A ses nombreuses publications, devenues des références, Christine Musselin ajoute désormais un opus bien particulier : ses propositions pour l’université. Elle entre donc dans l’arène qui sépare l’analyse de l’action, ou du moins la proposition de solutions. Elle se soumet par là-même à une critique d’une autre nature ! Je vais essayer modestement, de formuler la mienne, celle d’un « observateur empirique ». En m’attardant sur les points sur lesquels elle apporte un regard décapant (recrutement, HCERES) mais aussi sur des propositions sur la gouvernance qui me semblent de ‘fausses bonnes idées’ et enfin sur une impasse sur les organismes de recherche qui affaiblit son propos.
Christine Musselin s’est affirmée depuis sa thèse en 2007 comme la spécialiste incontestée de l’enseignement supérieur en France. Lire une sociologue qui part de ses recherches et pas de son appartenance militante pour faire des propositions pour l’enseignement supérieur, c’est devenu rare. Christine Musselin 1Son livre « Propositions d’une chercheuse pour l’Université » est édité par les Presses de Sciences Po. ne bat pas le pavé des tribunes dans Le Monde, Libération, Les Echos ou Le Figaro, occupées trop souvent par celles et ceux qui ont fait de l’université un objet de combat, pas un objet de recherches 2Ajoutons que, à l’instar de Daniel Filâtre, elle a mis ‘les mains dans le cambouis’ en prenant la direction de la recherche de Sciences Po pendant quelques années..
A la différence des pétitionnaires permanents, elle connaît remarquablement bien les systèmes étrangers non par ouï-dire mais pour y avoir vécu, travaillé et cherché. Elle préfère l’analyse à l’anathème et ne cite pas Bourdieu (ou une autre figure totémique) toutes les 2 lignes, préférant heureusement penser par elle-même. Rassurant non ? Il existe encore une sociologie non-militante et qui peut revendiquer la rigueur scientifique.
Soulignons enfin que son point de départ, que tout « observateur empirique » ne peut que partager, est qu’il faut modifier un discours ambiant « trop souvent négatif » et mettre en valeur les forces, réalisations et succès des universités. Et que pour changer, il vaut mieux inciter plutôt qu’imposer.
Une impasse qui affaiblit son propos
Christine Musselin fixe cependant un cadre contraint à ses propositions, limitées au périmètre de ses recherches. Elle s’interdit (mais elle le souligne honnêtement), de parler de l’estomac et des reins, ayant travaillé sur le foie, les poumons et le cœur.
Dommage, on aurait aimé, puisqu’elle s’engage dans des propositions, qu’elle dépasse l’objet strict de ses recherches (modes de pilotage ministériel, gouvernement des universités et gestion des carrières). Son livre fourmille fort heureusement d’analyses qui pour beaucoup ne sont pas nouvelles, mais restent pertinentes.
Mais cette approche souffre d’un défaut « systémique » (ouh, je parle comme un scientifique !!!) avec une étrange impasse, symbolique des maux de l’ESR français : la place et le rôle respectif de l’université et des organismes de recherche. Comme si on pouvait « traiter » l’université seule, au niveau des recrutements, de la gestion ou des moyens. Cela affaiblit, y compris dans ses propositions « techniques », son propos sur la nécessité de rendre l’université française plus attractive.
En effet, comment aborder le CNU, la GRH des enseignants-chercheurs, l’évaluation sans traiter une partie essentielle du système (le CNRS par exemple) ? Tout ceci influe sur les conditions de la recherche mais aussi de la formation à l’université ! Pourtant, curieusement, l’hybridation des cultures Grandes écoles-universités est évoquée mais pas celle à l’œuvre dans les UMR avec les organismes. Comme si les Idex, Comue n’étaient qu’une question universitaire.
C’est à mon humble avis la grande faiblesse des travaux de recherche sur le système français : faire l’impasse sur les organismes de recherche. Alors qu’une vision à 360° serait nécessaire, la plupart portent une vision à 180°.
Des constats incontestables
Tout au long de ce livre, Christine Musselin distille cependant des constats passionnants, polémiques mais aussi souvent incontestables, sur le système français : choix d’une compétition entre sites, pas entre établissements, davantage sur des critères institutionnels que scientifiques, des fusions globalement sans écoles.
Regroupement et politique de site. Elle relève que si le monde académique est en permanence dans des logiques de coopération et compétition, la coopération dans l’ESR procède surtout du statut (je suis une université, un chercheur de rang X ou Y) que de la proximité territoriale.
Cela conduit la chercheuse à renouveler sa critique des meccanos institutionnels, du ‘big is beautiful’ en plaidant pour les « affinités », souhaitant à propos des relations Grandes écoles-universités « l’émergence d’institutions innovantes sachant hybrider et articuler les modèles au lieu de les répliquer ou les juxtaposer ». Elle voit plutôt 2 ou 3 établissements sur un projet différenciant, et constate que la diversification (institutionnelle, d’objectifs) du système doit générer une diversité organisationnelle.
Politique contractuelle. Si les « petites et grandes universités peuvent réussir et coexister », cela doit passer par une rénovation de la politique contractuelle. Seule cette dernière peut permettre d’éviter que l’écart se creuse en donnant toujours « plus à ceux qui sont les mieux dotés ». Car sinon « on perd le bénéfice de la différenciation ».
Mais Christine Musselin attribue de façon un peu idéaliste des vertus à la contractualisation que l’Etat français et le MESRI sont bien en peine, tel qu’ils sont, de mener. D’ailleurs, le nouveau « dialogue stratégique de gestion » ne trouve pas grâce aux yeux de la chercheuse, pour une double raison : faible incitation financière et surtout un modèle de conformité aux objectifs du MESRI, pas des établissements. On pourrait y ajouter : incapacité des services de l’Etat à penser différemment, manque de compétences…
Des propositions décapantes
Dans la série des propositions qui feront réagir, il y a celles de laisser la main aux universités pour recruter, de supprimer le CNU ou encore l’agrégation du supérieur, mais aussi celle de mettre en place des rémunérations différenciées, avec des « fourchettes par grade » comme en Allemagne.
Mais le point le plus fort de ce livre est la description de ce que pourrait être une véritable politique de recrutement et d’évaluation des enseignants-chercheurs. Son approche globale pose les jalons d’une véritable GRH.
S’agissant du localisme, si elle reste opposée au principe d’interdire tout recrutement local, elle estime qu’il « faut parfois en passer par des périodes d’interdiction ou de quotas, le temps que de bonnes habitudes soient acquises et qu’une communauté soit capable d’admettre des exceptions ».
Le passage sur la nécessité de « renoncer à la souveraineté des comités de recrutements », en impliquant le département ou le centre de recherche, de modifier la taille et la composition des comités de sélection est passionnant. De même que celui sur une évaluation quinquennale qui pourrait être l’occasion majeure selon elle de rediscuter les fonctions d’enseignement et recherche, sans aller jusqu’au ‘teaching’ et ‘research’ professors anglo-saxons, bien que…
Elle soulève enfin une question que personne en France ne se pose : quel est l’intérêt de recruter un « mauvais » candidat pour une université ? Et Christine Musselin de souhaiter que l’on inverse la posture de recrutement : s’agit-il d’être séduit par un candidat ou de le séduire ?
Critique du HCERES. Elle appelle à revoir complètement l’évaluation et à « repositionner le HCERES sur son cœur de métier » parce qu’il s’intéresse « plus aux process qu’aux contenus ». Et elle prône le retour à une notation selon une grille multicritère à l’instar de ce que l’Aeres avait mis en place à partir de 2012.
Augmenter les droits d’inscription. Enfin, pour augmenter sa popularité chez les sociologues français (notamment), Christine Musselin se prononce « pour une augmentation raisonnable des droits d’inscription, à condition qu’elle ne concerne pas que les étudiants étrangers et que plusieurs garanties soient apportées afin d’éviter les dérives que l’on peut observer, notamment aux États-Unis ». Ce serait notamment fixer des verrous pour que la contribution étudiante ne devienne pas une variable d’ajustement des moyens publics et ne serve pas à compenser la baisse de l’investissement public.
Gouvernance : des propositions contradictoires
A juste titre, à partir du constat de la « faible interdépendance fonctionnelle » des activités des universitaires, elle en tire la conclusion (vérifiée tous les jours !) qu' »il ne suffit pas de renforcer l’étendue du pouvoir de décision des responsables universitaires pour que leur capacité d’action se renforce. »
Dualité élus-administration. Ses préconisations passent d’abord par l’examen de la dualité (une de plus !) franco-française entre « politiques » et « administratifs ». Préférant à raison parler de « leaders », qu’ils soient universitaires ou administratifs, elle formule une proposition surprenante.
Soulignant l’inflation du nombre de vice-présidents et de chargés de mission, elle estime que vice-président(e)s, directeurs de service et DGS sont souvent en conflit, faute de clarification des rôles des uns et des autres. Elle préconise qu’il n’y ait pas plus de 4 VP (formation, recherche, international, numérique), et que s’opère une distinction entre directions fonctionnelles et directions métiers, les premières étant sous la direction des DGS, les secondes sous la direction des VP.
Il est amusant de voir que Christine Musselin est « prescriptive » sur le nombre de VP, alors qu’elle n’a cessé de plaider dans son livre…pour la diversité organisationnelle ! Enfin, outre le caractère irréalisable d’une telle césure fonctionnelle-métier, son constat est biaisé : le conflit qu’elle évoque n’est pas une règle, à partir du moment où le couple Président-DGS fonctionne, avec une équipe de direction composée justement de « leaders » et un encadrement supérieur de haut niveau !
Renforcer les facultés. Elle propose de renforcer le niveau facultaire mais en faisant coïncider les mandats doyens/présidents, avec des doyens proposés par les présidents, et validés par le conseil d’UFR. Cela s’accompagnerait d’une redistribution des tâches entre services centraux et administrations d’UFR, avec à la clé une réduction du nombre de composantes.
Son idée de « dégonfler la tête et muscler les jambes » oublie la diversité des organisations au sein des universités (liée à leur histoire, au multi site etc.). Elle souligne le « déficit de personnels dans les départements et les centres » (ce qui n’est pas toujours vrai…) mais omet de pointer la différence essentielle entre les universités françaises et leurs homologues. Quelle est-elle ?
Ce n’est pas en soi le taux d’encadrement mais la sous-dotation en personnels administratifs et de soutien, en nombre et en niveau, et donc aussi dans les services centraux ! Peut-on formuler des propositions sans un mot sur les organismes (quoi de commun sur leur apport à Paris Saclay et à l’université de Picardie ?), sur les 35 heures, sur le type de management ou encore sur la pyramide des emplois (poids des catégories C) et leur répartition très inégale entre établissements ?
C’est cela qui a des conséquences énormes sur le fonctionnement, les relations interpersonnelles et le climat dans les établissements.
Collégialité et démocratie universitaire. Christine Musselin affirme de façon surprenante à propos des CA que les « appartenances syndicales ou politiques jouent un rôle secondaire dans le fonctionnement quotidien ». Parce que 60% des répondants à une enquête de 2011 auraient déclaré être en désaccord avec l’affirmation selon laquelle les « décisions des conseils sont très dépendantes des logiques syndicales. » Curieuse « preuve » et curieux déni déclaratif de réalité…
Parce qu’il faut « distinguer le stratégique de l’opérationnel », Christine Musselin propose de créer des conseils d’orientation stratégique composés à 50 % au plus de membres de l’université, qui se prononcerait sur le budget et la politique de l’établissement, tandis qu’un conseil de l’université, constitué uniquement de membres de l’université et remplaçant les actuels CAC et conseil d’administration, « prendrait les décisions plus opérationnelles. »
Cette dernière proposition, c’est l’arlésienne de l’enseignement supérieur !
Références
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