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Mon article sur les recteurs délégués à l’ESRI m’a valu de nombreuses réactions, dont l’une, publique, mérite que l’on s’y arrête. Jean-Michel Jolion pose une bonne question mais je ne partage pas la réponse qu’il apporte. Ne s’‘agit-il pas d’une mission impossible ? C’est l’occasion de revenir sur le rôle des régions au moment où le CNRS signe un premier « protocole de coopération » avec la Nouvelle-Aquitaine. Sans le recteur. 

Précisions d’abord que mon billet partait d’un constat : comme beaucoup de monde, je me suis étonné du brouillage complet du message de la ministre devant les présidents d’université. Annoncer un acte II de l’autonomie et la mise en place de recteurs délégués à l’ESRI est difficilement compréhensible. Mais pourquoi pas… Encore aurait-il fallu l’expliciter, faire de la pédagogie.

On peut quand même s’interroger sur la raison qui pousse les pays (démocratiques) les plus performants en matière d’ESR à ne pas avoir créer cette tutelle sur leurs universités (recteur et vice-chancelier) : sans doute la supériorité du génie français ? ? Il est vrai que les pays à régime autoritaire, la Chine par exemple, ont par contre des résultats indéniables à partir d’un système ultra-centralisé…

Déconcentration ou autonomie ?

Le fond du problème n’est-il pas que l’on traite les universités comme des services déconcentrés et non comme des entités autonomes, ce que sont leurs homologues européennes ? Ce choix divise d’ailleurs les chefs d’établissements eux-mêmes, et ce depuis la loi d’orientation de 1968.

Car si l’on admet, comme le discours officiel l’indique, que les universités doivent être autonomes, gérer leur patrimoine, gérer leurs ressources humaines, leur offre de formation, leur recherche etc., ce fonctionnement les éloigne d’une direction déconcentrée d’un ministère (Dirrecte par exemple).

Établissements publics, ils ont plus à voir avec leurs homologues, par exemple, de la sphère culturelle : si la nomination du président de l’Opéra de Paris occupe les dirigeants de l’État à tous les niveaux, la programmation, l’organisation ou encore le dialogue social (complexe !) et la gestion de la convention collective relèvent du dirigeant et de son CA.

Il est en tout cas surprenant d’annoncer cette mesure (déjà dans les tuyaux certes !) au moment où est également annoncé un tournant sur l’évaluation et la politique contractuelle, afin, si j’ai bien compris, de responsabiliser et renforcer les universités.

Si l’on contracte, si l’on évalue, si l’on certifie les comptes d’un côté, et si de l’autre, le même processus est enclenché par les universités avec les organismes de recherche, avec les collectivités, a-t-on besoin, en plus du recteur, d’un recteur délégué ? Lorsque les Préfets ont des préfets délégués (police par exemple), il ne s’agit pas de gérer des opérateurs autonomes…

Le véritable problème : la confiance

J’entends bien les arguments de Jean-Michel Jolion et techniquement ils se justifient sans doute. Que les services de l’État aient vocation à être renforcés, que la coordination soit mieux assurée, certes : mais faut-il pour cela un recteur délégué à l’ESRI ?

Revenons donc sur ce véritable mal français : à force de créer de la complexité, des structures et des échelons dans tous les sens, l’État est contraint de délivrer un seul message : il faut se coordonner. Et donc on crée encore des structures et des échelons pour coordonner ? !

Et pendant ce temps, l’évaluation des personnes, des formations, des laboratoires et établissements est trop souvent bureaucratique, peu efficace et illisible.

L’histoire française de l’ESR est évidemment marquée par 2 choses : d’un côté, la réplique du jacobinisme et de l’État centralisateur, de l’autre la faible confiance dans les universités, à qui l’on préfère les organismes et les grandes écoles.

Mon analyse, évidemment très subjective, mais étayée par un peu d’expérience, est que l’immense millefeuille de l’ESR n’a qu’une raison : la méfiance vis-à-vis des universités et de leur capacité à mener une politique autonome. Sur chaque question, on a créé une structure censée mieux faire qu’une université, ou tout du moins servant à la contourner/la contrôler.

Si l’on examine les universités étrangères comparables, où a-t-on vu, sans parler d’un recteur délégué, une multitude de structures et entités diverses à côté ? Non, l’université est le centre du dispositif partout dans le monde.

La méfiance règne tellement que le président de la CPU Gilles Roussel faisait remarquer à juste titre que l’on interroge en permanence l’Université, son fonctionnement, ses missions, sa gouvernance, mais que ce n’est jamais le cas pour les organismes de recherche.

Les errements ou difficultés de certaines universités servent à tout le monde de prétexte : cela peut-il servir de stratégie aux pouvoirs publics ?

Faut-il un « tiers facilitateur » ?

Puisque le débat autour du recteur délégué à l’ESRI est là, essayons de le poser autrement.

En 1974, René Rémond pour la CPU et Jean-Pierre Soisson, ministre, discutaient d’une régionalisation universitaire, avec François Essig pour la Datar et Hubert Curien pour le DGRST (Source Charles Mercier, Autonomie, Autonomie). Ils tombèrent d’accord sur le principe de 7 grandes régions universitaires.

Mais le représentant du ministère, Jean-Claude Salomon, souhaitait (déjà !), que cette sorte de CPU régionale, présidée par le représentant du ministre (le recteur), attribue une partie des crédits et répartisse les moyens entre universités… Ce qui suscita l’ire d’une partie des présidents. Le projet ne verra pas le jour pour des raisons d’équilibre avec les « barons » locaux (quel choix de capitale universitaire entre Nancy et Strasbourg…).

Revenons en 2019. LaNouvelle Aquitaine a mis en place une instance de gouvernance « partagée » et totalement informelle avec tous les acteurs de l’ESR de son territoire (présidents des 6 universités, une trentaine de directeurs des écoles, les Comue, les organismes de recherche, l’État (recteur et DRRT). N’y a-t-il pas là l’esquisse d’un autre modèle possible autour de conférences régionales ?

Gérard Blanchard, VP ESR et apôtre de la région comme « tiers facilitateur », souligne que l’objectif est de « co-élaborer la politique régionale en prenant en compte la stratégie de l’État et, le point important, en respectant l’autonomie des universités et des écoles ». Lors du colloque de la CPU, il faisait remarquer d’ailleurs que le recteur n’y venait pas…

Organismes de recherche : des OVNI pour un recteur

Ainsi, le CNRS vient de signer, non pas avec le recteur, mais avec la Nouvelle-Aquitaine, un protocole quadriennal de coopération autour de 11 domaines scientifiques. C’est le premier mais l’organisme de recherche annonce qu’il va en conclure d’autres. Toujours sans les recteurs ?.

On imagine donc mal le CEA, l’INSERM, l’INRA, l’INRIA travailler avec ce recteur délégué. Or, la relation universités-organismes est une question-clé partout et a des conséquences en matière de formation, par exemple sur l’offre master ou encore sur le potentiel d’enseignement, et évidemment sur la valorisation.

Ajoutons les outils du PIA (Labex, equipex etc.) et les jurys, on voit mal l’espace pour cette fonction : sauf à ce que les universités perdent la maîtrise de leur stratégie. Je pourrais multiplier les exemples concrets qui vont rendre cette mission impossible.

En résumé, une région (qui met de l’argent) entend se mettre en position de tiers facilitateur. L’avantage ? Au plus près du territoire, loin de la pesanteur exclusive des tutelles ministérielles divergentes. Sans autorité hiérarchique mais avec de la coordination et du dialogue. Le risque ? la crainte d’une substitution de tutelle, vieux fantasme universitaire. Je n’ai pas enquêté pour savoir si cela fonctionne mais l’idée n’est-elle pas à creuser ?

Dernier point quant à la remarque sur la place des régions sur les STS et de l’administration centrale sur les CPGE. Je ne ferai pas l’injure à Jean-Michel Jolion de méconnaître le poids des proviseurs et des enseignants, voire la recherche de la paix sociale, dans la carte des formations. Et ça cela relève quand même du recteur… Comme quoi, pour les lycées ils ne manquent pas d’occupations !

One Response to “La mission impossible des recteurs délégués à l’ESRI”

  1. Juste un exemple pour étayer ce que peut être le bienfondé de cette réforme : le CPER. Qui doit discuter des gros investissements de l’ESRI avec les opérateurs de l’Etat et la Région ? Le préfet ? Jusqu’à maintenant, l’organisation territoriale de l’Etat a conduit à des discussions séparées entre recherche et enseignement supérieur. Est-ce normal ?
    Je n’ai rien contre les comparaisons internationales mais n’oublions pas qu’en France, les opérateurs ont avant tout une mission de service public et que nous avons encore un concept de diplôme national. On peut vouloir que l’autonomie ressemble à une indépendance mais ce n’est pas ma vision de l’ESRi à la française.
    Ceci dit, la question de la régionalisation est une vraie question.
    Et pour finir, une remarque depuis ma province, les organismes en local travaillent déjà beaucoup avec le DRRT, et demain, ils travailleront sans problème avec le recteur délégué.

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