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C’est fou comment notre pays aime le théâtre de la rentrée scolaire. Sont donc mis en scène les mêmes rôles, reproduits les mêmes postures, les mêmes monologues, les mêmes promesses, les mêmes indignations. Avec une impasse systématique : ce que nous disent vraiment les comparaisons internationales. Des résultats médiocres, liés à une faible autonomie des établissements, à l’absence de confiance et une pédagogie qui met l’accent sur l’erreur. Ce qui vaut pour l’éducation nationale ne vaut-il pas un peu pour l’enseignement supérieur ?

Ayant connu (et suivi) 11 ministres de l’éducation nationale en 20 ans (d’accord, je n’aurais peut-être pas dû compter B. Hamon 😀), je suis  frappé par la permanence des débats et postures.C’est une pièce de théâtre en 4 actes, qui fait parfois plutôt penser à un vaudeville.

Acte 1. Le ministre, quel qu’il soit, fait des annonces (obligatoires), avec cette année l’entrée en scène solennelle du Commandeur, souvent aussi avec le/les Fou (s) du Roi qui vont porter la bonne parole 1Il est symptomatique, quelles que soient ses qualités, de voir un Philippe Meirieu, Fou du Roi de Claude Allègre, pour lequel il présida avec le succès que l’on sait, le Comité d’organisation de la consultation et du colloque « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », en 1997-1998, omniprésent dans tous les médias. et qui selon les alternances, anciens combattants lestés de toutes leurs décorations, deviennent ensuite les contradicteurs du nouveau ministre.

Acte 2. Le ministre jure donc qu’il faut réduire les inégalités sociales, que les enseignants sont, avec les élèves, le cœur de ses préoccupations. Éventuellement, il ajoute une pincée de sel, la réforme du bac (JM Blanquer), la semaine de 4 jours (V. Peillon) avec évidemment toujours une pensée pour la filière professionnelle…

Acte 3. Symétriquement, les syndicats, soit contestent les annonces soit s’en félicitent, mais demandent de toutes façons des moyens nouveaux. Pendant ce temps, bien sûr, ils appellent à la grève. Et ajoutent le chiffon rouge du service public menacé, voire déjà détruit.

Acte 4. J’oubliais le plus important : dans ce théâtre d’ombres, le ministre demande à ses machinistes, les recteurs et inspecteurs divers, d’organiser la tournée de la pièce. Et surtout, si lui-même l’a oublié, ses services pondront LA circulaire d’application, avec tous les détails. Un recteur regrettait en off, un peu désabusé, après le discours d’E. Macron sur la responsabilisation et l’autonomie des acteurs que la circulaire du ministère était déjà prête… Circulaire il n’y a rien à voir 🤨.

Un théâtre d’ombres

Bref, dans ce grand théâtre, nous sommes ainsi toutes et tous assaillis, comme à chaque rentrée scolaire, des comptes-rendus et critiques de la représentation, avec articles, dossiers, enquêtes, reportages, sans compter les innombrables livres. A l’inverse de l’enseignement supérieur, le vent de l’attention médiatique sur ce sujet est permanent avec des pointes à 200km/h lors de la rentrée !

Le problème, est que les acteurs et actrices principaux, les enseignants et les élèves, ont du mal à suivre le scénario et à interpréter les dialogues. Car ils changent tellement souvent. Tout a pourtant été écrit, disséqué dans des rapports d’inspection, de la Cour des comptes ou à l’occasion des multiples rapports issus des concertations : F.Gros/P. Bourdieu, C. Thélot entre autres. Alain Boissinot en a fait une recension éclairante récemment dans AEF (abonnés).

Les contractuels ? A-t-on oublié les affres de maîtres-auxiliaires des années 70/80 ? Le déficit de candidats ? Dès 2012, la DGRH du ministère pointait les difficultés de la masterisation… Les moyens ? Un sujet permanent, à la française. L’autonomie vs la « destruction du service public » ? Une « opportunité » ou une « menace » depuis tellement de temps…

Si la question des contractuels ou la rémunération et la formation des enseignants sont importantes, vous avez remarqué que l’écume médiatique s’est rapidement dissipée. Comme les années passées celle, par exemple, des fermetures de classes en milieu rural 2Au passage, les chiffres montrent que les véritables problèmes ne sont pas dans les écoles rurales mais plutôt en Seine Saint-Denis par exemple..

Totem … et tabou

Chaque année a son ‘totem’, évidemment articulé autour des ‘moyens’. Pourtant, même sur cette question, tout le monde évite de relever qu’en France la dépense par élève à l’école élémentaire est inférieure de 8 % à la moyenne des pays de l’OCDE mais supérieure de 35% au lycée 3Je n’évoque pas la dépense par étudiant à l’université, maintes fois traitée sur ce blog..

En réalité, si la rémunération des enseignants (LE sujet de cette rentrée avec les contractuels) est documentée depuis longtemps, ce qui est moins retenu, ce sont les conditions d’exercice de la profession ailleurs : présence dans l’établissement, organisation de la semaine et de l’année scolaire, travail en équipe, type de pédagogie etc. Ce qui fut l’échec de Lionel Jospin en 1989

Comme dans le théâtre d’ombres, la réussite dépend de l’éclairage. Et il y a des tabous : évoque-t-on les sujets qui font de la France une île dans le système éducatif mondial ? Un peu, mais si peu. Il serait évidemment faux de dire que l’on ne parle pas des comparaisons internationales, surtout après les évaluations PISA et TIMMS 4Notons que la franchouillardie ambiante a malheureusement bien déteint chez beaucoup d’enseignants : tout ce qui vient de l’étranger est soupçonné, y compris des études reconnues partout ailleurs…. Mais c’est fou comme l’on retient ce qui nous arrange !

La place des maths ou de telle autre matière dans les programmes : à laquelle faut-il enlever ou ajouter des heures ? Cette polémique sans fin esquive évidemment cette exception française : une année scolaire invraisemblable avec un nombre d’heures de cours symbolisant la stratégie pédagogique de l’entonnoir.

Pourtant, les études PISA ont mis en lumière les défauts spécifiques du système français. L’origine sociale y compte le plus dans la performance des élèves. Mais pourquoi ?  Parce que la France est l’un des pays où les élèves “ressentent le moins de soutien de la part de leurs enseignants pour progresser dans les apprentissages. Ainsi, moins d’un élève sur quatre en France (un sur trois, en moyenne dans les pays de l’OCDE) déclare que son professeur lui indique ses points forts.” Et la bienveillance n’est visiblement pas au programme : moins de 2 élèves sur 5 en France, contre 1 sur 2 en moyenne dans les pays de l’OCDE, “déclarent que leur professeur leur indique souvent ou toujours comment améliorer leurs résultats.”

Le problème français : la confiance

Nous avons un système qui “produit” des élèves en manque de confiance. On y souligne les points faibles plus qu’on ne valorise les points forts : c’est le mal de la pédagogie à la française. Une enquête de la Depp conforte cette analyse. Elle s’est penchée sur les pratiques pédagogiques des enseignants français, et là, surprise ! Loin des polémiques enflammées sur la supposée dictature du ‘pédagogisme’, on est face à des enseignants français très traditionnels. En effet, la pratique dominante reste l’enseignement façon cours magistral, l’enseignant expliquant les objectifs de son cours et vérifiant la compréhension des élèves. Ils sont par ailleurs “peu formés à l’enseignement des compétences transversales”, moins d’un quart exprimant “une grande capacité à aider les élèves à développer leur esprit critique”.

C’est un résumé du système : l’administration se méfie des enseignants, les enseignants se méfient de l’administration 5Je signale cette note du Cevipof-Sciences Po à propos du vote des enseignants du public. Il « s’avère toujours plus à gauche que celui des autres agents de la FPE, notamment par leur choix plus fréquent de JeanLuc Mélenchon et de Yannick Jadot. Mais ce positionnement de gauche est désormais de 50% environ si l’on intègre le vote pour les candidats d’extrêmegauche. La majorité des enseignants du public (52%) ont voté pour le centredroit ou la droite en y incluant les 20% d’entre eux qui ont voté pour les candidats de la droite radicale, ce qui paraît peu par rapport aux 47% que cette droite réunit chez les policiers et militaires mais ce qui témoigne d’une évolution profonde du milieu enseignant qui, jusquelà, était resté un bastion de lutte contre l’extrêmedroite. » mais aussi des contractuels, les enseignants se méfient des élèves etc. Un cercle infernal.

Un ministère d’un autre siècle

Que dire d’un pays qui, en 2022, a des milliers d’inspecteurs … pour ses enseignants ? Même la police a abandonné ce terme ! N’est-il pas symptomatique que le monde enseignant et ses représentants soient vent debout contre cette autonomie des établissements ? Il existe une forme de Yalta du verticalisme et du centralisme acté par les ministres et leur administration et les partenaires sociaux, mais aussi par les parents d’élèves et les médias.

Que dirait-on si un ministre se contentait de se concentrer sur quelques priorités ? Non il doit réagir au moindre fait divers, à la moindre polémique. Il pourrait avec profit, par exemple, mettre de l’ordre dans son ministère, se concentrer par exemple sur les système d’information chroniquement défectueux ou encore sur la temporalité des affectations. Mais non.

Que dire d’un milieu organisé dans des silos disciplinaires qui rigidifient le système, notamment pour les remplacements, mais surtout dans l’approche pédagogique, à l’exemple des sciences découpées en tranches fines…

Il n’y a évidemment pas de modèle unique d’organisation de l’éducation dans les pays comparables. Mais si le service public peut y être régional ou national, les établissements sont beaucoup plus autonomes qu’en France et le ou la ministre n’y joue pas ce rôle écrasant que nous connaissons. Cette autonomie se conjugue sans difficultés avec le service public et bien souvent obtient selon PISA des résultats meilleurs… Allez expliquer à un Scandinave que l’autonomie des établissement est une menace pour le service public 😊 !

Or l’autonomie suppose de la liberté et de la confiance, confiance qui n’existe pas de façon dominante dans les relations avec les élèves. Alors… Marc Bloch a écrit il y a  bien longtemps de belles pages sur cette question de l’enseignement et décrit des maux dont les racines sont profondes dans notre pays. En résumé, outre des enseignants mal formés, on a toujours un type d’enseignement et une culture pédagogique verticales, encore plus en décalage avec les jeunes d’aujourd’hui.

Références

Références
1 Il est symptomatique, quelles que soient ses qualités, de voir un Philippe Meirieu, Fou du Roi de Claude Allègre, pour lequel il présida avec le succès que l’on sait, le Comité d’organisation de la consultation et du colloque « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », en 1997-1998, omniprésent dans tous les médias.
2 Au passage, les chiffres montrent que les véritables problèmes ne sont pas dans les écoles rurales mais plutôt en Seine Saint-Denis par exemple.
3 Je n’évoque pas la dépense par étudiant à l’université, maintes fois traitée sur ce blog.
4 Notons que la franchouillardie ambiante a malheureusement bien déteint chez beaucoup d’enseignants : tout ce qui vient de l’étranger est soupçonné, y compris des études reconnues partout ailleurs…
5 Je signale cette note du Cevipof-Sciences Po à propos du vote des enseignants du public. Il « s’avère toujours plus à gauche que celui des autres agents de la FPE, notamment par leur choix plus fréquent de JeanLuc Mélenchon et de Yannick Jadot. Mais ce positionnement de gauche est désormais de 50% environ si l’on intègre le vote pour les candidats d’extrêmegauche. La majorité des enseignants du public (52%) ont voté pour le centredroit ou la droite en y incluant les 20% d’entre eux qui ont voté pour les candidats de la droite radicale, ce qui paraît peu par rapport aux 47% que cette droite réunit chez les policiers et militaires mais ce qui témoigne d’une évolution profonde du milieu enseignant qui, jusquelà, était resté un bastion de lutte contre l’extrêmedroite. »

One Response to “Éducation nationale : défiance à tous les étages …”

  1. Comme d’hab, Jean-Michel fait un constat accablant,mais combien juste d’un système qui conserve sa marque de fabrique (napoléonienne). Rien ne change, les couches sociales favorisées savent comment s’en débrouiller (en jouant du public et du privé) et les milieux populaires paient plein pot. La seule éclaircie date du début des années 1980: la décentralisation (les collectivités font plus et mieux), mais elle s’est arrêtée aux aspects matériels. La pédagogie et la GRH (si l’ont peut dire!) sont restées en panne. Attristant!

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