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J’imaginais que mon billet sur l’immobilisme du CNU me vaudrait insultes et accusations (agent du grand capital, tigre de papier etc.). Même si l’ambiance actuelle ne se caractérise pas, dans le monde universitaire comme ailleurs, par sa modération, avec des Fouquier-Tinville et des Vychinski à la pelle, ce billet m’a valu un … débat vidéo courtois et argumenté avec 2 contradicteurs, Jean-Philippe Denis, professeur à l’université Paris Saclay et rédacteur en chef de la Revue Française de Gestion et Fabrice Planchon, mathématicien et professeur à Sorbonne Université, membre du bureau de la CP-CNU. Cela me permet de revenir, toujours dans le même esprit de débat argumenté (oui c’est un pléonasme) sur la question centrale : le recrutement des enseignants-chercheurs. Je lance donc un deuxième débat autour, non pas de mes analyses, mais de celles du blog Gaïa Universitas.

Je ne reviens pas sur l’incroyable amateurisme politique du gouvernement et de la ministre sur cette question, en plein vote d’une LPR qui a suscité toutes les crispations. Avant tout, essayons donc de poursuivre le débat (qu’ils auraient dû mener) de qualité avec Jean-Philippe Denis et Fabrice Planchon, tous deux vent debout contre l’amendement sénatorial sur le CNU. Vous trouvez la vidéo à la fin de cet article.

Dans ce climat favorable aux échanges 1Nous sommes loin du ‘point Goodwin » atteint par certains, comparant la potentielle suppression du CNU à ce qu’il se passait sous Vichy., je recommande fortement ce billet du blog Gaïa Universitas que je trouve passionnant. Comme Christine Musselin, la question essentielle qu’il soulève est : comment améliorer les conditions du recrutement au niveau de chaque établissement. Loin de tout angélisme sur le prétendu vice des universités vs la vertu du CNU, les arguments développés analysent les mécanismes du « clientélisme » (plutôt que le localisme). Et pointent l’absurdité bureaucratique du processus actuel.

La dénonciation du ‘localisme’ assimilé au clientélisme est en effet souvent dirigée contre les présidences des universités. Or, elle masque en réalité la tentation les enseignants-chercheurs eux-mêmes de privilégier leurs ‘poulains’. Si certaines disciplines ont érigé des barricades, comme les mathématiques, chacun sait que des disciplines entières sont minées par un endorecrutement, local, de ‘science dominante’, voire de raisons idéologiques.

Enfin, comme le remarque justement F. Planchon, en accord avec les arguments d’Antoine Petit 😊, la pression sur les postes est telle que les dossiers de candidature sont de plus en plus remarquables ! Et donc avec 2 000 recrutements annuels, les risques sont amoindris…

Car, et c’est l’enseignement principal que je tire du débat avec Jean-Philippe Denis et Fabrice Planchon, les questionnements vont au-delà des solutions simplistes (garder ou supprimer le CNU) mais portent sur les améliorations nécessaires : comment gérer la diversité des identités professionnelles, liées aux disciplines ? La grande variété des pratiques des sections doit-elle être régulée ? La question des SHS et d’identités professionnelles très différentes (quoi de commun entre les maths et la sociologie mais aussi entre le droit et la sociologie ?) est évidemment un cas en tant que tel. Et puis, faut-il faire évoluer le rôle du CNU ET des universités avec une réelle stratégie complémentaire ? Comment améliorer l’ensemble ?

Quelques réflexions complémentaires

La délivrance de la thèse : le processus de qualification l’interroge. Là encore, loin des caricatures sur la bureaucratie omniprésente etc., ce sont bien les communautés scientifiques elles-mêmes qui ne prennent pas leurs responsabilités. Chacun sait qu’une thèse entamée, même mauvaise, sera délivrée. Et chacun sait qu’en réalité, c’est le directeur de thèse qui constitue le jury. Or l’affront d’une thèse rejetée touchera certes l’impétrant, mais ternira durablement la réputation du directeur de thèse. A ce moment de mon billet, je pense fort à Bernard Maris…

Le « préciput ». En quoi ce fameux « préciput », qui permet aux universités du monde entier de faire face aux coûts indirects de la recherche, a-t-il un rapport avec le CNU ? Aucun sinon qu’il a été, lui aussi, l’objet d’une bataille rangée…pour que, surtout, les universités françaises ne se voient pas attribuées (là encore comme leurs homologues étrangères) la maîtrise totale des fonds 2Outre la spécificité française de l’employeur et l’hébergeur, une partie (5%) sera fléchée sur le laboratoire..

Avocat du diable. Enfin, je terminerai par une question aux défenseurs acharnés du CNU : si le localisme est le diable et génère le clientélisme, s’il faut un cadre national pour garantir le service public, comment tolérer plus longtemps le cadre actuel des élections aux Conseils d’administration des universités qui autorise toutes les alliances de circonstances ? Avec tel ou tel syndicat étudiant, de personnels, tel ou tel groupe disciplinaire pesant beaucoup etc.

En conclusion. C’est le paradoxe apparent : la défiance vis-à-vis de l’autonomie des universités est partagée tant par le MESRI que par ses opposants. Dans tous les secteurs de la vie universitaire (qui se souvient des arguments contre le LMD, censé être le fossoyeur du cadre national des diplômes ?), la légitimité des décisions prises à et par l’université, avec des dirigeants pourtant élus par leurs communautés, est soupçonnée ou contestée. Pour noyer son chien on l’accuse de la rage : c’est la grande rencontre de la bureaucratie ministérielle et de celles et ceux qui ne jurent que par le cadre national, par les organismes, les Grandes écoles, etc.

Passerons-nous un jour en France du « tout sauf l’université » au « Toutes et tous pour l’Université » ? Pendant ce temps, dans le monde entier…

La vidéo du débat avec Jean-Philippe Denis et Fabrice Planchon

 

Références

Références
1 Nous sommes loin du ‘point Goodwin » atteint par certains, comparant la potentielle suppression du CNU à ce qu’il se passait sous Vichy.
2 Outre la spécificité française de l’employeur et l’hébergeur, une partie (5%) sera fléchée sur le laboratoire.

One Response to “CNU : poursuivre sereinement le débat”

  1. S’il s’agit d’ouvrir un débat serein, à supposer que ce soit possible en cette période de polarisation extrême, je pense qu’il y aurait au moins deux axes importants à creuser :

    1) Discuter de la pertinence d’une différenciation des pratiques selon les disciplines car il apparait que la qualification n’a pas la même utilité selon les disciplines. Certaines sections du CNU qualifient peu et d’autres qualifient presque tout le monde. Là c’est surtout un point de vue pragmatique car je ne vois pas du tout l’utilité d’une qualification si presque le monde est qualifié. Cela provoque un doublon d’évaluation avec les CoS et par ailleurs la plupart des qualifiés ne postule pas. En revanche je comprends bien le problème des sections qui qualifient peu, elles risquent de se retrouver submergées par des mauvais dossiers et ça prend du temps à trier. Dans mon fil à déroulé j’ai mentionné une action d’intelligence collective (ce qui m’a valu des sarcasmes, ce que je comprends bien car on a du mal à imaginer ça à l’université). Cette action serait une concertation des établissements qui demanderaient ensuite, de manière coordonnée, une dérogation pour certaines sections mais pas pour d’autres. Le taux de qualification (basé sur les pratiques des dernières années) serait alors le critère principal, ce n’est pas difficile de placer la barre par un petit calcul.

    2) Le second point c’est bien entendu le recrutement en lui-même. Il faut tout mettre à la poubelle et imaginer un nouveau format de recrutement, bien entendu géré par l’établissement d’accueil, mais dans lequel il serait opportun que le CNU joue un rôle (ce qui n’est pas le cas actuellement). Un peu plus de détails dans le vieux billet suivant, qui mériterait un peu de toilettage mais les grandes lignes restent valables. https://rachelgliese.wordpress.com/2013/11/01/reformer-le-recrutement-des-enseignants-chercheurs/

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