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La gangrène antisémite va-t-elle s’installer au sein de l’université française ? Cette question inenvisageable il y a quelque temps doit être posée. De même, alors que les inquiétudes montent sur le budget 2026, il est bon de se pencher sur les dépenses de l’État et la place du secteur de l’ESR ou sur l’étonnant consensus pour un saupoudrage des aides sociales qui conforte les inégalités dans l’ESR. Pendant ce temps, la France se replie sur des débats défensifs (la taxe ‘Zucman’) qui pourraient être légitimes s’ils s’accompagnaient d’une réflexion sur l’innovation (débat offensif), comme nous y invitent le rapport Draghi ou Jean Tirole. C’est d’ailleurs l’occasion de réfléchir de façon critique sur l’appel à la ‘liberté de savoir’ lancé par Radio France : n’est-il pas un contre-feu aux dérives de l’audiovisuel public ? Celui-ci n’est-il pas envahi par une forme de ‘léninisme’ journalistique ?

La situation politique actuelle est inquiétante, non pas seulement avec ce qu’il se passe en France, mais parce qu’elle est internationale. En Europe et ailleurs, il y a une lame de fond face à laquelle personne n’est capable de répondre et qui charrie les menaces les plus lourdes. Le maintien ou le changement du ministre de l’ESR est-il en réalité un non événement ? Ce qui est certain, c’est que les opérateurs qui passent leur temps à se plaindre (en plus du budget) des pesanteurs et annonces incessantes, ont au moins l’occasion d’occuper un terrain vide et d’exercer leur autonomie !

Racisme et antisémitisme : la communauté universitaire attaquée de l’extérieur et de l’intérieur.

Un message de Reconquête Haute-Garonne sur Facebook, le parti d’E. Zemmour, effacé depuis, s’attaquait aux origines de l’actuel recteur de Toulouse Karim Benmiloud et de son prédécesseur Mostafa Fourar avec un titre qui dit tout de son racisme crasse : « Toulouse mérite mieux ». Deux universitaires français, en responsabilité, attaqués pour leurs origines, cela en dit long sur le climat délétère qui s’installe dans notre pays et plus largement dans le monde. Si cette attaque raciste est extérieure au monde de l’ESR (pour l’instant), on assiste de façon inquiétante, au sein même des universités, à la montée d’un antisémitisme non résiduel.

Ainsi on apprend que 5 universitaires ont annulé leur participation à un colloque sur l’histoire des juifs de Paris. Ces 5 universitaires sont-ils antisémites ? Je ne le sais pas mais ils nourrissent l’antisémitisme assurément, d’autant que leur courage ne va pas jusqu’à assumer publiquement leur décision. Ils l’ont fait au prétexte, selon le musée d’art et d’histoire du judaïsme « qu’un programme de recherche en histoire médiévale de l’Université hébraïque de Jérusalem (UHJ) – dirigé par Elisheva Baumgarten, éminente médiéviste et doyenne des humanités à l’UHJ –, finançait la participation d’une doctorante, comme c’est l’usage. » L’ancien correspondant de FTV à Jérusalem, Charles Enderlin rappelle que plus d’une centaine d’enseignants de l’Université hébraïque avaient publié une motion soutenant Nadera Shalhoub-Kevorkian, professeure palestinienne, suspendue pour avoir dénoncé « le génocide perpétré par Israël à Gaza », suspension finalement annulée. Oui, Israël demeure (pour l’instant) une démocratie.

Et quand à Paris-1, des étudiants sont exclus d’une boucle WhatsApp en raison de leur nom, dénoncés comme « sionistes », on entre dans une autre dimension, ce que l’Histoire nous enseigne. Que désormais on assiste à un antisémitisme de gauche, c’est évidemment Marine Le Pen qui s’en réjouit.

Cet antisémitisme va-t-il gangréner le monde universitaire, alors même qu’un numéro passionnant de la revue l’Histoire est consacré à Marc Bloch, montre comment il en fut la victime dans les années 20 à la Sorbonne ? Si France Universités, et la présidente de Paris-1, ont heureusement des positions claires sur ce sujet, qu’en est-il, par exemple, des historiens, qui pétitionnent à longueur de journée ? La lâcheté fait souvent office de prise de position. Heureusement, un appel, notamment d’universitaires, sauve l’honneur, appelant France Universités et le MESR à « condamner le principe de boycott académique. »

La dette, l’ESR et le budget de l’État

Rappelons les dépenses de l’Etat en 2024 et la place de l’enseignement supérieur et la recherche. François Ecalle, le fondateur de Fipeco, est à mon avis le meilleur spécialiste aujourd’hui du budget de l’État. Il publie un schéma qui montre notamment la place des dépenses d’enseignement supérieur et de recherche : 3ème budget de l’État certes, dont tout le monde se contrefiche, mais 4ème si l’on prend en compte les intérêts de la dette !

Sur LCI, il soulignait un phénomène qui explique l’augmentation permanente des effectifs de fonctionnaires dans notre pays, mais que les opérateurs de l’ESR n’ont jamais ressenti : « sur 25 ans, la hausse de ces effectifs, elle vient essentiellement des collectivités locales : + 45 % sur ces 25 dernières années, + 600 000 emplois sans même compter les emplois liés aux transferts de compétence de la décentralisation ! »

L’économiste Sylvain Catherine (université de Pennsylvanie, Wharton BS) corrobore ce constat sur un autre plan : les dépenses des services généraux des administrations sont en baisse depuis 25 ans. Il note que ce qui « augmente le plus, et de loin, ce sont les dépenses de santé et de retraite. » mais rappelle que « beaucoup d’autres budgets sont en trompe-l’œil, car ils cachent des dépenses de retraite. » Le fameux CAS Pension !

On est donc loin du gaspillage annoncé dans le fonctionnement des administrations, même si l’on peut s’interroger sur l’efficience de leur action et notamment le cloisonnement, les procédures absurdes, la faible prise en compte du numérique et de l’IA etc.  Mais de ce point de vue, les ratios internationaux sont incontestables : universités et justice sont sous-financées dans notre pays.

Bourses : le saupoudrage continue…

Qui a bénéficié de la réforme des bourses sur critères sociaux de la rentrée 2023 ? Le SIES-MESR est clair : « les boursiers de l’échelon 7, donc ceux considérés comme les plus précaires, connaissent le gain moyen le plus bas, puisqu’ils ne peuvent bénéficier que de l’augmentation forfaitaire, et non de la montée d’échelon, étant déjà à l’échelon le plus haut ». D’où viennent les nouveaux bénéficiaires ? Davantage « d’un ménage à dominante cadre » et ils sont plus « présents dans les formations sélectives ». 

Le SIES-MESR constate ainsi que « les 370 millions d’euros supplémentaires alloués à cette aide bénéficient davantage aux boursiers avec des montants d’aides plus faibles et pouvant être considérés comme moins précaires que les autres boursiers ».  Dans un article de la Revue française des affaires sociales, des chercheurs en sociologie de l’université Grenoble Alpes publient les résultats d’une enquête sur les doctorants de l’UGA. Elle confirme, une fois de plus et sur un public particulier, que les généralités sur la précarité, masquent des faits têtus : il y a des publics « particulièrement vulnérables » en l’occurrence « les doctorants étrangers originaires de pays d’Afrique subsaharienne, d’Amérique du Sud et d’Asie/Océanie »

Voilà où mènent les discours misérabilistes selon lesquels tous les étudiants seraient en difficulté : on saupoudre alors même que tout démontre qu’il faut cibler sur les publics en difficulté. Au fond, dans le système français, tout est fait grâce à des avantages fiscaux bien documentés, pour redistribuer les deniers publics au profit de ceux qui n’en ont pas le plus besoin … avec l’aide des médias, des syndicats et j’en passe ! Dans la suite du rapport de J-M Jolion, les députés Ensemble pour la République Charles Sitzenstuhl (Bas-Rhin) et Thomas Cazenave (Gironde) ont proposé d’assurer le financement d’une réforme par « la suppression de la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur ou par un recentrage des APL étudiants sur ceux issus des foyers modestes et de la classe moyenne ». Ce sont eux qui ont raison.

La liberté de savoir selon Radio France : duplicité ou prise de conscience ?

C’est bien connu : les gens qui culpabilisent essaient souvent de se donner bonne conscience. Est-ce le cas de Radio France et de sa directrice Sybille Veil qui lancent un appel pour « la liberté de savoir » ? Ou bien est-ce un outil pour la directrice pour combattre les dérives que chacun peut constater sur ses antennes ? Il est en tout cas signé (à juste titre) par de nombreux présidents d’université, d’organismes de recherche et de scientifiques.

On se félicite que Sybille Veil découvre que « le populisme scientifique n’est pas un phénomène américain. C’est une doctrine franchisée. (…) Partout, elle repose sur les mêmes ressorts : disqualification et rejet de la complexité, substitution de l’opinion aux faits, diktat de l’émotion au détriment de la vérité. (…) Le savoir suppose lenteur, méthode, modestie. »

Le problème, c’est que sur les antennes de Radio France, dans une ambiance anxiogène et catastrophiste (comme CNews…),  il faut donner majoritairement un seul point de vue sur les cancers pédiatriques, la contamination supposée du thon, sur l’acetamipride, l’exposition des enfants aux écrans ou le nucléaire vs les renouvelables etc.. Même la climatisation n’échappe pas à ce militantisme non déguisé.

Remarquons que cela s’applique aussi au Conseil d’État. Dans son étude annuelle intitulée « Inscrire l’action publique dans le temps long », il recommande « d’intégrer le temps long en se fondant sur la science et l’expertise » dans l’optique de « mieux mobiliser le savoir scientifique à tous les niveaux ». Très bien d’autant qu’il estime que la « présence d’une représentation scientifique auprès des décideurs publics, qui n’ont pas nécessairement eux-mêmes une formation scientifique poussée, est actuellement imparfaite ». Oui mais alors comment expliquer ces décisions régulières de tribunaux administratifs qui vont contre la science mais dans le sens de l’opinion en vogue ?

Le ‘léninisme’ journalistique…

Ce que j’appelle le ‘léninisme’ journalistique, c’est cette conception qu’une minorité pense et agit à la place de masses, car celles-ci sont incapables de se faire une opinion par elle-mêmes, sur la base des faits. Elle est partagée malheureusement par une partie non négligeable des journalistes, aux origines sociales et scolaires très homogènes, très souvent coupés du monde réel.

Peut-on donc combattre les idées d’extrême-droite en utilisant les mêmes méthodes, en particulier sur le service public ? L’affaire Thomas Legrand-Patrick Cohen (en réalité il s’agit surtout de Th. Legrand) a mis en lumière cette dérive qui, malheureusement, fait le lit du RN. Que des journalistes rencontrent les politiques/décideurs etc., c’est la base du métier. Mais quand Th. Legrand assume des propos ouvertement militants, on peine à saisir la différence avec CNews, sinon qu’il est salarié d’un service public, et de gauche. Thomas Legrand, éditorialiste engagé à Libération, ce qui est légitime, ce n’est pas la même chose que Thomas Legrand salarié de Radio France. Peut-on après cela dénoncer P. Praud et son combat politique ?

Peut-on critiquer comme le font les SDJ du service public, l’illégalité des propos volés, mais ne rien dire quand Elise Lucet en théorise le bien-fondé et en a même fait son fonds de commerce ? Peut-on d’ailleurs occulter les faits parce qu’ils sont publiés par un média d’extrême-droite ? Exactement ce que fait Trump, par exemple en dénigrant le NYT, pour oublier les faits eux-mêmes.  Cette duplicité nourrit la défiance des français vis-à-vis des journalistes. 

… et des glissements sémantiques signifiants

Sybille Veil et Delphine Ernottte de France TV, jouent ainsi aux victimes de la complosphère Bolloré-Stérin, toute critique du service public devenant d’extrême-droite, un procédé bien connu ! Le fait que les antennes de Radio France (et de France TV) soient gorgées de chroniques, d’émissions ou d’intervenants dont les principales qualités sont d’être des gourous, des militants d’association, ou plus prosaïquement des commerçants déguisés en spécialistes ? Un complot d’extrême-droite ? Le fait que la plupart des journalistes ne maîtrisent pas les notions d’ordres de grandeur, de bénéfices-risques, de différence entre causalité et corrélation, confondent souvent chiffre d’affaires et résultats, etc., est-ce un complot d’extrême-droite ? Il y a un grave problème dans les écoles de journalisme, que leur ‘universitarisation’ n’a pas corrigé.

Or, ce qui menace le service public, ce ne sont pas les médias Bolloré-Stérin, c’est la négation ou l’instrumentalisation des faits : l’existence d’une menace (d’extrême-droite) ne justifie pas tout. Pourquoi les crimes de guerre de l’armée israélienne devraient-ils faire oublier les manipulations du Hamas (bilan des victimes, photos truquées, faux journalistes etc.) et la prise d’otages ? De même, l’omniprésence médiatique du tandem G. Zucman-Th. Piketty sur le service public, qui d’ailleurs assument leur militantisme PS et/ou du NFP, doit interroger, comparée à leurs nombreux contradicteurs académiques, et pas des moindres, y compris à gauche (G. Raveaud, F. Geerolf).

Mais le plus inquiétant, c’est la sémantique utilisée par les journalistes eux-mêmes. Comment France TV ou Radio France peuvent-ils journalistiquement prendre parti en écrivant ou disant « G. Zucman démontre » « rappelle » plutôt que « estime » ? Comment France TV peut-elle publier un post sur X affirmant que le fondateur de Le Chat AI, Arthur Mensch, est pour cette taxe, ce qui est faux, et être obligé de démentir et retirer ce post ? La raison profonde, c’est que règne un climat journalistique militant, comme à CNews. La bataille idéologique se substitue à l’examen des faits. C’est le plus grand danger pour la déontologie journalistique (Cf mon billet). C’est cela le ‘léninisme’ journalistique : une avant-garde conscientisée…face à un peuple incapable de penser par lui-même. On sait où cela a mené 😒.

Du côté de la Chine, on parle plus innovation que taxation…

Le monde académique le sait : la recherche et les universités chinoises montent en puissance à une vitesse colossale. Mais il y a un autre aspect de cette progression qui doit nous interpeller, à savoir leur lien avec l’innovation, en l’occurrence tirée par la hausse des budgets militaires. Face aux menaces sur la sécurité de notre pays et de l’Europe, face au duo Trump-Poutine, il a été décidé en France d’augmenter de façon importante le budget des armées. Je l’avais déjà écrit il y a quelques mois : face aux vaches maigres budgétaires de la recherche, il y a peut-être une opportunité. En tout cas, la Chine l’a compris, au moment où Trump déstabilise la recherche américaine.

Un article du Wall Street Journal, entre autres, pointe ainsi le rôle clé des universités chinoises dans la course aux technologies militaires. L’université Jiao Tong de Shanghai a remporté au moins 14 contrats publics avec l’Armée populaire de libération (APL) depuis 2023. Traditionnellement éloignées de la défense, les universités chinoises sont désormais intégrées dans une chaîne d’innovation militaire, comblant les lacunes technologiques de l’armée chinoise. Selon le WSJ, les analystes soulignent que la Chine, en s’appuyant sur ses universités, accélère sa modernisation militaire de manière plus rapide et plus diversifiée que ses rivaux. Leur intégration dans l’effort de défense illustre une nouvelle ère : la guerre technologique ne se gagne plus seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans les laboratoires universitaires.

Pas facile dans un pays comme la France dont une partie (la plus bruyante) de la communauté universitaire penche pour Poutine… Pendant ce temps, on débat de taxes mais pas du rapport Draghi-Tirole.

On essaie de ne pas rire jaune. A Lyon : quand ça veut pas, ça veut pas…

La capitale des Gaules est-elle condamnée à rester engluée dans des querelles de banquet dignes de celles d’Astérix ? Alors que le site toulousain semble au moins tenter quelque chose pour sortir de l’ornière, avec la signature officielle d’une convention d’entente entre l’université de Toulouse et les 7 ONR présents sur le site, Lyon continue de s’enfoncer lentement mais sûrement. On apprend ainsi, nouvel épisode du feuilleton lyonnais de l’ESR, qu’en difficultés financières, l’IRT Bioaster (microbiologie et maladies infectieuses pour les applications en R&D) doit liquider toutes ses activités d’ici à mi-octobre. Après les 120 M€ d’investissements publics ! Décidément, la scoumoune. 

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