Le débat sur l’ordonnance remet une nouvelle fois sur le tapis le concept de “démocratie universitaire” que l’on confond souvent avec collégialité. Enjeu ? Le niveau de représentation des personnels dans les CA des établissements expérimentaux, fixé à 1/3 minimum, et dont les syndicats craignent qu’il ne soit un maximum. Dans ce premier billet, je reviens sur une question : la “démocratie universitaire” est-elle la norme en France et a-t-elle les vertus qu’on lui prête ? Dans un second billet, je reviendrai sur les relations entre pouvoir académique et pouvoir administratif.
Parler de démocratie universitaire, c’est d’abord rappeler un fait : depuis des années, le taux de participation aux élections baisse sauf dans les universités. Le conseil scientifique du CNRS ? Tombé à 20% en 2018. Le CNU ? Il est de 50% en 2015. Seules les élections au CA des universités rassemblent (hors collèges étudiants) des pourcentages importants, souvent avec 70 à 85% de participation.
Ce qui m’a d’ailleurs toujours fait sourire, c’est que la légitimité des décisions des présidents d’université est régulièrement mise en cause alors même que globalement ils sont élus avec une forte participation ! Plus que les membres du CNU.
Cela indique que le centre de gravité s’est déplacé sur l’enjeu de la représentation locale des personnels. Face à cette demande réelle, qu’en retirer ?
Intérêts particuliers vs intérêt général
L’université, c’est d’abord l’existence d’un suffrage de type censitaire puisque qu’une voix n’égale pas une voix selon la catégorie à la laquelle on appartient. Il implique évidemment la fragmentation des intérêts (les maîtres de conférence contre les professeurs, les disciplines entre elles selon leur poids, les Biatss et/ou les étudiants en arbitres etc.), ceux-ci étant opposable à l’intérêt général. Mais avec un principe clair, la gouvernance est celle des enseignants-chercheurs.
Il faut donc plutôt, à propos des universités, parler de cogestion (entre personnels et usagers), voire d’autogestion (des enseignants-chercheurs), la représentation de l’État dans les CA étant inexistante. Ce que tout le monde semble oublier, c’est qu’il s’agit d’une exception dans la gestion des opérateurs de l’État, celui-ci étant formellement absent, sans même un Contrôleur d’État pour les finances…
Même à la Comédie Française, gérée par ses sociétaires, l’administrateur général est nommé par le Président de la République…
De nombreuses occasions sont aussi offertes aux différentes catégories de personnels pour faire valoir leurs points de vue avec les divers conseils prévus par les textes (académiques, scientifique, vie universitaires, CT etc.). Pourtant, les polémiques se concentrent toujours sur le CA de l’établissement.
On peut donc se poser une question : la représentation majoritaire des intérêts des différentes catégories de personnels est-elle conciliable, dans le cadre d’un Conseil d’administration, avec ceux de la société, censés exprimer l’intérêt général ? Nous verrons plus loin qu’elle n’est pas une règle absolue…sans que cela fasse polémique : CNRS, INSERM, Cnam etc.
Une autonomie en trompe-l-œil
C’est donc un débat paradoxal que ce débat qui revient sans cesse sur la “démocratie universitaire” et les modalités de représentation des personnels et usagers : l’a-t-on vu mené sur la représentation pour les autres établissements publics de l’ESR, non régis par les mêmes règles (voir infra) ?
Une fois de plus, ce sont donc les universités qui sont au cœur d’une polémique dont sont exonérés, par exemple, les organismes de recherche : les syndicats demandent-ils que le PDG du CNRS ne soit plus nommé et que les élus deviennent majoritaires ?
Car de nombreux établissements publics sont fermement surveillés par le représentant de l’État (le contrôle a priori), leurs CA composés dans cet objectif, tandis que le ou la directrice est nommée.
La raison ? Elle est historique et basique : le financeur reste le décideur. Les universités croient échapper à cette règle, au nom de leur autonomie : pourtant, cela n’empêche pas les universités françaises de porter le bonnet d’âne européen sur cette question de l’autonomie, selon l’EUA.
Le nombre des représentants des personnels dans un CA semble donc être un leurre de ce point de vue ! En effet, le particularisme français est que, contrairement à un fantasme bien vivace, l’État est bien plus un ralentisseur de par ses procédures tatillonnes, son millefeuille, qu’un véritable censeur. C’est un peu “faites ce que vous voulez, je tiens l’essentiel avec les règles nationales et le budget”.
“Démocratie universitaire” et séparation des pouvoirs
Ayant sillonné depuis des années à peu près toutes les universités françaises, je peux témoigner que je n’ai jamais vu un établissement fonctionner sans des palabres permanents, des allers-retours incessants avec les composantes etc. Et y compris quand des présidents ont fait n’importe quoi, c’était dans le cadre d’un Yalta avec certaines parties de la communauté universitaire qui s’en arrangeaient.
Dans ces conditions, doit-on vraiment parler d’un pouvoir démocratique dans les universités ou plutôt d’une gestion collégiale ? Car un pouvoir démocratique suppose une séparation et une répartition des pouvoirs que l’on ne distingue pas !
Que dire du mythe du président tout-puissant face aux sections du CNU, aux composantes ? Entre des CA pléthoriques, des organismes de recherche ayant leur propre logique, un MESRI qui reste centralisateur, la voie est étroite.
Franchement, pour le voir tous les jours depuis des années, le pouvoir réel des présidents ne saute pas aux yeux. Même quand il met en œuvre une stratégie votée, il trouve sur son chemin des contre-pouvoirs formels et informels.
Et quand bien même il voudrait passer en force, chacun sait que cela est voué à l’échec : la capacité de résistance des universitaires est bien connue ? !
Rappelons également que l’évaluation ne débouche toujours sur aucune décision, tandis que la conformité avec les règles peut être très variable : les “consensus”, comme à l’université Toulouse Jean-Jaurès, sur les services faits, les jours de grève payés, les règles du temps de travail, ou l’utilisation abusive d’heures complémentaires, témoignent à l’inverse d’un déséquilibre des pouvoirs au détriment de la société mais au profit de certains des membres de la communauté universitaire. Exemple isolé ? Non à en croire les nombreux rapports de la Cour des comptes ou de l’IGAENR.
Ce choix du gouvernement par les universitaires paraît évident pour tout ce qui concerne les affaires académiques (formation et recherche) mais l’est beaucoup moins pour le reste.
Dans toutes les universités équivalentes dans le monde, cet équilibre des pouvoirs est fondamental, au nom du jugement par les pairs. Mais justement, les contrepoids ne sont pas de même nature, par exemple pour éviter le localisme. Et surtout, gestion stratégique et gestion administrative sont clairement dissociées de la gestion des affaires académiques.
De ce point de vue, les CA d’université continuent très souvent d’être de véritables caricatures, traitant de tout, avec des durées et des contenus décourageant les personnalités dites “extérieures”, mais pas seulement.
Pourtant, les chantiers ne manquent pas : la place et le rôle des directions de composantes ne sont toujours pas réglés tandis qu’une administration puissante et efficace peut se heurter à la culture universitaire. Enfin, la société civile dans les CA n’est toujours vue que comme “extérieure”, y compris lorsqu’il s’agit d’un représentant syndical !
Cela renvoie d’ailleurs à une université française encore très tournée vers elle-même, dans son langage, dans ses codes.
Utiliser positivement cette culture du compromis et de la négociation (ah le ou la “chère collègue” !) suppose l’acceptation de l’Université avec un grand U. Gérer un “troupeau de chats” comme disent les québécois, est déjà complexe, et encore plus pour les 35 000 villages de l’ESR.
Mais je crois, comme Jean-Michel Jolion dans sa tribune à AEF, qu’il faut repenser la “démocratie universitaire” dans un contexte nouveau.
L’un des faits majeurs qui crée de l’insatisfaction, de l’inquiétude, est la difficulté des responsables quels qu’ils soient à incarner et expliquer les décisions, dans des ensembles de plus en plus complexes, voire de taille XXL. Et ce n’est pas la composition d’un CA qui peut régler ce problème.
Le rapprochement Grandes écoles-Universités, en panne depuis des années, peut-il se solutionner en termes de représentation dans un CA ? Ce serait je crois une vision passablement réductrice.
J’aborderai dans un prochain billet le sujet qui est à mon sens la raison de ces polémiques : l’éloignement des centres de décision, vu du point de vue des relations pouvoir académique/pouvoir administratif.
Des modalités de représentation très diverses dans l’ESR
Entre la loi Savary de 1984 et 2013, la part des membres élus dans les CA d’universités est restée dominante, diminuant lors de la LRU puis remontant lors de la loi Fioraso : et ce qui est constant, c’est la place des enseignants-chercheurs.
Rappelons d’abord qu’une grande partie de l’ESR public échappe depuis bien longtemps aux schémas classiques du niveau de représentation des personnels, sans que personne ne s’en offusque. Une fois de plus, tout se concentre sur les universités.
A l’image de l’ESR français, la diversité est la règle autour de la représentation dans les CA.
Dans les écoles en général ou grands établissements (je n’entrerai pas dans ces débats sur les statuts!), la “démocratie universitaire” , c’est celle d’une direction nommée, certes sur proposition du CA, mais avec une représentation très variable des élus (personnels et étudiants).
Prenons quelques exemples :
CentraleSupélec. Sur 32 membres, 18 “extérieurs” et 14 élus, des élus minoritaires.
INSA. A Lyon, 33 membres, 14 personnalités extérieures, et 19 élus. A Rouen 36 membres, 16 personnalités extérieures et 20 élus, des élus majoritaires.
IMT. 26 membres dont 18 nommés, 8 membres élus.
UT Compiègne. 28 membres, 14 personnalités extérieures et 14 élus.
CNRS : 23 membres sont 6 élus et il faut noter la présence de 3 représentants de l’Etat.
INSERM : 21 membres dont 6 élus et 6 représentants de l’État.
Dans les organismes de recherche, sous statut EPST comme le CNRS, sans parler du statut EPIC comme le CEA, la gouvernance n’a donc rien à voir avec celle des universités, avec également un président nommé.
Ailleurs
Les CHU. Un conseil de surveillance de 15 membres, 5 représentants du personnel médical et non médical.
Certes, ce sont les enseignants chercheurs élus qui « gouvernent », et c’est peut être une « exception dans la gestion des opérateurs d l’Etat », mais il faut rappeler que cette disposition repose sur le principe d’independance des enseignants chercheurs, principe de niveau constitutionnel…
Et c’est une très bonne chose qu’une démocratie avancée se dote d’un corps d’universitaires indépendants du pouvoir.
Oui, mais il n’y a pas de lien entre l’indépendance nécessaire des chercheurs et leurs modalités de représentation : les organismes de recherche en sont un bon exemple ! C’était l’objet de mon article : rien ne permet d’affirmer, au vu de des exemples que je cite, que les établissements français dans lesquels la représentation des universitaires/chercheurs élus est minoritaire sont des catastrophes du point de vue de la formation et de la recherche.
Je vais dans le même sens que JMC, l’indépendance des enseignants chercheurs prévue par la constitution a été introduite pour garantir leur liberté d’expression. Il n’a jamais été question à l’époque de traduire cette indépendance dans les actes de gestion de l’argent public. Ils sont de facto présents dans les instances (et c’est bien là une conséquence que le législateur a introduit sur leur indépendance) mais cela d’induit pas qu’ils soient majoritaire dans les décisions. La seule prérogative prévue par ce principe d’indépendance concerne l’évaluation par les pairs. Et l’on fait trop souvent un mélange entre l’évaluation par les pairs et l’indépendance de gestion des fonds publics..
Je vous invite à lire l’article de JM Mérindol “les universitaires et leurs statuts depuis 1968” paru dans la revue le mouvement social en 2010 (2010/4, n° 233, p 69-91).
Le principe d’independance concerne les enseignants chercheurs.
Pourquoi ce principe ? Pour éviter que le contenu des enseignements ne soit contrôlé. Il concerne la liberté d’expression en général mais aussi d’expression dans l’enseignement. Que dire si d’aventure un ministre climatosceptique voulait faire pression sur le contenu des enseignements ?
Ce principe est très sain.
Bien sûr, il est évident que la représentation est essentielle là dedans, y compris à travers les actes de gestion. Un CA et un président ont un pouvoir sur le contenu des enseignements, souvent indirectement par le biais d’actes de gestion.
Au CEA, par exemple, à l’inverse la gouvernance est nommée top down par l’Etat, parce qu’il s’agit d’un organisme qui est missionné et piloté par l’Etat. Il n’y a pas d’indépendance de principe de ses chercheurs. Mais l’université, ce n’est pas pareil et c’est pour cela que cela demande une gouvernance particulière et une représentation élue.