La mise en place généralisée d’enseignements à distance dans le supérieur, a pris de court tous les acteurs, y compris celles et ceux qui avaient de l’avance. Car c’est une chose de mettre des cours en ligne, c’en est une autre, y compris en termes de « tuyaux », de passer dans l’urgence et, il faut le dire, dans l’improvisation à 100% en distanciel. Mais au fond, cette crise va-t-elle changer de façon réelle et pérenne la manière d’enseigner ? Plutôt que de pontifier sur ce sujet, je préfère faire découvrir 2 réflexions pertinentes tenues par d’autres, bien plus compétents !
La crise sanitaire à révélé un niveau de préparation et d’adaptation pédagogique très variable selon le type d’établissement, selon les disciplines concernées et évidemment selon les enseignants. Et on a assisté au retour des théories fumeuses de gourous du numérique ou, à l’opposé, de fatwas sur les effets néfastes du numérique. Et puis aux pétitions de juin pour une rentrée en présentiel ont succédé, souvent par les mêmes, celles pour du distanciel. Un classique…
Si l’on observe ce qu’il s’est passé, les Business schools françaises avaient, en raison de leur exposition internationale et de leurs moyens, déjà esquissé une transformation numérique. Mais tant pour les universités que pour les écoles, la crise a avant tout questionné en profondeur la relation entre l’enseignant et ses étudiants.
Pour les universités, le défi quantitatif s’est en plus conjugué avec une diversité disciplinaire sans égal. Leur réactivité, celle des équipes pédagogiques, en a surpris beaucoup. Il faut dire que la gestion de crise y est une qualité intrinsèque !
Les enseignants étaient souvent peu familiers non pas du numérique, mais des outils pédagogiques numériques. Y compris dans les écoles. Ils ont dû globalement investir une énergie et une créativité considérables pour assurer leurs enseignements, et ce au détriment de leur recherche.
Quant aux étudiants, on a pu mesurer qu’ils ou elles ne forment pas un tout homogène. Les différences sociales, géographiques ou de genre ont eu un impact, tout comme les inégalités d’accès au numérique. Ainsi, les universités ont dû faire face à un nombre important d’étudiants ne disposant pas d’ordinateurs et/ou de connexion internet fiable.
2 analyse à connaître
Quels constats et leçons peut-on peut d’ores et déjà dégager de cette expérience inédite et accélérée ? Face à cette situation, les explications simplistes de celles et ceux qui nous annonçaient il y a quelques années la fin du présentiel et maintenant l’émergence des ‘digital natives’ font sourire. Loin des théories qui fleurissent ici ou là avec une dimension digne du café du commerce, j’ai essayé de m’ intéresser à ce qu’en disaient des acteurs, à savoir des enseignants-chercheurs.
2 analyses ont retenu mon attention, dressant en quelque sorte un « état de l’art ». Elles ne sont pas les seules, mais elles me paraissent bien résumer les questionnements. Et convergent autour du nécessaire pragmatisme.
La première est passionnante par l’angle choisi : un enseignant-chercheur qui tient le blog Aéroergastère décortique sa pratique en temps réel. Cela permet une discussion concrète. Intitulée « A distance… Retours d’expérience sur l’enseignement pendant le COVID », elle constitue une analyse très pointue des points forts/points faibles du distanciel, vécus au quotidien.
La deuxième revient sur les modalités pédagogiques possibles pour la rentrée 2020 : « hybride, multi ou comodalité ? » Initiateur d’un nouveau « groupe collaboratif » sur l’hybridation des formations dans l’enseignement supérieur lancé pendant le confinement, Jean-Marie Gilliot, maître de conférences en informatique à l’IMT Atlantique revient sur une approche « proposant systématiquement à chaque étape de la formation, à la fois une modalité en présence (synchrone), une modalité à distance asynchrone et une modalité asynchrone, l’étudiant pouvant choisir à chaque étape la modalité qui lui convient le mieux. » Il souligne que l’université de Laval (Québec) utilise « la dénomination co-modalité, ou formation comodale, et propose de nombreuses ressources intéressantes pour développer un tel modèle d’instruction, qui dénote la combinaison ou la coexistence des modalités. »
Quels sont les principes fondamentaux d’une telle approche ? Le choix libre de l’étudiant, l’équivalence des activités, la réutilisation du matériel et l’accessibilité.
Quelles leçons en tirer ?
- La première leçon est que les étudiants et leurs enseignants, dans les universités et écoles, aspirent d’abord au présentiel ! Ce que l’on appelle l’expérience étudiante, cette socialisation si féconde, est aussi essentielle que le contenu des cours !
De ce point de vue, les étudiants déjà en difficulté n’ont pas vécu de miracle grâce au numérique, qui reste un outil. La capacité de travailler en autonomie n’est pas innée et plus que les autres, ils ont besoin de l’échange avec les autres étudiants et bien sûr leurs enseignants.
- La seconde leçon, c’est l’acquisition accélérée des compétences numériques des enseignants, qui n’est plus l’apanage de quelques initiés. Au passage, cet investissement pourrait bien mettre à terre le sacro-saint « service d’enseignement » de 192h… A l’université, le suivi personnalisé des étudiants, traditionnellement un point faible et pas que pour des questions de moyens, a fait un bond. Les enseignants se sont mobilisés pour rester en contact, ce qui a d’ailleurs permis de détecter la détresse sociale et de tenter d’y apporter des solutions.
La crise a aussi permis un retour d’expérience direct en mesurant en temps réel les connexions, les abandons, le nombre et le temps de consultation des vidéos en ligne, etc. Chacun a pu également voir que la réplication des cours magistraux sur zoom avait les mêmes effets : écrans noirs, désertion.
- La troisième leçon, c’est la progression de l’idée que les modes d’apprentissage et d’évaluation doivent favoriser l’engagement actif des étudiants. Les outils sont nombreux (vidéos, Moocs, QCM, devoirs etc.). Or, les étudiants (et pas qu’eux !) ont du mal à se concentrer plus de trois minutes, pianotent sur leur ordinateur, savent peu prendre des notes, et même faire une vraie recherche sur le web. En un mot, ils ont du mal à fixer leur attention. Ce sont les raisons pour lesquelles de véritables scénarisations pédagogiques sont cruciales. Et donc des moyens et des compétences dédiées.
Au-delà des contenus académiques, le numérique est en tout cas l’occasion de valoriser les compétences transversales de plus en plus utiles dans leur vie professionnelle : apprendre à trouver, trier et utiliser une information pléthorique, maîtriser l’expression orale, savoir mettre en forme des idées autour d’un travail en mode projet.
En conclusion, apparent paradoxe, le distanciel a mis sur le devant de la scène la nécessité de revaloriser le présentiel en le recentrant sur l’essentiel, avec une attention renouvelée à l’étudiant. Plus largement, la créativité pédagogique devrait y gagner. Les examens seront un bon baromètre : il faudra bien imaginer de nouvelles modalités d’évaluation sachant que les étudiants peuvent avoir accès à toute l’information en ligne au cours des épreuves.
A l’évidence on ne passe pas d’un enseignement présentiel à un enseignement hybride comme on passe d’une voiture à moteur thermique à une voiture à propulsion hybride. La relation entre enseignant et apprenant est impactée dans sa nature même par le passage du présentiel au distanciel. En matière éducative, il ne suffit pas de tourner un bouton pour brancher le distanciel, ou hybrider le présentiel, pour utiliser les mots en vogue. Les principes de la conduite automobile restent les mêmes et l’automobile n’a pas de réaction propre à la différence bien entendu de l’élève ou de l’étudiant (et heureusement !). Les témoignages cités par J.M. Catin sont vraiment très intéressants. Je ne jette absolument pas la pierre aux universités ni aux écoles (toutes n’étaient pas vraiment prêtes, quoiqu’elles en disent…), terriblement bousculées par la crise sanitaire. Mais celle-ci pourrait effectivement avoir cela de bon de lancer (je n’ose dire re-lancer…) un vrai travail sur une évolution de la façon d’apprendre et donc aussi d’enseigner dans l’enseignement supérieur. Il faut bien reconnaître que mis à part le fait que les étudiants prennent leurs notes sur des PC, ce que j’ai connu comme jeune bachelier entrant à l’université il y a 55ans n’est pas très éloigné de ce que connaissent les étudiants d’aujourd’hui entrant en licence, si j’en crois les images des amphis que je vois. En soi c’est tout de même un vrai problème, non ?.