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Quoiqu’on pense de la trilogie française unique au monde université-prépas/grandes écoles-organismes de recherche, ce qui reste le plus handicapant n’est pas la permanence de ce système unique au monde mais sa justification par le dénigrement de l’université…et de ses étudiants. Parcoursup est à cet égard un excellent révélateur, dans lequel l’université apparaît souvent comme un repoussoir, à l’exception de ses filières sélectives, et encore. Analyse d’un phénomène ancré dans notre histoire.

On trouve dans le Figaro étudiant dans un article sur les « excellents bacheliers » qui ne trouveraient pas chaussure à leur pied en raison de Parcoursup, un témoignage révélateur sur Céline, élève du lycée Louis le Grand, « qui vient d’avoir son bac mention bien n’a eu aucune prépa. Incroyable quand on sait que pendant ces trois dernières années, elle avait 14 de moyenne. » Elle s’est vue proposer l’université Sorbonne Paris I et Diderot en économie et gestion. Le problème ? « Aujourd’hui elle regrette «d’avoir fait autant de sacrifices pour finir à l’université» ».

Ce témoignage illustre s’il en était besoin ce que Michel Lussault, ancien président d’université, appelle « la doxa de l’élite française » à savoir que « les universités seraient médiocres ». Impensable dans les pays comparables.

Qui ne réagirait pas ainsi s’il s’agissait du futur collège ou du futur lycée de ses enfants ?

Il est évident que les blocages et manifestations récents, les examens repoussés ou perturbés, ont une fois de plus donné une image désastreuse de l’université française. L’implication virulente d’enseignants-chercheurs et les débats autour de la qualité des examens ont accentué l’inquiétude des familles. Qui ne réagirait pas ainsi s’il s’agissait du futur collège ou du futur lycée de ses enfants ?

Université = image de la relégation

Mais à ces inquiétudes légitimes, s’ajoute un discours anti-université, déjà enraciné chez les élites françaises, mais qui est également porté par des enseignants du secondaire : la prépa reste la référence absolue de qualité, et derrière elle, le système des concours.

Leurs parents, occupant tous une position sociale élevée, font d’une certaine manière l’opinion publique, dans l’appareil d’État et dans les entreprises françaises nourries aux liens incestueux avec ce même État. Pourtant, même chez leurs enfants émerge un besoin différent, les arts, la recherche etc loin des parcours formatés et/ou tracés.

Mais voilà, reste pour l’université une image qui lui colle à la peau, celle de la relégation. François Dubet en dresse un lumineux constat dans Alternatives économiques.

Un mépris ancré profondément

Malgré les changements positifs considérables en son sein, l’université française continue d’être victime d’une forme d’opprobre. Cela explique à mon sens certaines difficultés françaises : peur du risque, conformisme, entre-soi.

Depuis des années, j’ai rencontré des dizaines de décideurs publics et privés et je pourrais faire un florilège de ce qui se passe dans les élites françaises et les dîners en ville. Je me souviens par exemple de ce conseiller de Claude Allègre, X Mines, qui me confiait tout son mépris pour l’université française, ou encore du dédain affleurant dans des conversations avec l’un des parrains du CAC 40, Michel Pébereau.

Ou bien encore Dominique de Calan, à l’époque apparatchik du Medef et de l’UIMM, qui arpentait les colloques pour dénigrer les diplômes universitaires et surtout les doctorats, usines à chômeurs, avec un argument imparable : les entreprises françaises n’ont pas les moyens de payer des surdiplômés. Pendant ce temps-là dans la Silicon valley…

Je pourrais aussi citer tous ceux qui publiquement affichent leur admiration pour l’université mais en privé ne cachent pas leur peu d’intérêt pour ce qu’ils considèrent comme une dépense à fonds perdus. Et ce n’est pas tant les problèmes de gestion, de gouvernance etc., que ce que représente l’université, sa mixité, sa prétendue non sélectivité et le niveau supposé faible de ses diplômés.

Encore récemment, lors d’une conversation avec la représentante d’un important cabinet de « chasseurs de tête », j’étais sidéré par les stéréotypes véhiculés dans et par les élites, et surtout la méconnaissance de la réalité. Car on y voit le verre à moitié vide des dysfonctionnements (réels) et pas le verre à moitié plein des réussites scientifiques (pas seulement les Nobel).

Et s’il est vrai que les discours officiels ont changé (depuis longtemps chez les pouvoirs publics) chez les entreprises, tout le monde sait que chez Total, si vous n’êtes pas X Mines, vous ne progresserez pas dans la hiérarchie, même avec un doctorat.

Je l’ai déjà analysé et écrit, ce qui permet ce décalage entre une réalité et sa perception ne peut se réduire à ressasser le passé et dénoncer les élites actuelles. Sur twitter, Michel Lussault, souligne que « les universités sont des lieux de réussite et d’épanouissement personnel » . Des universités médiocres ? « Tout prouve le contraire et ce dénigrement est inacceptable. Y consentir est un choix politique. »

Je suppose qu’il estime que les gouvernants actuels ne font pas les choix politiques nécessaires en faveur de l’université. Mais tout montre également que les universitaires, divisés, n’apportent pas les preuves de ces réussites. Non pas qu’elles n’existent pas, mais tout simplement qu’ils ne s’unissent pas, quelle que soit leur chapelle, pour dire stop.

Les « grands » intellectuels français, la plupart issus de l’université ne jouent jamais collectif, à l’image de communautés structurées en irréductibles villages gaulois.

Ils devraient prendre quelques enseignements de la victoire de l’équipe de France de football : des stars qui jouent collectif, un collectif qui joue pour ces stars, et tout le monde pour son pays.

 

2 Responses to “La France, aussi championne du monde du dénigrement de l’université”

  1. Bonjour,
    Je suis moi-même issu de formation (doctorale) universitaire et j’ai enseigné de nombreux établissements d’enseignement supérieur, universitaires ou non et je pense que la fameuse citation (apocryphe) de Bossuet s’applique encore ici :
    « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes..»

    Je ne comprends pas comment le refus de sélection des élèves à l’Université pourrait avoir d’autre résultats que :
    1. l’adaptation des cursus universitaires à la partie inférieure des capacités (cognitives et attitudinales) de la population étudiante
    2. la prise en compte de ce fait pour estimer le « niveau » universitaire

    à moins de croire que les Universités Française ont trouvé la formule magique qui pourrait décorrélé le niveau d’enseignement des capacités des élèves. Croyance très agréable, mais ne reposant que sur la Foi politique, malheureusement.

    Et malgré ce que professent les gens publiquement pour des raisons de sociabilité politique évidentes, même s’ils ne sont pas au courant des recherches sur les effets de ségrégations des élèves suivant les niveaux [*], ils ne peuvent pas s’empêcher d’agir en fonction de ce qu’ils comprennent malgré eux.

    Pour comparer avec l’étranger, ii l’on prend par exemple le cas américain, ce n’est pas avec les ‘Colleges’ qu’il faut comparer le statut de nos universités, mais avec les ‘Community Colleges’, malheureusement. Donc si l’on veut des Universités où l’enseignement soit réputé, il faut permettre à des Universités de sélectionner les étudiants.

    [*] https://problemproblems.wordpress.com/2018/05/28/questions-and-answers-about-tracking-and-ability-grouping/

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