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Que retenir de ces quelques semaines de 2024 dans l’ESR ? La décision du Conseil constitutionnel sur la caution étudiante n’épuise pas la réflexion au-delà des postures, tandis que la démission du recteur de Paris désavoué par la ministre, est saluée par les syndicats, symbole du ‘bal des hypocrites’ que j’évoquais. Postures aussi, lorsque loin de la catastrophe prédite par les Cassandre, l’analyse des chiffres 2023 des admissions en master confirme que l’on est loin, très loin du malthusianisme. Mais avec de vraies questions ! Enfin, les premiers résultats des élections universitaires nous montrent que la gouvernance des universités Idex est sur un fil, un signal inquiétant.

Soulignons d’abord dans l’actualité de ce début d’année une chose peu commentée : S. Retailleau, et avec elle un ministère de plein exercice pour l’enseignement supérieur et la recherche, reconduite dans la version ‘concentrée’ du nouveau gouvernement, sort confortée de son opposition à la caution étudiante et aux mesures de stigmatisation des étudiants étrangers 1Notons que sur un plan juridique si le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi ‘immigration’, il ne s’est pas prononcé sur le fond : il a simplement jugé que la création de la ‘caution retour’, la justification annuelle du « caractère sérieux des études » pour le titre de séjour pluriannuel et la majoration des droits d’inscription, étaient non conformes à la Constitution car sans lien, « même indirect » avec « aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi » initial. La fixation par le Parlement de « quotas » d’étrangers qui pouvait aussi concerner les étudiants a elle aussi été censurée.. Mais saura-t-elle faire fructifier cet ‘avantage’ pour peser davantage sur d’autres sujets ? Pas facile avec le renouvellement des CA d’universités, une période peu propice au courage politique.

Gouvernance et élections universitaires

Car il y a plein de sujets chauds que les élections universitaires ne risquent pas d’aborder réellement (master et temps de travail des Biatss, voir infra), vu ce système électoral qui favorise les clientèles de tous bords. De plus, l’avenir des président(e)s en fin de mandat pèse logiquement sur leurs comportements et positions : soit ne pas déplaire au MESR (on ne sait jamais 🤭), soit ne pas déplaire en interne pour ne pas gêner son/sa successeur.

Le marathon électoral 2Mes sources sont les dépêches AEF dans les universités a commencé avec de ‘gros poissons’ (AMU, UGA, Nice Côte d’Azur, Toulouse-III) et des plus petits (Bourgogne, Avignon).  S’il y a une (ré)élection de maréchal (Eric Berton à AMU), d’autres ont été plus difficiles et constituent une alerte (J. Brisswalter à Nice Côte d’Azur, Yassine Lakhnech à UGA, le TA y annulant les élections…). La gouvernance des universités « idex » est sur un fil, surtout si l’on ajoute Sorbonne-Université et Paris-Cité dont on connaît les problèmes à ce sujet. Ce qui n’est pas rassurant mais est symptomatique des problèmes structurels de l’ESR français.

Dans la plus emblématique, à Paris Saclay, la liste d’Estelle Iacona, présidente sortante, ne remporte que 4 sièges au CA et se voit devancée de 2 sièges par la liste concurrente, « un désaveu à la politique de la présidente sortante », selon les listes FSU-CGT, Sgen-CFDT et SNPTES-Unsa.  Le plus révélateur est la difficulté d’identification à cet « établissement expérimental », surtout comparé aux autres universités : la participation est très faible (je ne parle même pas des étudiants) : collège A 55,84 %, collège B 37,60 % et, pire, Biatss 27,66 % !

Peut-on nier qu’il y a un problème quelque part et que la machine est grippée ? Peut-on cependant en tirer une règle sur la taille ou le statut des établissements ? Pas sûr car à Nice, UGA, Bourgogne, la participation a été très forte en collège A. Partout, elle est plus faible en collège B. Si elle a été faible globalement à AMU, n’est-ce pas faute d’enjeu ? Pour Toulouse -III, c’est une « revanche » pour la nouvelle présidente, majoritaire lors de l’élection précédente, mais battue à l’époque par une coalition ‘improbable’ dont l’université française a le secret. Quant à Avignon, la participation fait sauter l’audimat (collège A 75 %, collège B 63,83 % et Biatss 75,30 % ! Comme quoi c’est possible, même avec une seule liste en collège A et B.

Bref, on assiste à cette différenciation que tout le monde appelle de ces vœux 😉 : des universités stables, instables etc. En tous cas, tout le monde se prépare : à l’université de Limoges, plusieurs vice-présidents, VP CA en tête, se désolidarisent de la présidente qui indique qu’elle ne compte pas se représenter.

Et puis, n’oublions pas les élections du CNU : si la participation progresse à 52,9 %, +7 points par rapport à 2019, elle reste inférieure à celle des élections aux CA des universités. Le bilan c’est surtout la progression continuelle des listes indépendantes au détriment du nombre d’élus Snesup-FSU, Sup’Recherche-Unsa, FO et QSF.

Admissions en master : 1,2 candidats pour une place

Comme prévu, et contrairement aux Cassandre, la procédure d’admission en master n’a débouché sur aucune catastrophe : le nombre de candidats est de 1,2 pour une place. Les chiffres sont têtus et mettent à mal les arguments des partisans des faits alternatifs. Selon la note Flash du SIES-MESR, ils ont en moyenne reçu 2,7 propositions d’admission. Si 28 % n’en ont reçu aucune, ce sont surtout celles et ceux inscrits en licence professionnelle (43,3 %) et en master (39 %).

Le SIES ajoute que « In fine, près de 2 candidats sur 3 devraient avoir une place en master à la rentrée 2023 », en comptant les alternants en quête de réponse de leur entreprise, sur les 209 000 personnes passées par la plateforme (dont les démissionnaires et non-éligibles). La procédure est-elle perfectible ? Oui mais surtout parce qu’elle soulève la question des différences entre disciplines et des déséquilibres entre universités, les parisiennes faisant la course en tête en termes d’attractivité. Avec probablement une offre de master (il faut lire les synthèses formation du HCERES !) largement surdimensionnée dans certains secteurs…D’ailleurs, comment cela se passe-t-il dans le monde normal, c’est à dire ailleurs qu’en France 🤭 ? Ah oui, les universités sont autonomes, sans que le service public soit menacé.

Revoilà le temps de travail des Biatss

Le sujet du temps de travail des Biatss ne risque pas en tout cas de venir en Une des programmes des candidats aux présidences d’université ! Pourtant, dans un nouveau référé la Cour des comptes ne lâche pas le morceau et en remet une couche : en 2022, le « préjudice financier » lié au non-respect du temps de travail s’élève à 313 M€. Et dans un rapport sur « Le temps de travail des personnels non enseignants des universités », publié en même temps, elle enjoint au MESR de publier un nouvel arrêté et une nouvelle circulaire, avant la fin 2024. Elle propose également « de soutenir dans le cadre des COMP, des démarches locales d’augmentation du temps de travail » et d’engager des mesures indemnitaires dans un chantier plus global d’attractivité. Cause toujours !

Étudiants étrangers : y réfléchir encore

J’ai souligné en quoi la caution étudiante et/ou des frais d’inscription, sur la base des comparaisons internationales, ont peu à voir avec l’attractivité mais d’abord avec le modèle économique des établissements. On peut évidemment en discuter les avantages et inconvénients, voire les risques (l’État ne sera-t-il pas tenté de reprendre sur sa subvention les frais d’inscription des établissements ?) mais ce n’est sûrement pas l’attractivité qui est menacée. Passons en revue quelques informations pour alimenter le débat, car tout ceci mérite plus que de l’indignation ou de l’ignorance. Réfléchissons !

Droits différenciés 2022 : 8 000 étudiants ont payé le tarif plein. C’est certes en augmentation (+ 36% soit 2 100 étudiants) par rapport à 2021, mais cela ne représente que 6 % qui s’acquittent du tarif plein. 4 ans après la mise en œuvre du plan « Bienvenue en France », 70 % des étudiants étrangers hors UE continuent d’être exonérés de droits d’inscription majorés 32 770 € pour une licence et 3 770 € pour un master et le quart restant n’entre pas encore dans le champ d’application de la mesure selon une note flash du SIES-MESR. 103 200 étudiants sont dans le périmètre d’application de cette mesure en 2022-2023 (+ 7 % en un an).

En parallèle, les exonérations totales diminuent de 14 %, « notamment en raison de la baisse des exonérations d’établissement au profit des exonérations partielles ». Il faut donc raison garder et observer ce qu’il se passe à l’étranger. Je signalais dans mon billet Étudiants étrangers : il n’est pas interdit de réfléchir à propos de l’Allemagne. Et ailleurs ?

Au Canada. Pour réduire le nombre total d’étudiants qui arrivent au Canada afin d’ »alléger les pressions exercées sur le logement, les soins de santé et d’autres services au Canada », Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté canadien indique que seuls 360 000 permis d’études devraient ainsi être approuvés en 2024, une baisse de 35 % par rapport à l’année 2023.  Et Les étudiants devront présenter sur leur compte en banque le double du montant précédemment exigé : 20 635 dollars canadiens, au lieu de 10 000, soit environ 15 000 €. Cette somme vient évidemment s’ajouter aux droits de scolarité pour la première année et aux frais de voyage : sera-t-elle un frein supplémentaire pour les étudiants ? En tout cas, les étudiants français s’y bousculent…

Irlande. Le gouvernement a présenté sa stratégie pour augmenter de 10 % le nombre d’étudiants étrangers et attirer des centaines de doctorants de « haut niveau » d’ici 2030. La stratégie « Global citizens 2023 » vise, selon le ministre irlandais de l’ESR, à démontrer « l’engagement de l’Irlande à rester une société ouverte et diversifiée », alors que de nombreux pays « commencent à se replier sur eux-mêmes ». Autre raison ? Les frais d’inscription des étudiants hors Union européenne sont une « précieuse source de financement supplémentaire » de 582 M€ en 2022 pour les établissements irlandais et le secteur des mobilités d’étude représenterait un apport de 2Mds€ pour l’économie du pays.

En Suisse. L’EPFL annonce que son « excellence académique » ayant augmenté « considérablement son attractivité, en particulier auprès des étudiantes et étudiants ayant obtenu leur diplôme d’études secondaires supérieures dans un autre pays », la situation est « devenue problématique pour assurer la qualité des études. » Conséquence ? « L’institution lance aujourd’hui une consultation pour réviser le processus d’admission : le nombre d’étudiantes et étudiants en première année de bachelor serait limité à 3000, durant une période de 4 ans, renouvelable si nécessaire. » Une université autonome d’un service public…

Impostures…

Je ne croyais pas si bien dire en évoquant le bal des hypocrites à propos de l’éducation nationale. Lorsqu’Amélie Oudéa Castéra annule un projet de fermeture de 3 classes préparatoires à Paris initiée par Christophe Kerrero, recteur de Paris, provoquant sa démission 4Dans une lettre adressée aux personnels du rectorat, Ch. Kerrero mentionne sa volonté de transformer à la rentrée 2024 ces 3 CPGE en les redéployant : « Ouvrir ces formations aux bacheliers professionnels afin qu’ils accèdent, en trois ans, aux plus grandes écoles d’ingénieurs et de management. Créer de nouvelles classes préparatoires au professorat des écoles, pour aller chercher des bacheliers pour qui l’enseignement constitue une voie de promotion sociale et pour former des professeurs dont nous manquons cruellement. Et pour cela, fermer en effet, quelques classes au sein d’une carte parisienne dont l’offre dépasse largement les besoins »., l’ensemble des syndicats et des associations des professeurs de CPGE saluent une « victoire ». Cependant, la démission de ce recteur catalogué « très à droite » a montré comment sur ce sujet les clivages étaient sens dessus dessous. Le député socialiste B. Vallaud a ainsi commenté sur X : « Démission d’une grande dignité du Recteur de Paris… dont la ministre enterre la réforme pour plus de mixité sociale en classes prepa. C’est pourtant la seule façon de faire une nation d’égaux, de ramener à la République par la République. Grandir ensemble pour vivre ensemble ». Bon courage à gauche… lorsque l’on sait que le SNES s’était opposé au recteur qui voulait faire rentrer Henri IV dans le droit commun. Et pendant ce temps, nombre de recteurs/rectrices avalent les couleuvres sans sourciller.

… et inégalités

On les renverra à la thèse de doctorat de Stéphane Benveniste, Ined et AMU, Les grandes écoles au 20e siècle, le champ des élites françaises : reproduction sociale, dynasties, réseaux . A partir d’un « ensemble de données originales sur 374 719 diplômés inscrits entre 1886 et 2015 dans 12 écoles », il souligne que pour les cohortes nées entre 1891 et 1995, « les familles issues de l’ancienne aristocratie ont toujours plus de chances d’être admises, et les natifs de Paris sont de plus en plus surreprésentés dans les écoles. » En résumé « le processus d’admission des écoles est caractérisé par une reproduction intergénérationnelle substantielle, qui se perpétue au fil des générations. Ensuite, même parmi leurs diplômés, les carrières restent déterminées par les origines sociales. Enfin, les réseaux d’anciens élèves qui s’enracinent tôt dans le parcours de vie ont une influence durable sur les résultats sociaux. » Heureusement qu’une partie de la gauche défend bec et ongles le statu quo

Réseaux sociaux : les universités face à leurs contradictions

Alors que des universités annoncent quitter X (ex twitter), France Universités lance une campagne de communication … sur les réseaux sociaux dont X avec une série de vidéos sur les réseaux sociaux pour combattre les préjugés sur l’université et démontrer la qualité des formations et de la recherche universitaire. Je conseille l’analyse éclairante de Patrice Razet pour Canevet & associés. Les postures peuvent-elles remplacer la réflexion ?

Références

Références
1 Notons que sur un plan juridique si le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi ‘immigration’, il ne s’est pas prononcé sur le fond : il a simplement jugé que la création de la ‘caution retour’, la justification annuelle du « caractère sérieux des études » pour le titre de séjour pluriannuel et la majoration des droits d’inscription, étaient non conformes à la Constitution car sans lien, « même indirect » avec « aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi » initial. La fixation par le Parlement de « quotas » d’étrangers qui pouvait aussi concerner les étudiants a elle aussi été censurée.
2 Mes sources sont les dépêches AEF
3 2 770 € pour une licence et 3 770 € pour un master
4 Dans une lettre adressée aux personnels du rectorat, Ch. Kerrero mentionne sa volonté de transformer à la rentrée 2024 ces 3 CPGE en les redéployant : « Ouvrir ces formations aux bacheliers professionnels afin qu’ils accèdent, en trois ans, aux plus grandes écoles d’ingénieurs et de management. Créer de nouvelles classes préparatoires au professorat des écoles, pour aller chercher des bacheliers pour qui l’enseignement constitue une voie de promotion sociale et pour former des professeurs dont nous manquons cruellement. Et pour cela, fermer en effet, quelques classes au sein d’une carte parisienne dont l’offre dépasse largement les besoins ».

One Response to “Humeurs d’hiver sur l’enseignement supérieur et la recherche”

  1. Sur les étudiants étrangers, la question n’est pas le montant des droits mais le debat qu’il y a eu sur le sujet et qui propage une représentation négative des étudiants étrangers et de leurs motivations pour venir étudier en France. On a tout entendu y compris qu’ils venaient étudier en France pour les allocs. Et ça a débordé à l’étranger.
    Dans les faits, moins les pays sont developpes, plus les gens qui poussent jusqu’aux études supérieures font partie des couches favorisées de la société et à fortiori pour ceux qui se lancent dans des études à l’étranger. J’ai des collègues au Brésil et au Cameroun, des deux côtés il en avaient entendu parler et des deux cotes ils etaient absolument scandalisés par la représentation que des parlementaires français peuvent se faire de leurs jeunes.
    Ce débat a dégradé l’image de la France. On va devoir travailler pour rattraper ça.
    Il aurait été tellement plus simple de donner aux Universités la liberté de faire leur politique internationale…
    Et puis il ne faut pas oublier qu’on exempte aussi dans le cadre d’accords d’exemption réciproques qui nous permettent d’envoyer nos étudiants à l’étranger.

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