Pendant la crise sociale, il se passe plein de choses qui concernent le quotidien de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai procédé à une petite sélection : les illusions d’optique du mouvement étudiant, les nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performance, et le risque d’usine à gaz, le regard ‘franchouillard » sur l’autonomie, mais aussi les droits différenciés pour les étudiants étrangers, l’inquiétante discrimination en master, les prépas face au monde d’hier ou encore la déontologie à géométrie variable de certains académiques.
Bien sûr, l’actualité demeure le mouvement contre la réforme des retraites et ses implications dans les universités. A l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a toujours pas de mouvement étudiant massif mais des blocages sporadiques. Au-delà des prophéties qui se veulent autoréalisatrices de certaines organisations étudiantes, on ne peut que sourire de leur amateurisme dans la présentation de chiffres peu crédibles. Même en se basant sur leur communiqués, on voit bien que la mobilisation est faible et surtout circonscrite à quelques sites (ne parlons même pas d’universités).
Duplicité, quand tu nous tiens…
Ainsi, le site de la Place de la Victoire de l’université de Bordeaux a été occupé, mais par très peu d’étudiants selon Sud-Ouest, avec surtout des dégâts considérables, dont on peine à saisir le lien avec la contestation de la réforme des retraites. Dans une interview à Sud-Ouest, le président de l’université Dean Lewis évoque 2 à 6 mois de travaux pour réparer les dégâts ! Remarquons que, signataire de multiples tribunes contre les différentes réformes, le centre Émile Durkheim, laboratoire commun à l’université de Bordeaux et à l’IEP, situé dans ces locaux, avait annoncé suspendre son activité publique « en cohérence » avec la motion de solidarité avec le mouvement social qu’il a adoptée. Malheureusement (je me trompe peut-être), la destruction de leur outil de travail ne suscite aucune réaction vigoureuse et indignée. Peut-être se réservent-ils pour dénoncer le budget qu’ils jugeront insuffisant pour réparer les dégâts ?
Contrat d’objectifs, de moyens et de performance : la grande affaire !
Sylvie Retailleau a donc dévoilé la liste des 34 premiers établissements, le financement, les objectifs et le processus 1Le MESR indique que 140 établissements sont éligibles à ces contrats d’une durée prévisionnelle de trois ans, avec une enveloppe de 100 à 120 M€ par an sur trois ans pour chacune des trois vagues.. Dans une interview à AEF, elle avertit que « si les objectifs ne sont pas atteints […], les crédits seront supprimés, réduits ou réorientés », aspect sur lequel elle sera « intraitable ». Quant aux recteurs ESRI, ils auront la responsabilité du suivi du COMP dans le cadre d’un dialogue annuel de performance.
Après avoir lu les projets de circulaire, j’ai eu un doute : et si comme d’habitude, tout ceci n’allait pas finir en nouvelle usine à gaz ?
Autonomie des universités : notre si cher village gaulois
Le dernier comparatif européen de l’autonomie des universités publié par l’EUA pointe quelques progrès mais surtout l’énorme retard français. Il m’inspire une remarque. Le refus largement partagé de cette autonomie en France, de l’extrême-droite à l’extrême gauche en passant par Bercy 😒, a pour dénominateur commun le souhait d’un État central fort et en réalité d’un pouvoir vertical.
Cette dénonciation de l’autonomie comme ‘dérive néolibérale’ me rappelle celle que l’on a connue sur les classements PISA et TIMMS à propos du décrochage français en matière d’éducation : le déni a aussi conduit à la situation peu brillante que l’on connaît. Derrière tout ceci, se profile la pseudo menace des modèles venant de l’étranger et des méchants comparatifs. Le problème c’est qu’aucun fait ni chiffre n’étaye cette vision apocalyptique des systèmes allemands, scandinaves etc. En revanche, on peut trouver dans ce débat d’un autre âge des relents de ‘franchouillardise » voire de repli identitaire, ce qui fait tristement écho à d’autres 🤨…
Droits d’inscription pour les étudiants étrangers : l’autonomie pour les nuls ?
On le sait, ils et elles figurent parmi les principales victimes de la précarité, surtout les étudiants africains. La mise en place de droits différenciés fait l’objet d’un bilan dans une note d’information du SIES-MESRI. La proportion d’étudiants extracommunautaires s’acquittant de la totalité des droits différenciés augmente certes d’année en année mais n’est que de 4 % à la rentrée 2021… Soit 5 900 !
Pourquoi ? En réalité, le nombre d’étudiants bénéficiaires de différents types d’exonérations, partielles ou totale, augmente, essentiellement grâce aux exonérations partielles d’établissement, soit 69 700 en 2021. 1 sur 2 en bénéficie (contre 29 % en 2019 et 47 % en 2020). Comme quoi l’autonomie des établissements 👍… Et les étudiants africains ? 57 % d’entre eux bénéficient d’une exonération partielle soit « une proportion significativement plus élevée que chez les étudiants en provenance d’autres continents. » Mais, conséquence, seuls 8 % d’entre eux bénéficient d’une exonération totale.
Discrimination en master pour les étudiants d’origine maghrébine : comment est-ce possible ?
Selon une étude sur la « sélection à l’entrée en master : les effets du genre et de l’origine« de l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur de l’université Gustave Eiffel, il n’y a pas de différence significative de traitement entre les étudiants et les étudiantes. En revanche, l’étude confirme « une discrimination significative à l’encontre des candidats d’origine maghrébine 😠 ».
Cependant, les explications données par les auteurs de l’étude me laissent perplexe 😞: « Plusieurs éléments confirment que l’intensité des tensions dans le recrutement est un élément explicatif majeur des discriminations. » Oui mais pourquoi spécifiquement pour les étudiants d’origine maghrébine ? Les auteurs esquissent une typologie des responsables du recrutement qui irait avec ces discriminations : favorables à des masters plus sélectifs, jugeant pas important de favoriser les candidatures extra-européennes, plus fréquemment favorables à la hausse des droits d’inscription pour les personnes d’origine française etc.
L’étude me semble soulever plus de questions que d’explications et de solutions : c’est pourtant un problème suffisamment grave pour que la communauté universitaire s’en empare. Est-ce le cas ?
Prépas : le sens de l’histoire
Dans les CPGE, l’inquiétude monte. Certes, pour la baisse des inscrits, il faut différencier : la crise est majeure pour les prépas ECG. Quelques jours après l’annonce de la mise à l’arrêt de la réforme des classes préparatoires économiques et commerciales, lire le dernier communiqué de la CDEFM (en résumé les principales écoles de commerce) permet de comprendre le sens de l’histoire.
En termes diplomatiques, elle indique qu’elle « reste ouverte à la poursuite des échanges pour une meilleure attractivité » des CPGE. Après avoir développé le business des bachelors et ainsi ‘tué’ les prépas ECG, la CDEFM utilise des périphrases délicieuses pour ajouter un clou à leur cercueil : « il est indéniable que le monde change et que les aspirations des élèves se transforment également. » Heureusement, elle « reste confiante quant à la capacité des CPGE de se saisir de ces enjeux. » Débrouillez-vous en un mot !
On ne peut s’empêcher de penser à la position de l’association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales. Elle ne s’est toujours pas rendue compte de l’évolution du monde : bachelors, CPES et concurrence étrangère, sans parler évidemment des aspirations des jeunes. Un monde d’hier à méditer pour d’autres secteurs non ?
Déontologie à géométrie variable
Il est passé un peu inaperçu. Il s’agit de l’avis relatif à « l’expression publique des chercheurs » du Collège de déontologie de l’ESR. C’est d’ailleurs curieux connaissant tous les déontologues en herbe du milieu universitaire. L’avis rappelle la recommandation de l’UNESCO sur le fait que « l’enseignant-chercheur lorsqu’il intervient oralement ou par écrit dans un contexte extra universitaire sur des questions qui ne relèvent pas de sa spécialité veille à ne pas induire le public en erreur sur la nature de sa compétence personnelle ».
Or, l’actualité nous le démontre, se multiplient les interviews/tribunes etc. d’académiques sur des sujets qui ne sont pas les leurs. On a d’un côté, un Mickaël Zemmour, engagé certes, mais qui décrypte la question des 1200€ comme économiste, et de l’autre des clones du sociologue Laurent Mucchielli devenu un spécialiste de l’hydroxychloroquine, qui interviennent sur tous les sujets « ès qualités ».
Le Collège de déontologie regrette que la Charte de déontologie des métiers de la recherche ne soit pas mieux connue au sein de la communauté scientifique. C’est surtout qu’au nom d’une prétendue indépendance, beaucoup s’assoient sciemment dessus.
F. Vidal : le supplice chinois
Le Monde publie la réponse ‘officielle’ du MESR à un mémoire en défense adressé au tribunal administratif de Paris, suite la requête de 6 enseignants-chercheurs : il n’y a eu aucune enquête sur ‘l’islamo-gauchisme’ à l’université. Je rappelle seulement ce que j’écrivais dès le 22 février 2021 : « Non il n’y aura ni enquête, ni étude sur l’”islamo-gauchisme” à l’université. De fait, F. Vidal a “mangé son chapeau” dans un naufrage politique et médiatique inédit. Personne ne pouvait imaginer sérieusement que cela aurait été possible, connaissant le fonctionnement des universités. »
Vous voulez avoir un bon mal de crâne ?
Lisez l’avis du CSP sur la formation et le recrutement des enseignants. J’avoue que j’ai lâché prise sur cette question, tellement la confusion règne. Le Conseil supérieur des programmes propose en effet 8 « scénarios » pour le 1er degré et 7 « scénarios » pour le 2nd degré. Une clarté obscure sans doute !
Références
↑1 | Le MESR indique que 140 établissements sont éligibles à ces contrats d’une durée prévisionnelle de trois ans, avec une enveloppe de 100 à 120 M€ par an sur trois ans pour chacune des trois vagues. |
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