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Après le drame de Lyon, syndicats, politiques et à leur suite les médias et leur cohorte de commentateurs et éditorialistes, se sont emparés du thème de la “précarité étudiante”. En méconnaissant une fois de plus, aveuglés par le mythe Mai 68, que “leur” France étudiante n’existe plus : il y a désormais une multitude de France étudiantes, que ce soit en termes de situation sociale ou en termes de rapport aux études. Quelles que soient les annonces gouvernementales prévues, la question est posée : saupoudrage ou ciblage des efforts et des politiques sociales ?

Il y a plus d’un an, j’alertais sur la question du montant des bourses, et au-delà sur l’absence de ciblage des aides sociales. Peu à cette époque s’en souciaient, y compris chez les syndicats étudiants ou les guérilleros du Quartier Latin plus occupés à dénoncer d’éventuelles hausses des droits…qui n’auraient de toutes façons pas concernés les moins favorisés ! Je me sens donc autorisé à ne pas verser dans la démagogie et sa variante, le misérabilisme.

D’autant que on n’a pas beaucoup entendu les donneurs de leçons d’aujourd’hui s’offusquer du discours navrant des pouvoirs publics sur l’ouverture sociale des Grandes écoles.

A lire ou écouter les médias et commentateurs, persiste cette  vision d’une France étudiante mythique, alors même que les différenciations académiques (émergence de l’enseignement supérieur privé, poids accru des filières sélectives vs non sélectives, cycle court/cycle long) en disent autant que les différenciations sociales.

Le misérabilisme comme fonds de commerce

François Dubet et Marie-Duru-Bellat dans la revue Esprit, ont résumé de façon tranchante l’hypocrisie des débats actuels dans l’ESR à propos de Parcoursup. Les critiques sur la “sélection” à l’œuvre reposent “sur une vision misérabiliste des étudiants de milieu populaire”, tandis que “les auteurs de ces motions et manifestes justifient certaines inégalités, en tolèrent beaucoup, en ignorent d’autres.”

C’est exactement la même chose concernant les aides sociales : en développant une vision misérabiliste 1Sur la “précarité étudiante”, les chiffres les plus fous ont circulé, les décodeurs du Monde avançant même que près de 20% des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Ils affirment, dans la même veine de journalisme, reprenant à leur compte…une enquête de l’UNEF que “le coût de la vie étudiante augmente de manière constante depuis près de dix ans, les hausses les plus importantes ayant été constatées entre 2009 et 2012, plongeant un peu plus, à chaque rentrée, les étudiants dans la précarité.”, les discours entendus évitent soigneusement de poser ces  2 questions simples : les aides sociales vont-elles à celles et ceux qui en ont le plus besoin ? Et ces derniers doivent-ils être considérés, parce que d’origine populaire, comme obligatoirement en détresse ? Comme si la position sociale des “pauvres” leur assignait une place de victime, qui permettrait aux dames patronnesses du XXIème siècle de les sauver.

Le point de départ de toute analyse factuelle est que la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur est réelle, comme le montrent tous les indicateurs. Mais la conséquence est la présence accrue de publics plus fragiles socialement, concentrés dans certaines filières : il y a donc un enjeu financier bien sûr, d’orientation mais aussi de suivi personnalisé.

On peut d’ailleurs remarquer que les étudiants les moins favorisés ont de plus en plus tendance à s’inscrire dans les filières les mieux encadrées au sens pédagogique (IUT, STS, IFSI). C’est le signe d’une demande forte de suivi personnalisé mais aussi d’estime de soi : être dans une filière sélective est valorisant.

La situation en 3 constats simples

La dernière grande enquête de l’OVE date de 2016 2Pour la 9ème édition, plus de 245 000 étudiant·e·s seront invité·e·s à répondre à son questionnaire entre le 12 mars et le 25 mai 2020. et donne des chiffres incontestables. Ses constats démentent toutes les visions catastrophistes ou idylliques : ils sont basé sur les faits.

  1. Le financement des aides sociales par l’Etat est largement comparable aux autres pays, voir supérieur, mais fragmenté : aides directes (bourses), indirectes (restau U), aides au logement et … aides fiscales. Le baromètre comparatif Eurostudent (page 151) montre qu’on est loin des chiffres avancés un peu partout, dans une surenchère misérabiliste : 6 % des étudiants français déclaraient  avoir des difficultés financières très importantes en 2016, contre 9 % en moyenne pour les étudiants européens.
  2. Ce financement bénéficie d’abord aux étudiants qualifiés par l’OVE de “non pauvres”, notamment en raison des aides fiscales. On peut aussi souligner la faiblesse de la différenciation sur les bourses, que j’ai signalée à maintes reprises sur ce blog : l’augmentation du nombre a été favorisé (avec le soutien pendant des années des syndicats étudiants) au détriment de la qualité des bourses.
  3. Les difficultés sont multiformes et ne réduisent pas à la question financière : l’isolement, la faiblesse du nombre de “jobs” étudiants proposés dans les universités (sur le modèle américain) mais aussi les faiblesses de l’orientation et de la prise en charge pédagogique. De même, les questions de logement sont concentrées à la fois dans certaines villes et à certains moments (en raison de la “saisonnalité” des études). Enfin, si l’on prend les questions d’addiction (alcool, drogues) on ne peut pas dire par exemple que les étudiants d’écoles d’ingénieurs ou les Business schools, de CSP + y échappent.

A ces 3 constats, il faut ajouter ce que les responsables de terrain constatent quotidiennement : ils sont frappés par les cas extrêmes qu’ils rencontrent et qui recoupent les “indices de vulnérabilité” élaborés par l’OVE (voir infra) comme l’isolement, la décohabitation, l’échec, les problèmes de santé etc.

Mais comme d’habitude en France, au lieu d’apporter des réponses ciblées sur les publics les plus fragiles, on se perd en généralités ou, ce qui revient au-même, en saupoudrage de l’argent public. La grande faiblesse du système français est là.


Que nous apprend l’enquête OVE de 2016 ?

On peut aussi, pour se remettre à niveau, lire l’interview de la présidente de l’OVE, Monique Ronzeau, dans le Point.

Des aides profondément inégalitaires. En effet 66 % des étudiants “non pauvres” bénéficient d’aides publiques, contre seulement 49 % des étudiants “pauvres” selon l’OVE. Ce dernier soulignait également l’importance des solidarités familiales, qui se matérialisent par une aide financière mais aussi “un système de services” , et sont “source d’inégalités entre les étudiants”. Enfin, il jugeait que permettre aux étudiants de concilier travail et études “doit constituer un enjeu pour les politiques de vie étudiante”.

Des fragilités psychologiques étudiants “croissantes”. Les fragilités d’ordre psychologiques sont un problème qui s’installe : 69 % des étudiants disent souffrir de stress (49 % en 2013), 67 % d’épuisement (53 % en 2013) et 50 % de problèmes de sommeil (40 % en 2013). Le rapport aux études est ainsi en partie interrogé (bonne ou mauvaise orientation, succès ou échec, etc.).

Les étudiants les plus fragiles. Les outils de mesure ne rendent évidemment pas compte de toutes les situations difficiles de celles et ceux qui n’ont pas de bourses. Selon l’enquête 2016 de l’OVE, 22,7% en moyenne déclaraient en 2016 avoir été confrontés à d'”importantes difficultés financières dans l’année” : ce % monte à 26,5% pour les boursiers. L’enquête permet de mieux cerner les publics potentiellement en difficulté : étudiants étrangers, boursiers, décohabitants, étudiants dépassant un “seuil” en termes de travail salarié par exemple.

9 indicateurs de mesure de la précarité étudiante

Ces “indices de vulnérabilité” ont été définis par Résosup et l’OVE en septembre 2016.

  1. difficultés financières ;
  2. aide des proches ;
  3. travail indispensable ;
  4. renoncement aux soins ;
  5. alimentation ;
  6. santé physique ;
  7. santé psychologique ;
  8. isolement ;
  9. difficulté de logement.

Références

Références
1 Sur la “précarité étudiante”, les chiffres les plus fous ont circulé, les décodeurs du Monde avançant même que près de 20% des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Ils affirment, dans la même veine de journalisme, reprenant à leur compte…une enquête de l’UNEF que “le coût de la vie étudiante augmente de manière constante depuis près de dix ans, les hausses les plus importantes ayant été constatées entre 2009 et 2012, plongeant un peu plus, à chaque rentrée, les étudiants dans la précarité.”
2 Pour la 9ème édition, plus de 245 000 étudiant·e·s seront invité·e·s à répondre à son questionnaire entre le 12 mars et le 25 mai 2020.

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