C’était un secret de polichinelle : Frédérique Vidal a annoncé dans le JDD l’exonération des doctorants étrangers. Ce plan « Bienvenue en France n’en finit pas de susciter des commentaires, contre-commentaires, polémiques etc. Tout le monde a son avis. Mais peut-on s’interroger quelques minutes sur l’accueil des étudiants étrangers et des comportements culturellement marqués par le repli ?
Dans le microcosme, chacun sait que de nombreuses universités, ou plus exactement de nombreux universitaires, ont développé au fil du temps des filières payantes, sans que personne ne s’en offusque. Des établissements ont fait du chiffre, pensant ainsi enrayer la baisse tendancielle de leurs effectifs. Et chacun sait (je peux témoigner !) que de nombreux responsables, aujourd’hui vent debout contre les mesures annoncées, les prônaient en privé.
Mais passons, cette hypocrisie est un classique du milieu académique. Essayons plutôt de privilégier les débats rationnels à ces débats passionnels ou de circonstance. De ce point de vue, la note que Terra Nova vient de publier mérite que l’on s’y arrête : elle développe des arguments intéressants sur la stratégie internationale de la France, et des propositions assez concrètes.
Mais on ne peut une fois de plus réduire ces polémiques à une question de moyens : des changements de comportement sont indispensables pour accueillir convenablement les étudiants étrangers.
Une culture de l’accueil faible
Comme avec ces garçons de café parisiens qui passent 10 fois devant vous sans vous regarder, aimables comme des portes de prison, les étudiants étrangers ont souvent l’impression d’être tenus pour quantité négligeable. Cela renvoie à mon sens à ce rêve inconscient du café sans clients, et d’une université sans étudiants.
Car comme les garçons des cafés parisiens avec ses clients, le milieu universitaire a une propension à ne voir en l’étudiant qu’une ressource « scolaire ». Le mentorat, le suivi (je ne parle même pas de l’évaluation inexistante des enseignements et qui déstabilise de nombreux étudiants étrangers) sont des exceptions. Faut-il rappeler que l’accueil systématique à la rentrée des étudiants (français et internationaux) est de tradition récente ?
Cela suppose à n’en pas douter des moyens et un renforcement des services d’accueil : mais le contact le plus durable, c’est celui de l’enseignant, celui qui peut capter un malaise, aider. J’ai vu des étudiants américains ou chinois, qui avaient des moyens au-dessus de la moyenne des étudiants français, mal traités, pas accompagnés, voire abandonnés. Plus que leurs camarades français, ils ont besoin de bienveillance et d’attention.
Une vision franco-française
Plusieurs chefs d’établissements « prestigieux » m’ont confié leur honte devant certains comportements de leurs collègues, y compris avec des professeurs invités. Car évacuons un faux débat : la question n’est pas que matérielle (logement, ressources financières, services d’accueil). Les universitaires et personnels impliqués positivement enragent face à des comportements qui ne contribuent pas à l’attractivité dont tout le monde se réclame.
Je vais à ce sujet citer une anecdote révélatrice : depuis des années, j’assiste à des manifestations institutionnelles (je ne parle pas de colloques scientifiques) dans lesquelles on invite des étrangers. Et je peux témoigner que dans 9 cas sur 10, ces invités, une fois leur intervention faite, sont livrés à eux-mêmes, voire laissés de côté, déjeunant seuls dans leur coin, comme si les questions franco-françaises primaient avant tout.
A chaque fois un sentiment de gêne m’envahit. Ça a été le cas lors des comptes-rendus que me faisaient les journalistes d’AEF sur la faible présence française dans les manifestations internationales, à Londres, à Vienne, à Berlin et bien sûr à Bruxelles… Jean-Marc Rapp, président du jury Idex, s’en est encore ému publiquement récemment !
L’amélioration de l’accueil n’est donc pas réductible à un débat sur les moyens mais relève aussi et parfois surtout de changements radicaux dans les comportements et la sociabilité universitaires. Fort heureusement, des initiatives remarquables existent, tant pour les étudiants que pour les chercheurs étrangers : je pense au « Students Welcome Desk » à l’université de Lyon, un dispositif qui existe également dans de nombreux sites.
On a donc, au-delà des discours grandiloquents des uns et des autres un léger problème… Il faut espérer que ces vifs débats sur la nécessité d’accueillir mieux les étudiants étrangers ait un effet « prise de conscience » : l’accueil ne s’arrête pas à la fin du cours.
Étudiants africains, bourses et cours en anglais
Dès l’annonce du Plan Bienvenue en France, j’ai souligné l’absurdité de la mesure sur les doctorants. Que le gouvernement se soit complètement « planté » sur cette question n’exonère pas d’un examen rationnel.
Listons quelques unes des questions soulevées autour des frais d’inscription pour les étudiants étrangers.
Les mesures d’augmentation annoncées auront-elles un effet d’éviction ? L’agence CampusFrance communique régulièrement des chiffres et se veut rassurante : en 1ère année de licence, il y aurait au 21 février 2019 une baisse de 2,4 %,contre -10% début février. Ce qui semble se dessiner ne serait pas un « choc » d’inscriptions à la baisse. Mais comme pour Parcoursup, il vaut mieux rester prudent sur les chiffres, dans un sens ou un autre.
A cette inconnue des chiffres, il faut rappeler comme Terra Nova … que le premier critère d’admission est académique.
Le cas des étudiants africains. Les premiers chiffrent laissent entrevoir une baisse plus forte pour ces étudiants, le plus gros contingent en France. C’est d’ailleurs sur ce sujet qu’une grande partie des critiques s’est focalisée, allant même à des accusations délirantes de racisme contre la ministre.
De nombreuses réactions, à propos de l’Afrique et des étudiants africains, ont au contraire, selon moi, exhalé des relents inconscients de colonialisme, en tout cas de ce misérabilisme dont les nouvelles dames patronnesses du Quartier Latin sont friandes. C’est en effet un classique en France de nier l’émergence d’une classe moyenne sur le continent africain, surtout pour une frange d’intellectuels auto-proclamés progressistes qui a toujours besoin d’avoir ses bons sauvages.
Lisons plutôt l’analyse de Fabien Chareix, attaché de coopération universitaire en Chine, publiée fin décembre 2008. Dans cette analyse passionnante sur l’Afrique, il pose une question à mon avis cruciale : « affirmer qu’un étudiant qui décide d’étudier en mobilité hors de chez lui, parce qu’il est de telle ou telle région du monde, n’a pas les moyens de financer tout ou partie de ses études est au mieux le signe d’un paternalisme à peine voilé, au pire, une prise de position idéologique qui ne résiste pas aux faits, et certainement pas aux données de la mobilité internationale africaine depuis plusieurs années. »
La question des bourses. C’est évidemment une question décisive pour une partie des étudiants étrangers, notamment africains, qui désirent venir. C’est aussi une non question pour une autre partie qui dispose de moyens et hésite entre notre pays et d’autres.
Mais comme toujours en France, cette question n’est jamais abordée par le bon bout : on préfère débattre sur le nombre de bourses (qui ont d’ailleurs diminué) plutôt que sur les montants (sont-elles suffisantes pour vivre ?) ou sur leurs conditions d’attribution (est-ce l’établissement ?). Car si des étudiants ont besoin d’une bourse qui couvre la réalité des frais de leur séjour, ce sont bien les étudiants internationaux.
La faiblesse du nombre de cours en anglais. C’est sans doute là le point le plus négatif des dispositifs d’attractivité en France : faut-il rappeler ces combats d’arrière-garde en 2013 sur les cours en français à l’occasion de la loi « Fioraso » ? Certes, en master et évidemment en doctorat, les choses ont changé. mais tout un pan de la recherche et de l’enseignement souffre de lacunes.
La faiblesse incroyable des SHS français dans les candidatures aux appels à projets européens (et donc dans leur réussite !) a une explication essentielle : les chercheurs français en SHS, surtout dans certaines disciplines, ne parlent pas anglais et publient évidemment encore moins en anglais.
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