Qui pourrait être contre venir en aide à un public éloigné de l’enseignement supérieur pour de multiples raisons, géographiques, culturelles, scolaires et/ou sociales ? Les campus connectés sont nés en 2019 pour répondre à ce défi. La lecture attentive d’un rapport de la Banque des territoires (CDC) est édifiante, tandis qu’un communiqué du MESR refile la ‘patate chaude’ aux collectivités. En résumé, une politique publique ‘top down’ en échec avec des coûts exorbitants, comparée à la gestion par les universités de leurs antennes délocalisées.
Campus connectés : faut-il dépenser près de 23M€ pour 1550 étudiants et 79 « campus connectés » ? C’est un peu mon devoir de printemps sur la politique publique de l’ESR, lorsque l’on sait qu’il y a près de 3 millions d’étudiants, dont 1,7 millions à l’université. Ne symbolisent-ils pas les fausses bonnes idées, les effets d’annonce et les bons sentiments qui minent, dans ce domaine comme dans d’autres, toute politique cohérente ?
Mon attention a en effet été attiré par un rapport réalisé par le cabinet Bartle pour la Banque des territoires (Groupe CDC) clamant un peu trop fort la réussite de ces campus. Franchement, j’aurais pu le faire, mais en mieux et moins cher ! Car 2 précédents rapports, sérieux eux, l’un au vitriol de la Cour des comptes en janvier 2023, l’autre de l’Igesr en novembre 2023 censé calmer le jeu, sans remettre directement en cause le principe de ces campus, alertaient déjà…sur les chiffres. Car dans la vieille bonne tradition française, les données objectives ont peu de poids face aux effets d’annonce : il faut fouiller attentivement le rapport de Bartle et de la Banque des territoires pour trouver le nombre d’inscrits. Un signe qui ne trompe pas…
La réussite n’a pas de prix mais un coût !
Le rapport de la Banque des territoires estime que « les campus connectés ont progressivement réussi à s’implanter et remplir leur promesse d’un accès de proximité à l’enseignement supérieur, loin des grands pôles universitaires classiques. » Une réussite ? Peut-être, mais à quel coût et pour combien d’étudiants ?
Selon elle, les Campus Connectés (CC) ont accueilli en moyenne « près de 15 étudiants par an. » Compte tenu du nombre de CC et de leur année d’ouverture, « cela porte l’estimation à environ 1 550 étudiants accueillis depuis l’ouverture du dispositif (pour 79 Campus Connectés ouverts en Métropole). » Au total, le budget dépensé « est d’environ 285 936 € par Campus Connecté soit environ 22,6 millions d’euros au total depuis l’ouverture du dispositif (incluant le co-financement des collectivités). »
Une inspection générale lucide mais timorée
Soit un coût moyen de 4 859 € par étudiant et par an mais « hors coût de formation » indique le cabinet Bartle 🤭 ! En 2023, l’IGESR jugeait que les CC présentaient « un coût qui pourrait paraître disproportionné aux résultats effectifs et au nombre de bénéficiaires concernés. » Mais expliquait, politiquement correcte, qu’une « évaluation juste du dispositif des CC requiert donc un double regard, à la fois quantitatif, en raison d’une limitation des ressources disponibles, et qualitatif, en raison des opportunités de vie que constituent les CC. »
Elle faisait malgré tout des recommandations conditionnelles à leur maintien. Celles de maintenir un dispositif national des campus connectés, mais « avec un financement de 10 à 40 K€ annuels de l’État en direction des CC qui auront fait les preuves de leur réussite à l’issue des 5 ans du PIA (par exemple avec le nombre de 20 étudiants par an comme indicateur minimum). » Et le maintien des CC serait soumis à 2 conditions : « un investissement des collectivités territoriales au moins égal à la subvention de l’État, d’une part, et une mobilisation de ressources propres (dont les partenariats avec des clubs sportifs ou des entreprises, par exemple) pour assurer le complément nécessaire au développement des CC, d’autre part. » Autrement dit, un rêve.
Des magistrats financiers sévères
Avec le sous-titre « Les campus connectés : un coût important et une plus-value à confirmer », la Cour des comptes avait fait un constat plus direct, sans prendre de gants : « en 2021, huit campus seulement accueillent plus de 20 étudiants, ce qui ramène leur coût annuel par étudiant en deçà de 5 000 €, mais pour tous les autres, qui accueillent en moyenne cinq étudiants, le coût annuel estimé pour un inscrit dépasse les 13 000 € et s’élève même à 110 000 € pour les deux campus n’ayant qu’un unique bénéficiaire. » ! Perfide, elle rappelle qu’initialement, le ministère s’était fixé un objectif de 5 000 étudiants par an…
Comme l’Igesr, elle soulignait que les coûts non seulement ne prennent pas en compte ceux de la formation mais également tout ce qui est environné pour un étudiant en licence (sport, service de santé, etc.), ce qui « conduit à un coût annuel par étudiant considérable. » D’autant que « le niveau de la dépense consentie paraît encore bien supérieur en comparaison d’autres dispositifs comme le tutorat à l’université ou l’accompagnement personnalisé vers l’enseignement supérieur qui auraient pu toucher un public plus important. »
Il y a environ 1 million d’étudiants en licence : si les données varient fortement sur le pourcentage de celles et ceux les plus en difficulté, c’est plus en centaines qu’en dizaine de milliers qu’il faut compter. Le CAE avait évalué la dépense par étudiant en licence, selon les filières. Or, quel que soit le mode de calcul, elle est nettement inférieure à celle des inscrits en campus connectés.
Un MESR qui n’assume pas l’échec
Mais alors, on imagine que le MESR va siffler la fin de la recréation sur un dispositif qui au fond ne marche pas ou alors avec un coût exorbitant ? Qu’il va exiger, comme pour les universités, un raisonnement en coûts complets ? Qu’il va prendre conscience que de tels moyens supposés favoriser la réussite pourraient donc être généralisés aux universités (qui au passage, et on les comprend, se sont peu investies) ? Que l’on arrêterait le saupoudrage et fixerait de véritables priorités ? Que ce que le SGPI alloue aux CC, il pourrait le faire à une autre échelle (par étudiant) et sans appel à projets à la réussite en L1 ?
Vous avez tout faux : Ph. Baptiste annonce contre toute vraisemblance que les CC « constituent un levier majeur d’égalité d’accès aux études supérieures dans tous les territoires. 🤭 » Certes, le MESR alloue 2M€, ce qui ressemble à un enterrement et refile la ‘patate chaude’ aux collectivités. Mais pourquoi ne pas l’assumer ? Pourquoi ne pas prendre à bras-le-corps la question en ciblant les antennes universitaires, l’enseignement à distance et bien sûr l’accompagnement social (bourses, logement) de ces jeunes ?
La Cour des comptes suggérait au MESR de reconnaître les antennes universitaires en instituant « des dispositifs d’évaluation, notamment de connaissance des coûts et ressources, afin de mieux appréhender la dimension territoriale dans le calcul de la subvention pour charges de service public. » Où en est-on ? Nulle part probablement.
2 poids 2 mesures vis-à-vis des universités
On peut en tout cas une fois de plus s’interroger sur le 2 poids 2 mesures. Pourquoi une mesure ministérielle ‘top down’ sans réelle contrainte et qui ne marche pas vaut-elle mieux que 80 universités qui font ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles ont, parfois bien parfois mal ? Qui assume près de 150 antennes universitaires avec plus de 90 000 étudiants, et offre un maillage territorial correct ?
D’un côté, ces Campus connectés ont pu se développer sans contraintes financières et sans évaluation des coûts réels.
De l’autre, on fait en permanence le procès aux universités de traîner les pieds sur les dispositifs de réussite en L1, mais doivent en permanence racler les fonds de tiroir.
Face à cet échec des pouvoirs publics, ces derniers peuvent-ils donner des leçons aux opérateurs sous leur tutelle ? C’est le drame des politiques publiques, dans l’ESR et ailleurs. Des choix non réfléchis ou mal conçus, des évaluation absentes ou mal faites, et quand elles sont sérieuses non suivies d’effets. Ca ne vous rappelle pas un débat ?
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