Suite au magazine Envoyé spécial sur le glyphosate, j’ai consacré un billet à cette tendance inquiétante chez les journalistes qui confondent militantisme et faits. Le hasard a fait que quelques jours après cette émission qui a suscité une vague de réprobation dans la communauté scientifique, l’université Paris Descartes tenait un colloque sur la question des fake news, à partir d’un numéro des « cahiers de l’université Paris Descartes » consacré à cette question. Un thème qui s’applique à la science … mais aussi au fonctionnement du système universitaire !
Un colloque avec des chercheurs, des journalistes mais aussi des étudiants : l’université Paris Descartes s’engage sur et contre les fake news avec la publication d’un excellent « cahier de l’université Paris Descartes » : tout y est pour celles et ceux qui cherchent des méthodes et des arguments, au-delà de l’objet même du cahier, les « fake sciences ».
Car en écoutant les interventions lors de ce colloque, en lisant ce cahier, j’ai repensé à toutes ces informations fausses que je vois véhiculées sur l’ESR. A un étudiant en médecine qui parlait des bienfaits des « médecines traditionnelles », Alain Fischer professeur au Collège de France a répondu avec pédagogie et rigueur des bienfaits des molécules. L’étudiant par nature apprend.
Mais comment et pourquoi des gens y compris formés et éduqués diffusent-ils des fake news ? Car ce débat dépasse évidemment largement la science et fait réfléchir à ce que je constate tous les jours notamment sur les réseaux sociaux : des chercheurs, des journalistes, promeuvent sans problème des informations fausses, parfois de nature complotiste (le fameux mort de Tolbiac !).
Pour le sociologue Gérald Bronner (université Paris-Diderot), le mécanisme qui l’emporte est celui de la confusion, volontaire ou non, entre vraisemblable et vrai. Cela ne s’applique-t-il pas à la fois au traitement de l’information par de trop nombreux journalistes et à l’analyse exclusivement militante que partagent beaucoup d’universitaires ?
Il opère une distinction entre rationalité objective et rationalité subjective. Si la rationalité objective relève de la démarche scientifique et « se base sur la construction du savoir par la preuve », la rationalité subjective est du ressort de la croyance. Mais ces croyances ont leur logique propre et « ne relèvent aucunement d’une démarche irrationnelle. » Car évidemment, chaque individu a ses raisons de croire !
Les biais de perception
Au-delà des explications du développement vertigineux des « fake news » avec l’importance prise par les réseaux sociaux, Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences de l’éducation à l’université Paris-Descartes, attire l’attention sur…notre paresse intellectuelle. Et cela concerne autant les chercheurs que le reste de la population ? !
Biais de croyance, biais de présentation, automatismes de pensée, sociologues, aucun de nous n’y échappe. Mais psychologues, neuroscientifiques disposent désormais d’outils d’analyse performants pour en comprendre les mécanismes.
Et bien, je dois le dire, sur le fonctionnement du système ESR (je sais, je vais me faire de nouveaux amis), la paresse intellectuelle semble souvent régner ! La vision d’une partie de la communauté ESR mérite en effet d’être interrogée : en consultant les archives, on s’aperçoit que depuis plus de 40 ans, les mots (par exemple) de destruction, privatisation, augmentation des inégalités dans l’enseignement supérieur sont partagés, alors que la réalité ne les étaye pas voire les dément.
Theodore Alexopoulos, chercheur à l’institut de psychologie de l’Université Paris Descartes, relève que « notre tendance à répercuter une fausse information est aussi une manière de nous rassurer. Catastrophes naturelles, attentats, vaccins… La plupart des fausses nouvelles évoquent une forme de menace. Se regrouper au sein de clans qui pensent de la même manière revient à créer des communautés, donc à se sentir plus fort face à ces menaces. »
Et l’on sait que la première information a un effet d’ancrage : vraie ou fausse, c’est elle qui reste (à méditer pour les universités qui au printemps dernier ont laissé le champ libre aux fausses informations sur Parcoursup !).
De même, le simple fait d’être exposé de manière répétée à une même information « augmente la probabilité de lui accorder du crédit, y compris lorsqu’on n’y croit pas du tout à première vue. » Et la force du système de croyance qu’on se forge au sein d’un groupe est telle et « les faits qu’on y a intégrés sont si importants que réaliser qu’ils sont faux peut causer une douleur insupportable, d’où le réflexe de tout mettre en place pour les protéger. »
Comment ne pas subir ?
Je laisserai à Frédéric Dardel la conclusion en citant son éditorial : « La défiance vis-à-vis de l’expertise scientifique s’appuie aussi sur des nouveaux mécanismes : des groupes d’influence envahissent les médias et un flux continu de contre-informations déferle sur les réseaux sociaux. Des experts auto-proclamés, des sites web activistes diffusent des messages opposés au consensus des scientifiques. Ils dénigrent ces derniers, souvent qualifiés au choix de “vendus au lobby BigPharma/agro-alimentaire/industrie chimique… ». Il est vrai que quelques affaires de fraude dans le monde scientifique ont pu alimenter la suspicion, sans pour autant qu’elles soient représentatives des pratiques de notre communauté. »
C’est curieux comme ces constats ont de multiples applications ! Et comme le relevait Alain Fischer, professeur au Collège de France, le questionnement majeur reste comment agir : il citait l’exemple des vaccins pour lesquels une parole forte des pouvoirs publics, un travail en direction des médecins eux-mêmes (mal informés) et des journalistes, commence à produire des effets.
Être les premiers, proactifs, une piste pour les acteurs de l’ESR ! Et l’initiative de Paris-Descartes mériterait d’avoir une descendance.
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