, certains pourraient dire que les universitaires ont – au moins – une légitimité dans leur métier d’universitaire avant d’être élus, mais on sait que ce n’est même pas toujours vrai. Ce sont en général ces arguments qui bloquent les politiques de montée en compétence de l’administration universitaire.

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