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L’annonce de frais d’inscription élevés pour les étudiants étrangers non-communautaires fait craindre à certains l’extension de cette mesure pour les étudiants français. Bizarrement, personne, et ce depuis des années, ne s’intéresse au montant des bourses, notamment des 12,5% qui représentent les étudiants les plus défavorisés. Essayons de corriger cette erreur… J’ai retrouvé et comparé l’évolution des droits d’inscription depuis 1960 mais surtout des bourses…depuis 1936 ! L’occasion de méditer sur ce qu’ont fait Sciences Po et Dauphine.

La polémique monte autour de l’annonce par le gouvernement d’une hausse significative des droits d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires. Car au même moment, la Cour des comptes échafaude plusieurs scénarios de hausse pour les étudiants français, malgré les démentis du MESRI sur le suivi de ces recommandations. Pourtant, lire le rapport de la Cour des comptes permet d’avoir une approche beaucoup plus sereine de ce débat, loin des hurlements, dans un sens ou dans l’autre.

Des postures souvent théologiques

D’un côté les ultras de la hausse, de l’autre les misérabilistes : c’est je crois les termes du débat complètement irrationnel qui agite régulièrement notre pays. Autour de positions tranchées, des universitaires s’affrontent : dans Le Monde Alain Trannoy (AMU) et sa proposition de « prêt à remboursement contingent », et à l’opposé (entre autres) dans Libération, Léonard Moulin, David Flacher & Hugo Harari-Kemardec.

Mais de quoi parle-t-on autour des droits d’inscription ? Les partisans d’une augmentation, comme leurs détracteurs, s’écharpent toujours de façon fantasmatique, comme si la seule solution se situait entre le maintien à 170 € ou l’augmentation à 5000€ ! Ces 2 positions interdisent de fait tout échange rationnel. La Cour des comptes remarque d’ailleurs qu’une hausse de 10% ne ferait que remettre « à niveau » ce qui a été gelé par les pouvoirs publics (et je n’évoque pas la suppression de la cotisation de sécurité sociale).

Personne en France ne songe en effet sérieusement à aligner notre système sur le système américain. De plus, les propositions d’Alain Trannoy butent sur un obstacle très concret : toutes les expériences de prêt « public » (bonification etc.) dans notre pays se sont révélées des échecs ! Enfin, l’exemple britannique ou encore l’endettement américain peuvent en effet, c’est le moins que l’on puisse dire, inciter à la prudence et ont douché l’enthousiasme de nombreux partisans d’une hausse des frais d’inscription.

Des droits déjà inégaux

La question est plutôt celle que soulève la Cour des comptes : est-il possible qu’un service public continue de proposer une telle diversité de situations ? Car dans le secteur public ou semi-public, la Cour des comptes relève à juste titre l’incohérence et les inégalités générées par la jungle des montants des droits, sans parler des Business schools « consulaires » ou encore de Science Po. Les universitaires oublient souvent qu’ils ne sont pas seuls au monde.

Sait-on que des dizaines de milliers d’étudiants acquittent des droits plus importants qu’à l’université dans le secteur public ? Pétition, tribune ? Non bien sûr. De la même manière, aucune voix ne s’élève pour dénoncer ce système quasi unique au monde qui rémunère des étudiants alors même qu’ils sont issus des milieux les plus favorisés. C’est en France et cela concerne l’X, Normale Sup.

Au nom de l’égalité, plein de questions sont posées : doit-on aligner par le bas, c’est à dire les droits universitaires ? Ou doit-on aligner par le haut, à savoir sur les écoles d’ingénieurs par exemple ? Doit-on rapporter au coût par étudiant, ce qui signifierait une forte hausse en prépa ? Etc.

Reste que le MESRI les a…diminués cette année !

La réalité des frais d’inscription, c’est qu’ils représentaient 1% des recettes des universités dans les années 50, et aujourd’hui aux alentours de 2% ! Mieux, ils ont été en régression pendant 40 ans : ce sont François Mitterrand et Alain Savary qui ont amorcé une rupture en les augmentant fortement, en contrepartie d’une hausse du nombre de boursiers. Ceux-ci sont ainsi passés de 8% de dans l’après-68 à près de 38% aujourd’hui (40% à l’université).

Mais les choix politiques de l’époque, conservés par tous les gouvernements, ont été de « saupoudrer » les aides, sans véritablement les cibler sur les plus défavorisés, sur le modèle par exemple des bourses américaines. Oui, je serai taxé sans doute de « tigre de papier » et de suppôt du grand capital mais le système US, s’il a de redoutables défauts, dispose d’un système de bourse qui peut être très généreux ?.

Revenir sur les véritables questions

Les polémiques sans fin sur le montant des frais d’inscription, dont faut-il le rappeler, les boursiers sont exonérés, masquent à mon avis la question essentielle du montant des bourses. Et curieusement les organisations étudiantes, Fage et Unef, qui dénoncent une hausse éventuelle des droits d’inscription, parlent du logement étudiant mais sont d’un silence assourdissant sur le montant des bourses actuelles.

Comme le montrent tous les chiffres disponibles, les inégalités d’accès dans le supérieur ont régressé. Par contre, taux de succès et choix d’études longues sont de vrais marqueurs des inégalités sociales.

Il n’est pas anodin de constater que l’on parle tout le temps des 60% d’étudiants non-boursiers, appartenant à la classe moyenne, mais pas des 12% que l’on peut considérer, vu les barèmes, comme défavorisés.

Loin de moi l’idée de méconnaître les difficultés que peut connaître telle ou telle catégorie d’étudiant, non boursier ou boursier échelon 0, 1 etc. Mais qui sait combien touche un boursier considéré comme très défavorisé ? Peut-on réellement avoir l’esprit libre avec une bourse de 4505 € (échelon 5) à 5551 € (échelon 7) sur 10 mois ? Car cela suppose un plafond de ressources, selon le barème, de 11 950 € au mieux (sic) et de 250 € au pire ? !

Environ 13% des étudiants plus que défavorisés sont dans ce cas : peuvent-ils vivre décemment ? Peuvent-ils étudier sereinement ? Les chiffres que je publie le montrent : depuis 1936, les bourses ont gagné très peu de pouvoir d’achat, comparé à l’augmentation globale de la richesse de notre pays !

Il est donc plus que choquant de constater que les ressources des étudiants censés en avoir le plus besoin sont un non-sujet : chaque année, on bataille sur une hausse de 1 ou 2% des droits d’inscription (pétition, communiqués de presse etc.) mais rien, quasiment rien sur le pouvoir d’achat des bourses !

En conclusion

Les chiffres avancés par la Cour des comptes dans un scénario (965€ et 781€ contre 243€ et 380€ actuellement), au vu des 40% d’exonérés ne semblent pas démesurés pour une grande partie des niveaux de revenus concernés.

C’est surtout l’initiative de Richard Descoings à Sciences Po qui mérite réflexion et bilan : il a augmenté les droits et en a affecté une partie à ses boursiers : un étudiant boursier du 7è échelon se voit ainsi ajouter 4163 € à ses 5551 €.  Il avait repris un slogan à la mode ces temps-ci : faire payer les riches…

En faire une évaluation objective, de même que la hausse décidée à Paris Dauphine, permettrait sans doute un débat plus serein : y a-t-il eu un effet d’éviction ? De même à l’X ou à l’ENS, le fait de rémunérer les « élèves » a -t-il un effet sur la démocratisation ?


Des chiffres à analyser

J’ai réalisé ce petit travail historique, à partir de documents qui avaient été mis en ligne par le MENESR il y a quelques années, mais qui ont, curieusement, disparu ou en tout cas que je n’ai pas retrouvé. Fort heureusement, j’avais téléchargé ces documents numérisés (souvent à partir, pour les séries les plus anciennes, du Bureau universitaire de statistiques, le BUS).

Les séries ne sont pas complètes, par exemple sur le montant des bourses, ce qui explique mes choix de dates (sur le BOEN, la numérisation ne permet de remonter que jusqu’en 1998).

Que pouvait-on « acheter » en 1960 avec la somme consacrée aux frais d’inscription ? La place de cinéma valait en 1960 en moyenne 1,86 F soit 2,98 en euros constants (source rapport sénatorial). Aujourd’hui, elle est, hors abonnement et en moyenne de 10 € en 2018. Donc, alors qu’un étudiant dépensait l’équivalent de 21 places de cinémas en 1960, il en dépense 17 en 2018 pour les droits d’inscription. L’autre grande différence est que la part des exonérés a explosé.

 

 

 

AnnéeMontant maximum des bourses en Francs et en eurosEn euros constants arrondisBase 100Remarques
19365 200 (anciens) F3 820100
194976 700 (anciens) F2 38162Crise économique de l'après-guerre
19756 417 F4 446116
198210 692 F3 55293Choix de l'augmentation du nombre de boursiers, mais pas des bourses
199217 244 F
3 73798On approche du niveau...de 1936 !
20013 456 euros4 308113Décennie pendant laquelle les bourses reprennent légèrement du pouvoir d'achat.
20114 600 euros4 815126
20185 551 euros5 551145

 

AnnéeMontant en francs et eurosEuros constants (arrondis)Base 100Remarques
196040 F64100
196545 F6094
Baisse de facto jusqu'en 1969 des DI
196995 F108168Forte augmentation après mai 68.
1982150 F5078Forte augmentation d'un coup mais qui ne rattrape pas les effets de l'inflation
1983200 F6195On retrouve presque le niveau de 1960
1985330 F88137
1986450 F117182
1990500 F114179
2013183 €186291
2018 et 2019170 €170265L'inflation n'est pas compensée.

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