Sous-financé l’ESR ? Ce n’est pas un scoop. Encore faut-il préciser qu’il s’agit avant tout des universités. Mais créer des postes, améliorer les rémunérations des enseignants-chercheurs et chercheurs, augmenter le montant des bourses de 6è et 7è échelons, abonder les investissements immobiliers et donner des moyens de fonctionnement, oui évidemment. Mais le système français d’ESR est-il capable de gérer positivement ces moyens ? Et sur quoi faut-il cibler les efforts ? Budget ESR insuffisant ? Oui. Structuration aberrante ? Oui.
Je vais choquer : mais ajouter des milliards dans l’ESR en France (je rêve bien sûr, un porte-avions ne coûte que 3/4 milliards d’euros ?), c’est à coup sûr arroser le sable. Car si le réflexe pavlovien c’est de dire « créons des postes de chercheurs et d’enseignants-chercheurs »), la réalité est légèrement plus complexe. Comme si l’université se résumait aux seuls universitaires…
Le principal sujet, c’est à mon sens de rétablir de la confiance avec les personnels, échaudés par des années de changements incessants mais surtout, plus grave, illisibles. A tous les niveaux règne cette défiance : entre ministère et établissements, au sein des établissements etc.
Quant à la gouvernance des universités, il faut à mon sens déplacer le questionnement : même avec des CA sur le modèle anglo-saxon ou suisse, la conduite du changement y est un chantier immense. Or, peut-on conduire des évolutions aussi profondes, y compris dans la gouvernance, sans des moyens supplémentaires ?
Il faudrait en effet un effort budgétaire sans précédent accompagné de contreparties elles aussi sans précédent, bref une vision de ce que doit être notre ESR dans les 20 ans qui viennent : instaurer (enfin) une pluriannualité à laquelle les Armées ont droit serait le minimum.
Il ne suffira pas de parler d’intelligence artificielle, de développement durable, sujets à la mode et qui disparaîtront probablement aussi vite qu’ils sont apparus dans la technocratie. La recherche, c’est autre chose ! Être attractif y compris pour garder les meilleurs français, c’est d’abord leur garantir des rémunérations décentes. A Bercy, on est pour les plans sur l’IA, mais pas ceux sur les carrières !
On va évidemment me rétorquer que tous les secteurs de l’État réclament de devenir une priorité alors même que ses dépenses et les effectifs de fonctionnaires n’ont pas cessé de croître, et à l’opposé m’expliquer que le problème est avant tout un problème de moyens. Allons cependant vers un peu plus de complexité, de nuances.
Faire des choix
Car si le budget de l’État est contraint, ce dernier peut faire des choix en considérant l’Université comme un investissement productif. Et quant à ceux qui ânonnent ce slogan « plus de moyens », il faudra qu’ils expliquent où et comment.
Le « compromis historique » passé depuis les années 80, cela a été la revendication de postes (et en partie leur création) ou de plus de boursiers. Résultats, le régime indemnitaire des chercheurs et enseignants-chercheurs a décroché au sein de la fonction publique, tandis que le montant des bourses les plus élevées est en euros constants…au niveau de 1936 !
Je donne ces 2 exemples car demander des moyens, c’est dire quelles sont les priorités ! Or, alors que les 2 masses budgétaires principales sont la masse salariale et l’aide sociale aux étudiants, le saupoudrage a prévalu aux dépens du ciblage.
Je ne prétends pas évidemment avoir fait le tour du sujet (j’y reviendrai) mais une hausse des moyens suppose de clarifier les réponses à quelques questions.
La priorité est-elle de « créer des postes » ? D’abord une remarque : chacun sait que le vivier de doctorants s’assèche, et que pourvoir dans les conditions actuelles des milliers de postes est une chimère (qualification, rééquilibrage homme-femme par exemple).
Ensuite, même si l’on imagine qu’il y a ces milliers de postes, où les met-on ? Dans quelle discipline, dans quel établissement ? Et sur quels critères puisqu’actuellement, si je prends l’exemple des universités, le modèle d’allocation des moyens est obsolète. Et quel arbitrage entre organismes et universités ?
Si l’on ajoute la question récurrente des chercheurs des EPST (le DRH du CNRS estime à 1 000 postes d’enseignants-chercheurs le temps consacré par les chercheurs CNRS à l’enseignement), on peut aussi juger que l’unification des statuts combinée à des congés sabbatiques nombreux, des décharges d’enseignement systématiques notamment en début de carrière, seraient une meilleure solution.
Enfin ne faut-il pas, à l’exemple des universités étrangères comparables, rééquilibrer le soutien à la pédagogie et à la recherche en recrutant des Biatss, afin de libérer le temps des académiques ? C’est ce que les universités ont commencé à faire (courageusement) depuis des années en renforçant l’administration et la gestion. Ceci traduit une rupture avec une doxa qui veut que l’on recrute d’abord des chercheurs. Entre 2012 et 2016, les effectifs de l’ESR (titulaires et non titulaires) ont augmenté de 1,7 % passant de 197 749 à 201 044, mais essentiellement côté personnels BIATSS (+ 3,6%) tandis que la population enseignante a baissé (- 0,2 %).
J’ai montré dans un billet le décrochage en matière de rémunération des enseignants-chercheurs/chercheurs. Mais pourrait-on, par exemple, augmenter la rémunération des enseignants-chercheurs sans exiger que l’évaluation des enseignements se mette en place ? Dans la même veine, pourrait-on créer des postes de Biatss sans demander que la loi sur les 35 heures soit appliquée ?
Faut-il rééquilibrer la répartition des moyens au profit des universités, et si oui sur quels critères ? On voit mal l’État diminuer ce qu’il donne aux autres secteurs de l’ESR. Mais oui, les universités sont toujours les grandes perdantes du loto budgétaire : la dépense par étudiant étant conditionnée, ou pas, à la hausse des effectifs, l’augmentation du budget est toujours un trompe-l’œil.
Il y a donc de réelles différences entre établissements et entre disciplines (je n’aborde même pas celles avec les prépas ?) qu’aucun modèle d’allocation des moyens n’a réglé pour l’instant. La transparence au sein des établissements sur les taux d’encadrement entre disciplines va devenir un impératif.
Cela suppose d’aller jusqu’au bout des discours sur leur autonomie pédagogique et leur place dans la recherche, avec notamment les montants des préciputs. (un billet à venir !).
Peut-on continuer avec l’organisation actuelle de l’ESR ? Que dire du millefeuille et des dizaines de milliers d’heures consacrées à des usines à gaz ? Qui peut nier que c’est un système budgétivore, peu efficace avec des coûts de transaction gigantesques et des doublons nombreux ? J’y ai consacré plusieurs billets (la Cour des comptes aussi d’ailleurs !) : les Comue, les Satt, les alliances de recherche, les appels à projet dans tous les sens, un sentiment d’évaluation permanente, une politique contractuelle ubuesque…
Je pourrais aussi évoquer le CNU, le CoNRS et le temps colossal consacré aux procédures bureaucratiques au détriment de celui consacré à l’examen des dossiers (pour le recrutement pour 40 ans d’un fonctionnaire)…
Enfin, la multiplication des appels à projets devient lentement mais sûrement un substitut nocif à une évaluation espacée mais débouchant sur des décisions. C’est là le sujet central du système français avec la clarification des relations universités organismes.
Les critères actuels du Crédit Impôt recherche (CIR) sont-ils des atouts vu la faiblesse de la R&D des entreprises françaises ? Malgré un CIR qui avoisine les 6 milliards d’euros, ça ne décolle pas. Les raisons avancées sont toujours les mêmes : on ne peut comparer l’Allemagne à la France car la structure plus axée sur les services de nos entreprises explique la différence sur le DIRDE. Mais elle n’explique pas pourquoi tous ces dispositifs n’ont pas fait émerger des champions, à partir d’innovations de rupture. La culture de l’ingénieur, plutôt que celle du docteur-ingénieur ou du docteur continue de prédominer.
Peut-on continuer avec le saupoudrage de l’aide sociale aux étudiants ? Depuis le rapport Cieutat en janvier 1997, et bien d’autres, on sait que notre système d’aides sociales est inégalitaire. Peut-on par exemple justifier d’avoir une proportion de 38% de boursiers (près de 40% à l’université) en « lissant » en quelque sorte celles des plus défavorisés, les échelons 6 et 7 ?
Pour conclure sur ce sujet, il est évidemment impossible de ne pas revenir sur la question des droits d’inscription. Le financement des établissements par les frais d’inscription (en partie) est revenu sur le devant de la scène avec l’annonce d’une hausse importante pour les étudiants extra-communautaires. Notons au passage que le programme d’Emmanuel Macron y faisait référence, pas que pour les étudiants étrangers.
Quoiqu’on pense de cette mesure, le gouvernement a donné à ses détracteurs un argument-massue en laissant ouverte la porte à une forme de désengagement financier partiel de l’État avec ces recettes supplémentaires.
Les opposants à toute hausse ont trouvé une alliée involontaire et inattendue. La proposition (incroyable au demeurant) de la Conférence des Grandes écoles, par la voix d’Alice Guilhon montre que la voie des hausses permanentes de frais d’inscription est une impasse. Passons sur le timing et l’intérêt politique discutable pour la CGE, mais la présidente de Skema demande, dans une interview à mon confrère Olivier Rollot…que l’État aide les Business schools en défiscalisant les frais de scolarité ! Une leçon sans doute d’économie de marché ?…
Je crois surtout que c’est une illusion de croire que les frais d’inscription sont une solution structurelle au problème de financement de l’ESR. Par contre faire payer les 60% de non-boursiers dans des proportions raisonnables, comme à Sciences Po ou Dauphine, en quoi est-ce injuste ? L’impact serait à mon avis surtout psychologique (exigence, lien avec l’établissement).
Une simple remarque à propos de l allusion aux coûts comparés des formations universitaires et…CPGE
La comparaison rigoureuse implique que la définition des effectifs réels engagés dans le calcul du coût moyen soit certifiée et irréfutable.
Dans l état actuel des informations données par la DEPP, le sies etc…il ne me parait pas possible de s appuyer sur les données chiffrées pourtant reproduites partout. La volatilité des effectifs dans certaines formations et sa répercussion sur les effectifs pris en compte reste à préciser avant toute chose!
C Boichot
Igen/h