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Les annonces du Premier ministre sur la stratégie pour rendre la France de l’ESR plus attractive mettent en avant la hausse des frais d’inscription pour les étrangers non-communautaires. Si cette hausse était réclamée depuis longtemps par les responsables d’établissements, elle pourrait se révéler à double tranchant. La qualité de service sera-t-elle au rendez-vous ? Et le gouvernement ne commet-il pas une erreur en fixant à 3770 € le coût de l’inscription en doctorat ? Les leviers de l’attractivité de l’ESR sont-ils vraiment là où le gouvernement les place ?

Mettons de côté (j’y reviendrai bientôt) la question des droits d’inscription pour les étudiants français. Quand Édouard Philippe juge « absurde et injuste » qu’un étudiant extracommunautaire fortuné paie le même prix qu’un étudiant français peu fortuné « dont les parents travaillent et paient des impôts en France », l’argument paraît recevable. Ils acquitteront donc respectivement 2 770 € en L et 3 770 € en M et D, soit, selon le MESRI, environ un tiers du coût réel de ces formations.

Si l’on considère que l’ESR est un investissement pour notre pays, la voie est cependant étroite entre l’attraction…et la répulsion.

Les termes du problème. Rappelons les chiffres : en 2005, la France accueillait 9,3 % des étudiants mobiles, chiffre tombé à 7,6% en 2010 et 6,7 % en 2015 (- 2,6 points en 10 ans). Conclusion de Campus France en avril 2018 : “avec une progression 2,5 fois moins rapide sur la même période (+8,7%), la France perd progressivement des parts sur le marché mondial de la mobilité.” De plus, la croissance se fait hors universités : elles n’attirent plus que 71% des étudiants étrangers en France (contre 76,2 % en 2011).

Et sur le doctorat, la France va bientôt ne plus jouer en ligue des Champions. En un mot, derrière les coups de clairon sur la France 4è destination mondiale, les indicateurs sont mauvais.

L’objectif. Celui fixé par le Premier ministre dans ce contexte est ambitieux : attirer 500 000 étudiants internationaux à l’horizon 2027, contre 324 000 aujourd’hui. L’idée est donc, en augmentant les frais d’inscription, d’affecter des ressources nouvelles aux universités pour « mener une politique d’attractivité ambitieuse, au niveau de l’accueil et de l’accompagnement de ces publics » en développant des cours de français langue étrangère (FLE) et des cursus en anglais, que le gouvernement espère voir doubler.

2 paris

Où ira l’argent ? Une fois de plus l’ESR français va buter sur la mise en œuvre : les établissements censés être autonomes ne sont jamais sûrs de voir la couleur de l’argent (ah la compensation des exonérations de bourses !). Enfin, les universités et écoles françaises « autonomes » distribueront 6 000 bourses, sous la forme d’aide financière ou d’exonération, mais 15 000 (+ 7000) continueront d’être attribuées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en priorité en direction des pays du Maghreb et d’Afrique. Il est vrai que les étudiants africains pourraient être les premiers perdants de ce changement.

La qualité du service. La comparaison avec les pays ayant des droits élevés mérite que l’on s’y arrête. Car dans tous les cas, la qualité du service offert est peu comparable à ce que la France propose. Même si sur les visas et les formalités de remarquables initiatives ont été mises en place, par exemple les nombreux « Student welcome desk ». Les efforts sur le logement se poursuivent.

Mais c’est sur la pédagogie que la France accuse un retard important (l’évaluation des enseignements n’est toujours pas la règle !) : pour preuve les efforts du MESRI pour la valoriser dans la carrière des enseignants-chercheurs ?… Concernant les cours en anglais, il reste aussi beaucoup de chemin à parcourir, et pas seulement en L.

Et puis, ce que l’on apprend des campus à l’étranger, c’est la notion de rapport qualité-prix : équipements sportifs, culturels etc.. Sans parler bien sûr de la qualité du service-client rendu par l’administration (accessibilité, gestion des emplois du temps, heures d’ouverture, échanges électroniques entre autres).

Pour avoir vu des étudiants chinois errer à Saclay, ce n’est pas gagné… Vont-ils payer pour ne pas avoir d’infrastructures (transports, animation) dignes de ce nom ?

Il y a en effet 2 visions possibles : ces mesures vont jouer un rôle d’accélérateur dans la prise de conscience de l’importance de l’étudiant. Ou bien les établissements seront dans l’incapacité d’en donner « pour leur argent » à des étudiants évidemment exigeants !

Dans tous les cas, la transition risque d’être complexe : on voit mal la qualité s’améliorer d’un coup. Or l’image de la France, à l’ère des réseaux sociaux, ne se jouera pas sur ses pépites mais sur l’ensemble de sa prestation.

Le doctorat, toujours pas une priorité

Mais le véritable symbole de l’attractivité de l’ESR n’est pas tant la quantité d’étudiants que leur qualité. Ce qui l’atteste en premier lieu (même si ce n’est pas exclusif), c’est le doctorat. Or les chiffres sont mauvais : moins de doctorants, moins de doctorats délivrés et surtout moins de doctorants étrangers !

Si les étudiants étrangers viennent moins en France, c’est en raison de la concurrence scientifique exacerbée : on peut donc s’interroger sur la pertinence d’une mesure consistant à porter à 3 770 € les frais d’inscription !

Imagine-t-on résoudre la question de l’attractivité, face aux USA, au Canada, mais aussi aux pays émergents, sans parler de la Suisse, en prenant le risque d’une fuite des cerveaux ? Un doctorant ne se dit pas, je vais étudier aux USA parce que c’est cher, donc c’est bien ! Il y va parce qu’il y a des équipes, des infrastructures, et des objectifs scientifiques.

Le contexte d’attractivité de l’ESR, quel que soit le pays, c’est avant tout la qualité de son enseignement et de sa recherche, qu’incarnent ses enseignants-chercheurs et ses chercheurs. Or, et les signaux faibles se multiplient et risquent de devenir des signaux forts : les entrées de carrières faméliques (MdC, CR) et la difficulté croissante de rivaliser avec les autres pays sur les rémunérations semblent être le véritable risque. Ou plutôt le principal levier (ou pas) d’attractivité.

Point d’enseignement et de recherche de haut niveau, pas d’attractivité durable !

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