Le monde parallèle des Conseils scientifiques du CNRS

Quelles sont les tendances de la science, ses domaines émergents ? Lisant par curiosité et intérêt, les avis des conseils scientifiques du CNRS, j’ai eu un choc ! Ils relèvent plus d’un (mauvais) tract syndical, et montrent surtout une faillite inquiétante: très peu de science, à quelques exceptions près et encore, et surtout quasiment rien sur ce qui révolutionne le monde, à savoir l’intelligence artificielle. Campés sur une énième défense de l’institution, ils n’émettent que des vœux pieux et osent une comparaison avec l’EPF de Lausanne qui est un véritable but contre son camp ! La France décroche en matière de recherche ? Les Conseils scientifiques du CNRS qui singent les syndicats y contribuent à leur manière !

Les propositions que j’ai lues des CSI et du CS répondaient à une demande d’Antoine Petit, PDG du CNRS en 2025 autour de plusieurs thématiques dont l’identification de sujets scientifiques à fort potentiel ou de niches nécessitant un investissement plus fort et pérenne du CNRS 1 . Le Conseil scientifique et les dix Conseils scientifiques d’institut ont donc rendu leurs avis. Je n’ai évidemment aucune légitimité scientifique mais leur lecture ressemble plus à une prise de position syndicale ou politique (que les syndicats ou les partis font en mieux !) qu’à une véritable réflexion scientifique. Au-delà des personnes, comment ces CS en sont-ils arrivés à « oublier » la question stratégique pour la science de l’intelligence artificielle ?

Des propositions lénifiantes

L’ensemble des documents procède à une litanie de constats et de revendications, que l’on peut partager pour certains, mais qui réduisent la réflexion scientifique (leur mission quand même !) à pas grand chose. On pourrait d’ailleurs comprendre la démarche si ces documents commençaient par une véritable prospective scientifique, justifiant pour cela la nécessité d’allouer des moyens. Car ne l’oublions pas, dans ce contexte budgétaire compliqué, savoir convaincre suppose de dire pourquoi on demande des moyens.2

Les CS du CNRS font donc du Miss France à l’ancienne : ils sont contre la guerre et pour la paix. Ils ne formulent pas vraiment de propositions à part augmenter les moyens, être contre les key labs et se contentent de vœux pieux comme « soutenir les UMR », « conforter les missions nationales du CNRS », « clarifier ce que peuvent être et ce que ne peuvent pas être les agences de programmes » et « simplifier les règles de gestion » Ouf 3!

Des conseils scientifiques sans avis ?

Jugeons sur pièces : un peu de duplicité sur l’émulation intellectuelle à ne pas confondre avec la concurrence, mais il faut quand même un peu de concurrence, un peu de démagogie sur la concentration des moyens, car il n’en faut pas mais en même temps il ne faut pas se disperser et une lucidité incroyable 🤣 sur ce que personne n’avait remarqué : « L’unité mixte de recherche (UMR) semble n’avoir pas d’équivalent à l’étranger. » Tout ça pour ça ?

Et puis il y a ce courage exceptionnel d’un conseil scientifique qui n’émet pas d’avis scientifique : il estime que« la politique scientifique du CNRS et de ses instituts devrait systématiquement s’appuyer sur des exercices de prospective scientifique renouvelés régulièrement, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans certains instituts. » Car ils permettraient « d’identifier les grandes tendances de la recherche sur le plan international, les atouts et les points plus faibles de la recherche française et les besoins en matière de grosses infrastructures de recherche. » N’est-ce pas justement ce qui leur avait été demandé 😏 ?

Un « léger » oubli : l’intelligence artificielle ignorée …

Cette vacuité se traduit dans une incroyable impasse scientifique, illustration du véritable monde parallèle dans lequel vivent les CS du CNRS. Curieusement, les médias, pourtant souvent friands des avis de ces conseils quand il s’agit de critiquer une mesure gouvernementale, ne semblent pas l’avoir relevée ! Si l’« émulation intellectuelle » ou « l’intelligence collective » sont souvent évoquées, il n’y a quasiment rien sur l’IA.

Zéro fois dans le texte du CS, zéro fois dans les CS d’Institut (ingéniérie, écologie-environnement, INSU, Chimie, biologie, INSHS), 3 fois dans celui de l’INS2I (ce qui est quand même le minimum!), 1 seule fois dans celui de INSMI, et de l’IN2P3, mais 5 fois en Physique. Et encore, les mentions de l’IA restent très souvent anecdotiques. Comme si la science n’était pas concernée…

Quant au CSI de l’INSHS, visionnaire, il fait du Pierre Dac 😀. Il explique que « si le travail de prospective peut aider à repérer des domaines émergents ou mis en danger par des recrutements insuffisants, il ne peut cependant en aucun cas prévoir où se feront les prochaines découvertes et avancées majeures, que ce soit dans le domaine des sciences humaines et sociales ou dans ceux des autres sciences. » Certes, mais il n’a jamais entendu parlé de l’IA visiblement et d’ailleurs ne mentionne pas cette thématique pour laquelle les SHS, c’est bien connu, ne sont absolument pas concernées…

Disons-le franchement : sans être scientifique (un parlementaire, un fonctionnaire de Bercy par exemple ?), ne peut-on être atterré (et inquiet) de leur production ? Pire, le CS du CNRS donne des arguments aux détracteurs de l’organisme et notamment à celles et ceux qui voudraient tailler dans ses budgets ou encore celles et ceux qui pointent le problème que constitue le fait de ne pas enseigner, ou à la marge (voir l’encadré ci-joint).

Conseillers scientifiques ou syndicalistes ?

Au fond, ce que révèle la production navrante des Conseils scientifiques du CNRS n’est-elle pas liée à leur mode de désignation et de fonctionnement ? Car même si le fait d’élire des membres d’un conseil scientifique sur des bases très souvent syndicales est profondément discutable, le plus inquiétant est le manque de légitimité de ses représentants, y compris sur leur terrain privilégié. Les scientifiques ne semblent pas s’y investir vraiment, laissant le champ libre aux plus motivés, souvent militants. Et le peu de scientifiques non militants semble paralysé.

Les résultats des élections de 2023 aux CSI sont assez symboliques : une participation entre 9 % et 36 % au maximum selon les instituts et collèges, avec parfois un seul candidat… Et c’est le même phénomène pour les élections de 2025 au Comité national. Vous ajoutez les résultats des élections au CA du CNRS, pour lesquelles la participation est considérablement en baisse à 25,38 % soit 7 079 votants (contre 32,88 % en 2021 soit 8 726 votants). Les résultats de ces 3 élections devraient interroger. On notera que globalement les personnels se mobilisent donc beaucoup plus pour les élections aux CA des universités : élections locales contre élections nationales ?

Au lieu de faire l’autruche et de crier victoire, les syndicats (le communiqué de victoire du SNCS-FSU et du Snesup-FSU rappelle les grandes heures du syndicalisme soviétique !) pourraient utilement réfléchir à cette question. Car à force de mélanger légitime combat syndical et pseudo cogestion, plus personne ne s’y retrouve. Il n’aura échappé à personne dans l’ESR, que ce ne sont pas les instances qui manquent pour défendre les intérêts des personnels, au risque d’ailleurs d’une confusion. En quoi le syndicalisme et le militantisme politique seraient-ils pénalisés de laisser la science dans la sphère scientfique ?

  1. « Dans les domaines où il est insuffisamment présent au regard des évolutions internationales, pour l’identification des communautés scientifiques (UMR, GDR, Réseaux) qui doivent recevoir une attention particulière pour animer, coordonner et valoriser des actions stratégiques, l’organisation des Unités de recherche (UMR et UAR) ». ↩︎
  2. En analysant par exemple les chiffres officiels 2024 qui indiquent que l’emploi total de R&D des 20 principaux organismes publics de recherche est « en croissance de 2,7 % sur un an, après une hausse moyenne annuelle de + 1,5 % entre 2019 et 2023 », avec évidemment les contractuels, ce qui mérite un vrai débat. ↩︎
  3. Le CS reprend la même approche bureaucratique que celle qu’il dénonce chez les pouvoirs publics : « Engager une réflexion avec l’ensemble des parties prenantes sur l’opportunité de créer de nouveaux instituts nationaux de recherche »,  notant cependant que « les membres du conseil scientifique sont partagés sur le bien-fondé de cette proposition. »  Toujours pas de science, mais de la structure. ↩︎

Laisser un commentaire