Lascifs, paresseux, ignorants, absents, envieux, fats et complaisants : tel est le portrait de ses semblables fait en 1991 par Bernard Maris, maître de conférences, et qui n’était pas encore l’Oncle Bernard de Charlie Hebdo, assassiné le 7 janvier 2015. Le procès de la tuerie de Charlie Hebdo m’a remis en mémoire son livre que j’avais parcouru distraitement dans les années 2000. Sa relecture est revigorante, hilarante et souvent tellement actuelle ! Alors embarquez avec moi, en faisant preuve d’un peu de second degré : toute ressemblance avec des personnes ou des comportements rencontrés dans la vie universitaire n’est pas fortuite.
Dans son pamphlet « les Sept péchés capitaux des universitaires », avec une verve exceptionnelle, « Oncle Bernard » croquait donc les travers de ses collègues (et de lui-même) au sein notamment des universités de la Ville rose et de son université Toulouse 1 et des disciplines à agrégation, droit et économie. La charge est virulente contre le monde universitaire de 1991. Évidemment, beaucoup de choses ont positivement évolué depuis. Mais pas toutes 😀.
Comme toute caricature, cette dernière grossit le trait, modifie, malmène mais fait surtout rire ! Derrière le talent du pamphlétaire (et de l’érudit) percent en effet quelques vérités sur le monde académique 1Selon un de ces anciens collègues interviewé par la Dépêche du Midi, « Bernard n’était pas quelqu’un fait pour être directeur d’un laboratoire de recherche. Les choses institutionnelles, l’administration, ce n’était pas son truc. ».
Lascifs, paresseux, ignorants, absents, envieux, fats et complaisants : les universitaires de 2020 sont-ils différents ? En tout cas, cette relecture est un régal par l’usage immodéré des mots pour décrire les maux universitaires (intertitres et mots-clés sont de ma responsabilité, de même que le regroupement des citations).
Ma sélection de ses « bons mots » est donc éminemment subjective car je peux, moi aussi, y mettre des personnages rencontrés dans la vraie vie universitaire … d’aujourd’hui ! Citations ne valant pas approbation 🤣, voici quelques morceaux choisis, sachant que le livre est toujours disponible 2Les Sept Péchés capitaux des universitaires de Bernard Maris chez Albin Michel..
Qui aime bien châtie bien !
L’indépendance des enseignants-chercheurs
Planque. L’Université est un des derniers lieu béni du monde où il est impossible de savoir qui fait quoi, où l’on peut se planquer et planter ce qu’on fait ou plutôt ne fait pas. Du moins ce qui concerne la Vieille [l’université], car on finit bien par repérer les prestations télévisées de ceux qui ne sont jamais à l’université.
Immense est le talent universitaire pour demeurer inconnu. On ne sait jamais qui fait quoi ni où.
Argent. Aucune discipline n’échappe à la contamination commerciale. Les chimistes fricotent dans la recherche appliquée, les informaticiens vendent des octets, les économètres des programmes de placement boursier, les psychologues ouvrent des centres de formation, les historiens s’encanaillent avec des cabinets de généalogie. Médecins et avocats, les seigneurs, agrandissent leur clientèle.
Intérêt du métier. Le seul intérêt du métier, c’est de ne pas le faire. On ne voit pas pourquoi on le ferait, en plus pour de l’argent, et en plus quand on sait que l’argent est ailleurs.
La recherche
Epistémologie. Comment ne pas voir que ces clameurs incessantes à la recherche sont celles du libertin hurlant à la morale et du défroqué à la foi ? Mieux vaut pas de recherche que des articles stupides. La recherche n’est pas obligatoire. La recherche est libre.
La recherche est évidemment une activité infiniment plus valorisante que celle – par exemple – d’aider des jeunes gens acquérir un travail. Et chacun d’y aller de son petit ‘laboratoire’ (ça fait plus scientifique centre ou institut) la bouche pleine de science, alors que son labo n’a de savant que ce que peut avoir une ‘société savante’ (…). Toute société savante se fait un devoir d’éditer son Bulletin des amis du canal du Midi et ses réflexions sur les méandres du canal.
Synthèse. L’universitaire moyen compile les bibliothèques, et comme celle-ci sont de plus en plus grandes, il compile les abstracts, les surveys, les résumés, et les résumés des résumés auquel il a directement accès par les terminaux, en attendant que des logiciels de synthèse fassent pour lui la synthèse.
La thèse. La thèse est une affection mentale. Qui survit à une thèse universitaire française est frappé. A vie. Il a tellement lu de thèses pour sa thèse qui résumait des thèses qu’il est au pli, conforme, définitivement.
CNRS. Les chercheurs à plein temps CNRS sont plus difficiles à coincer que les chercheurs à mi-temps, les profs, que l’on retrouve au moins à l’oral. Pour retrouver trace d’un directeur de recherche en mécanique, on cesse de lui verser son traitement.
SHS, taylorisation et consanguinité. La fantastique taylorisation de ces sciences a permis à chacun de clôturer son petit jardin à salade, qu’il consomme en famille de la naissance à la retraite. Ce taylorisme est inséparable de la consanguinité.
L’enseignement et la formation
Enseignement à distance. Récemment certaines universités introduisirent les circuits télé puis les cassettes préenregistrés qui permettaient de gratter au son de la voix doctorale. Les étudiants ne constatant aucune différence avec la présence physique du docteur, l’expérience fut interrompue, démontrant troupes à l’évidence l’inutilité des cours. « Rien ne remplace la présence physique des enseignants », glapirent-ils ! Tu parles ! Tout montrait qu’il revenait parfaitement au même que le perroquet soit vivant ou filmé. Il pérorait toujours.
Il est évident qu’une télé bien réglée ferait aussi bien qu’un prof mal réveillé. Mais la télé atténuerait le faste, l’emphase le ton pédant, mâle, supérieur précisément, l’exhibitionnisme des attributs de la connaissance, la suffisance savante et tous les signes extérieurs de richesse du théâtre universitaire.
Écoles de commerce. Plus d’un demi-siècle après la naissance des écoles de commerce, les économistes n’avait évidemment jamais entendu parler de gestion. Ce n’est qu’aujourd’hui que les universités commencent à les copier.
Rapport enseignants-étudiants. Tant qu’à aller au bagne, autant avoir des cellules et des gardiens : épisodiquement les étudiants réclament des locaux et des professeurs. Et de la présence. La peur de l’étudiant : une des raisons de l’absentéisme professoral. Comme la recherche donne, dit-on, la surqualification pour l’enseignement, plus on cherche moins on enseigne, évidemment dans le but de mieux enseigner. La récompense suprême de l’enseignant du supérieur, c’est de ne pas enseigner.
Secondaire et supérieur. Les déserteurs du secondaire, pressés d’aller roupiller dans le supérieur, découvrent émerveillés que celui-ci est désert. Où sont-ils ? Impossible à dire. Que font-ils ? « Ils » cherchent. Les nouveaux n’en reviennent pas.
Pédagogie. Les universitaires détestent la pédagogie. Affaire d’instituteurs. La pédagogie, c’est le peuple. Laissons ça au secondaire, qui d’ailleurs le refile au primaire. Le jour où l’université s’intéresse à la pédagogie, elle est perdue. Le tollé au mot de tutorat prononcé par le pauvre ministre Savary ! Tutorat ! S’occuper des étudiants ? Et quoi encore ? Monitorat ?
Rites, tics et psychologie universitaires
Jargon. Tout est couvert, protégé, empoussiéré de citations et d’érudition. Cette manière typique de l’universitaire de ne jamais oser dire les choses en face, de toujours les faire dire par d’autres, à jets de citations …cette trouille savante…. cette pétoche de la référence (« je dis que, mais X avait dit que alors que Y disait que, ») qui fait que l’on ne dit, au fond jamais rien, que la parole universitaire est vide. L’ignorance sous le jargon.
Clarté obscure. Son projet intéresse, il peut être développé en 50 pages brillantes, soit ! Mais on lui en demande 1 000 sans éclat quoi. On ne peut être clair et toléré. Il faut être obscurément logique, rationnellement abscons, à la limite compris du seul énonciateur.
Hiérarchie. La chevalerie universitaire (suzerains , parrains, adoubements, remises de titres et d’insignes) a les allures de la chevalerie fors l’honneur. Un peu comme les truands ont le blouson et le revolver du policier moins le droit.
Démocratie universitaire. (…) Pas d’institution moins démocratique que l’université. Hiérarchie y fait loi, plus que dans l’église ou dans l’armée, où l’autorité est régalienne, injustifiée (…). A l’université, l’autorité est fondée sur le savoir. ‘Objective’, donc étouffante. L’élaboration et le commentaire de la foi par eux en fait illico des gardiens et des censeurs incontournables. Autrefois censeurs de la foi, aujourd’hui experts.
Flagornerie. Une des dernières manifestations de complaisance universitaire fut la réunion organisée par les nouveaux ministres de la cohabitation, Monory et Devaquet, pour les 28 recteurs chanceliers de l’université. 24 de ces derniers issus du pouvoir socialiste. À la stupeur des spectateurs muets, c’est un déferlement de critiques contre la loi Savary et ses malheureuses tentatives d’application, la même qui avait fait l’objet d’une flagornerie idolâtre 2 ans auparavant. Même Devaquet est navré par un tel opportunisme.
Neiges d’antan. Forme ultime de l’envie, le discours de la médiocrité. Les étudiants sont médiocres, les profs du secondaire sont médiocres, les assistants sont médiocres tout est médiocre sauf les collègues, qui sont nuls. Toujours les mauvais généraux dénigrèrent leurs troupes.
Fatuité. Et même si travail il y a dans le supérieur, il est supérieur, c’est-à-dire d’essence oisive, comme la recherche. Être inspecté est inadmissible. Recevoir des parents, guider un étudiant ne se font pas ou à regret, car ce n’est pas convenable. Fourastié disait que les premiers cours à donner à des professeurs étaient des cours d’humilité.
Communisme américain. Quiconque a travaillé dans université américaine découvre a contrario les éminentes qualités de l’université française. Elle autorise à disparaître. S’évanouir. Aux États-Unis impossible. Impossible de se planquer. Impossible de ne pas avoir un crédit si l’on propose une recherche intéressante. L’enfer collectiviste. Tous embarqués dans la galère de la recherche, à ramer dur. Le communisme du travail intellectuel. L’horreur.
Complaisance et clientélisme. La fatuité rejoint la complaisance : la constitution de réseaux, de marchés captifs, où des adorateurs louangent sans trêve des patrons et leurs clients. Les revues ne se créent que pour célébrer leur créateur. Ah mon cher collègue ! Ah comme vous avez raison ! Ah votre infinie beauté votre recherche merveilleuse. Jamais institution ne distilla tant de respect, de mièvrerie, de compliments, de condescendance, d’humilité. Et de haine.
Pourquoi la complaisance ? La conclusion de Bernard Maris est nette : l’université est le seul endroit où le valet deviendra un jour le maître.
Références
↑1 | Selon un de ces anciens collègues interviewé par la Dépêche du Midi, « Bernard n’était pas quelqu’un fait pour être directeur d’un laboratoire de recherche. Les choses institutionnelles, l’administration, ce n’était pas son truc. » |
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↑2 | Les Sept Péchés capitaux des universitaires de Bernard Maris chez Albin Michel. |
Bernard Maris avait la dent dure pour l’université française mais « Un tout petit monde » de David Lodge ou le « Litératron » du regretté Robert Escarpit avaient aussi planté le décor.
Et n’oublions pas l’affaire Sokal…
Je relève cependant que les sciences exactes sont tout de même un peu épargnées dans ces pamphlets.
J’ignorais aussi l’existence de l’ouvrage corrosif et savoureux du fort regretté Bernard Maris. L’université dans son organisation et ses missions actuelles se meurt à coup sûr. Le 18ème siècle a déjà vu la mort des universités, dominées par la théologie et ses errements. Saison 8 du blog Histoires d’universités : Histoire du 18ème siècle. https://histoiresduniversites.wordpress.com/saison-8-le-18eme-siecle/ Avec mon meilleur souvenir
Que n’ai-je eu ce chef d’œuvre de drôlerie vacharde sous le coude quand j’ai pondu mon bouquin « Universités : innover ou sombrer » ! N’étant pas universitaire je ne m’y suis risqué qu’à quelques timides critiques sur les mœurs et pratiques des universitaires . J’étais bien loin du compte… Et Maris aurait été une source de savoureuses citations 😄👍