13 Comments

Face aux chiffres sans précédent de baisse des effectifs dans les universités (-3,4%), peut-on parler d’un tournant pour l’Université française ? Les communautés universitaires et leurs responsables à tous niveaux sont-ils capables de quitter le logiciel “c’est la faute des autres” ? Car les jeunes et les familles, d’une part vont vers des filières réellement ou faussement sélectives, et d’autre part privilégient l’apprentissage comme aide financière à la poursuite d’études et surtout à l’insertion professionnelle. Les universités ne sont-elles pas en train de payer collectivement l’absence de message clair sur l’excellence de leurs formations, face à celles qui affichent une sélection de façade ?

Je n’ai pas souvenir d’une baisse des effectifs dans les universités de cette ampleur. Il y a eu par exemple 1998-99 (- 1,6%), 1999-2000 (- 0,6%) mais la croissance des effectifs en IUT était comptée hors universités… Depuis quelques années, il y avait des alertes avec des effectifs qui progressaient peu, tandis que le privé glanait des “parts de marché”.

Certes il y avait de fortes hausses dans certaines disciplines. Mais il y avait aussi des baisses énormes dans d’autres ! Ce qui a d’ailleurs conduit à des différences marquées dans l’évolution comparée des effectifs étudiants entre universités, souvent au détriment d’universités déjà fragiles, puisque les dotations bougent peu…

Les chiffres qui font mal

La démographie et le nombre de bacheliers n’expliquent pas cette baisse. Ainsi, le SIES-MESR souligne en juin puis en juillet que les néo-bacheliers entrants à l’université sont moins nombreux (- 4,9 % par rapport à 2021-2022), une évolution plus marquée que celle du nombre d’admis au baccalauréat en 2022 (-3,2 % en un an). La chute est brutale en licence (- 4,3 %), et encore plus marquée en L3 (- 7,6 %). Pire, toutes les disciplines sont concernées, à l’exception de la santé, “portée par les LAS (+ 20,5 %)”. Et en master (-2,2 %) et doctorat (-1,2 %) la chute se poursuit. Dans les SHS, les inscriptions de nouveaux entrants baissent fortement (- 9,1 %).

Notons que le nombre d’étudiants baisse aussi, et de nouveau, en CPGE (- 2,6 %), ce qui devrait faire réfléchir les universitaires : les jeunes votent avec leur pied. Quant aux IUT, les nouveaux entrants en bachelor universitaire de technologie (BUT) sont à nouveau moins nombreux (-2,4 %) tandis que les effectifs baissent pour la deuxième année consécutive (- 6,8 % après -4,9 %). Et il faut remarquer que pour les STS, si les parcours ‘scolaires’ diminuent (- 9,6 %), les effectifs progressent dans ceux en apprentissage (+ 14,1 %, après + 43,2 %).

Et bien sûr le privé progresse, moins cette année, mais il continue de progresser…

Un constat et du déni

Il faut se méfier des commentaires “définitifs” sur ce sujet. Cependant, s’il est évidemment possible qu’elle soit inversée l’an prochain, une tendance s’affirme depuis des années : l’université française est de moins en moins un choix dominant. Malgré ses réussites indéniables, elle peine globalement à être attractive pour les familles, à l’exception des disciplines ‘monopolistiques’ (santé et droit).

Curieusement, alors que les responsables à tous niveaux ont tardivement pris conscience de l’ampleur du développement anarchique du privé, on pouvait espérer qu’ils/elles s’émeuvent de cette baisse historique annoncée. Visiblement, ça n’intéresse personne 😒… Il est vrai que cette baisse est vue comme une aubaine par certains, partisans du malthusianisme, défenseurs d’une université “élitiste”, ou attendue par d’autres fatigués de l’inadéquation entre le nombre d’étudiants et les moyens disponibles. Sans évoquer le soulagement à Bercy…

C’est pourtant un pari dangereux : une simple comparaison avec tous les secteurs qui développent une élite (arts, sport par exemple) montre une étroite corrélation entre masse critique et élite. Mieux, cela leur donne du poids dans la société.

Sortir des explications simplistes

Comment en est-on arrivé là ? Ce serait la faute du sous-financement, du fait que ce pays n’aime pas ses universités, des réformes successives et pas forcément cohérentes, des lycées et du bac etc. En réalité, les raisons sont comme toujours multiples.

Les réformes permanentes ? Cela joue et c’est sans doute vrai pour le BUT ou encore les quotas de bacs technos (même si les IUT étaient à la peine avant) ou les INSPE. Pourtant les LAS ‘cartonnent’ malgré une mise en place plus que laborieuse ! Le privé ? D’abord, il y a privé et privé, et enfin, les contenus qui y sont proposés ne sont en général pas en concurrence avec les universités, à l’exception des écoles de commerce vs IAE. La véritable croissance se fait sur un segment plus ‘bas de gamme’, porté par les financements de l’apprentissage.

Doit-on, comme nous y incite une doxa marxiste, ignorer les différents ressorts du choix des jeunes et des familles pour se limiter aux “conditions matérielles” ? Doit-on ignorer leurs aspirations, tant sur la pédagogie que sur l’insertion professionnelle ? Doit-on occulter ce que la plateforme Monmaster va peu à peu mettre à jour, à savoir des formations peu attractives et illisibles sur le marché du travail ?

Tous ces arguments, l’aveuglement des pouvoirs publics successifs à propos des dérives de l’apprentissage ou la lourdeur des processus pour ouvrir des formations nouvelles, ne peuvent occulter d’autres raisons 1On ne peut pas me soupçonner de nier ces réalités, vu le nombre de billets que j’ai produit depuis des années..

Des disciplines sont désertées, d’autres plébiscitées, à tort ou à raison. Les attentes des jeunes et des familles, leurs engouements parfois irréalistes pour certaines formations, sont une réalité. Mais partout, ce qui est plébisicté, y compris et surtout par les familles modestes, c’est tout ce qui ressemble à de la sélection et de l’excellence, une forme de reconnaissance et d’estime de soi !

Car oui, même si de trop nombreux universitaires ‘snobent’ cette aspiration, la masse des étudiants souhaite avoir un travail ! Encore plus dans les milieux modestes.

Peut-on donc raisonnablement soutenir que tout est la faute des autres, des pouvoirs publics et des méchants capitalistes, des médias voire des familles ? Les communautés universitaires ne seraient tout de même pas, même un peu, voire autant, responsables de cette situation ?

Déconnexion avec le réel

Cet aveuglement est résumé par celles et ceux qui occupent les tribunes et les médias pour dénoncer toute réforme, la sélection etc. mais sans jamais interroger leurs pratiques. Une caricature en est fournie par Joël Laillier, maître de conférences en sociologie à l’Université d’Orléans, chercheur au Centre Maurice-Halbwachs, dans un débat avec Anne-Sophie Barthez, Monique Canto-Sperber sur France Culture.

Il mentionne 3 facteurs explicatifs de l’essor du privé (loi Pénicaud de 2018 sur l’apprentissage, Parcoursup et absence de moyens dans le public). Ce constat, que je partage en partie, appelle surtout d’autres questions : pourquoi les universités n’ont-elles pas ‘profité’ de la loi Pénicaud ? Pourquoi sur Parcoursup, des établissements et/ou des filières sont ‘surdemandés’ et d’autres désertés ? Et pourquoi le développement du privé se fait-il sur d’autres thèmes que ceux des filières universitaires ‘engorgés’ (Staps, psycho et droit) ?

Les réponses sont évidemment multiples et je n’ai pas la science infuse. On peut toutefois s’interroger sur une première année qui trop souvent enferme des jeunes qui ne savent pas ce qu’ils vont faire.

Reprenons l’argument développé par cet universitaire, très représentatif de la déconnexion caricaturale et totale par rapport aux jeunes et aux familles, en particulier d’origine populaire. Comment entend-il convaincre les jeunes face à l’offensive du privé ?

La qualité de l’université procèderait “des structures dédiées à la garantie de la qualité de l’enseignement : par exemple le Conseil national des universités qui garantit la formation et la qualité des enseignants.” Et il ajoute que “les enseignants à l’université sont tous des chercheurs, c’est-à-dire des personnes qui participent quotidiennement, par leur travail, à l’amélioration et à l’évolution des connaissances. Ils sont donc les mieux formés pour enseigner” 🤭 🤭… C’est sûr que l’argument du CNU (qui par ailleurs, mais le sait-il, n’a pas la capacité d’évaluer les qualités pédagogiques d’un enseignant) va porter auprès des jeunes😂 ! Sympa aussi pour les PRAG et PRCE.

Une responsabilité partagée

On peut aussi s’interroger autrement. Dans un article, 2 chercheuses, Ophélie Carreras et Catherine Couturier (universités de Toulouse et d’Artois), relèvent que les confinements dus au Covid ont généré “peu de changements” dans les pratiques d’enseignement et de développement professionnel des enseignants du supérieur. La dimension relationnelle avec les étudiants reste “relativement peu investie”.

Je conseille de lire les rapports du HCERES sur les formations : on y comprend plein de choses 😉… Notamment à propos de l’adéquation de l’offre de formation aux attentes et aux besoins des étudiants. Comme le déclaraient à AEF info des VP CEVU à propos des masters, “nous avons sans doute été trop optimistes sur l’attractivité de nos masters. Il y a eu une hausse des candidatures certes, mais nous avons oublié qu’il était simple pour les personnes de candidater sur un nombre important de formations, pour au final en choisir une seule”.  Un autre souligne ce tabou : l’excédent d’offre par rapport à la demande.

Ce qui reste, c’est que les étudiants veulent à la fois de l’accompagnement (pédagogie, insertion) et de la sélection, synonyme d’excellence et de travail à la sortie, à condition qu’elle soit transparente.

Le défi collectif des universités

Bien sûr, les universités multiplient les efforts pour changer leur image. Leurs réussites sont remarquables, peu reconnues car entachées par un discours ambigü et flou sur l’excellence, non assumé. Ainsi, on pouvait s’attendre, alors que les médias commençaient à s’attaquer à la question des officines privées, à un discours fort et collectif sur l’excellence et la démocratisation. Les Universités ont en effet le potentiel de cumuler ces deux atouts, même si une partie de leurs communautés rejette cette convergence.

On peut légitimement s’interroger : les universités ne sont-elles pas en train de payer collectivement cette absence de message clair sur l’excellence de leurs formations (y compris en interne), face à des formations qui affichent une sélection de façade ? Cela suppose une remise en cause profonde des modes de pensée des communautés jusqu’aux CA des établissements, à partir des étudiants réels et non fantasmés.

Je fais l’hypothèse iconoclaste que ce qui dessert les universités chez les jeunes et les familles, c’est parfois, mais pas toujours, l’accompagnement pédagogique mais surtout l’absence de message clair sur l’excellence et la sélection.

Les différentes communautés universitaires  sont-elles capables de répondre collectivement à ce défi et d’assumer l’excellence comme drapeau de ralliement ?

Références

Références
1 On ne peut pas me soupçonner de nier ces réalités, vu le nombre de billets que j’ai produit depuis des années.

13 Responses to “Pendant que les effectifs baissent, les universitaires regardent ailleurs…”

  1. Remarque iconoclaste: tu parles de quelle université, celle avec des composantes de GE ou du périmètre des anciennes universités?
    Sinon oui il faut réfléchir à l’ES ds son ensemble pr répondre aux besoins et aux aspirations des jeunes (et moins jeunes!).
    Par exemple n’y a-t-il pas d’autres voies d’ES que l’université adaptées aux compétences des bacs pro? Réussir en université c’est quoi : avoir une L ou un M, un D? Les L doivent-elles ouvrir sur un M? On continue avec Lpro/BUT/Bachelor à gogo? Refondons l’ES en le rendant plus cohérent !
    Oui à une orientation “sélective” mais pas que pour former une élite! Donnons des voies adaptées aux compétences de chacun. On peut réussir sa vie sans passer par l’université ou sans faire l’X!!! Et on peut se former durant tt la vie, se reconvertir…

  2. Je vous invite à lire attentivement la note du SIES:
    “Les taux d’évolution sont calculés sur le périmètre des universités au sens strict.”
    Autrement dit, les établissements expérimentaux (essentiellement d’anciennes universités) sont sorties du périmètre. Les effectifs sont très stables et non pas en baisse comment vous l’annoncez (1 660 milliers en 2022-23 contre 1 657 en 2021-2022).

    • Oui c’est justement parce que je l’ai lue, que je maintiens mon analyse : en quoi l’ajout à une université d’un établissement composante, école d’ingénieur, d’archi ou école de commerce, voire un jour un Insa (je rêve) change-t-il le fait que le nombre d’inscrits dans le cœur du réacteur, Licence, Master et Doctorat,et IUT baisse ? L’enjeu est la baisse réelle des inscrits, par l’ajout artificiel d’effectifs !

          • Comme je l’indiquais, dans la note de juillet, il n’y a pas de baisse si vous intégrez les EPE (oui, les composantes ne sont pas que des universités comme les 25 k étudiants ingénieurs hors universités, mais cela reste le gros des effectifs). Il y a certes des baisses, comme pour les DUT/BUT, mais d’autres filières semblent maintenir les effectifs. La plus forte baisse concerne les STS et assimilés en scolaire.
            Peut-on être certain que les chiffres de la note de juin ne suivent pas la même logique de calculer les écarts en excluant les EPE et en accentuant donc la baisse ? (“Les taux d’évolution sont calculés sur le périmètre des universités au sens strict.”)

  3. Tu as raison de pointer ces chiffres.

    “les universités multiplient les efforts pour changer leur image.” Ce n’est pas encore foufou. Oui depuis 15 ans, il y a une amélioration d’engagée sur ce point mais il faut un choc de culture et d’investissement sur la communication et on l’attend toujours.

    Quand à leurs réussites, elles sont souvent peu audibles car elles ne sont pas portées par un récit global. Le fractionnement disciplinaire y joue un rôle mais l’obstacle est aussi politique : pour bâtir un récit il faut une vision.

    • Tu le sais Manuel : le fond c’est que les universitaires pratiquent tous les jours une sélection pernicieuse mais refusent de l’assumer. Si les établissements l’assumaient non comme un tri mais comme une marque d’excellence, leur communication serait claire.

  4. A lire les dépêches sur le congrès de France Universités ce sujet de la baisse des effectifs n’a pas l’air d’avoir été abordé?
    Sylvie dit qd même: “un meilleur pilotage de l’offre de formation par les établissements conduisant à une modulation des capacités d’accueil à la hausse [mais aussi] à la baisse, afin d’assurer la réussite des étudiants et la réponse aux besoins de la nation”
    voir https://www.aefinfo.fr/depeche/698409:
    Sylvie Retailleau : “Nous n’avons pas encore gagné la bataille d’une orientation réussie” (congrès de France Universités)
    Il faut “un meilleur pilotage de l’offre de formation par les établissements conduisant à une modulation des capacités d’accueil à la hausse [mais aussi] à la baisse, afin d’assurer la réussite des étudiants et la réponse aux besoins de la nation”, déclare Sylvie Retailleau, ministre de l’ESR, lors du congrès de France Universités, mercredi 30 août 2023. “Nous n’avons pas encore gagné la bataille d’une orientation réussie”, estime-t-elle en ce sens. Les premiers COMP, dont la formation aux métiers d’avenir est l’un des objectifs, seront bientôt signés.

  5. Merci pour cette analyse, et les alertes pertinentes qu’elle soulève.
    Cependant, par prudence, il vaut peut-être mieux attendre 2 ans que les effectifs bacheliers réaugmente pour vérifier si c’est une tendance particulière, ou juste générale en raison de la démographie : les effectifs de bacheliers ont décru d’environ 5% entre 2020 et 2021, puis d’environ 4% entre 2021 et 2022, avant de repartir à la hausse en 2023 (+1%).

    Ici la courbe des naissances qui montre ce minimum local :
    https://twitter.com/JulienGossa/status/1612831952544964608

    • Merci Julien, pour une fois que je suis plus pessimiste que vous… Quelles que soient les évolutions démographiques, la note du SIES précise bien que ce sont les inscriptions en université qui sont le plus en baisse, avec les CPGE.

  6. Merci Jean Michel pour cette chronique qui, une fois de plus, met le doigt là où cela fait mal.
    Peu importe les querelles de chiffres et de périmètres d’établissements. La tendance d’une forte baisse de l’attractivité de l’ES public, à tous les niveaux, se poursuit et même s’amplifie, y compris dans des filières du secteur public dont les capacités d’accueil sont réputées insuffisantes. Jean Michel esquisse deux réponses dans sa conclusion. Je suis d’accord avec lui. J’ose à peine penser à une troisième: des effectifs en baisse et des moyens en augmentation (quoiqu’on en dise…), cela fait des moyens par étudiant en croissance, en tout cas globalement. Cela expliquerait-il aussi que “les universitaires regardent ailleurs” ?
    L’ES public paye cher des décennies d’absence d’une réelle stratégie collective. On s’est longtemps contenté d’une stratégie purement quantitative qui se bornait à dire qu’il fallait accueillir tous les bacheliers de façon indifférenciée dans des établissements eux-même réputés indifférenciés, en colmatant comme on le pouvait les distorsions ainsi ouvertes en ce qui concerne l’allocation des ressources.
    Ce qui me frappe également dans ces évolutions c’est que les universitaires et l’État ne semblent pas faire de ces évolutions un sujet d’interrogation collective majeur sur les objectifs et l’organisation à moyen et long terme du service public d’ES, et sur la place que des institutions privées, mais reconnues d’une manière ou d’une autre par l’État pourraient tenir aux côtés du secteur public.
    Le blocage me semble complet , et incompréhensible.

Laisser un commentaire