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Le sénateur communiste P. Ouzoulias suit les traces du tandem Jospin-Allègre et propose de créer de nouvelles universités hors des métropoles. Or, non seulement la situation démographique a radicalement changé, non seulement le maillage territorial est désormais remarquable, mais cette proposition s’appuie sur une vision de l’université réduite à sa dimension enseignement. Les priorités ne sont-elles pas plutôt de conforter les universités existantes et de rationaliser (réellement) la carte des formations, notamment en STS ? N’est-ce pas le moment d’affronter le déni du réel et de réfléchir, à partir de l’existant, à de véritables et assumés collèges universitaires publics de proximité ?

Autour d’une idée généreuse (« L’université sera l’un des piliers autour duquel nous pourrons remodeler notre cohésion sociale »), le sénateur communiste Pierre Ouzoulias propose dans une tribune du Monde 1J’ai suivi les interventions de Pierre Ouzoulias depuis quelques années sur les sujets de l’ESR. Pugnace, travaillant ses dossiers, ses analyses et remarques sont respectées y compris par ses opposants. Car lui au moins ne cultive pas la démagogie populiste qui est celle de son collègue député LFI Hendrik Davi, chercheur et syndicaliste de l’Inrae, et qui affirme que 100 000 jeunes sont ‘sans facs’ … de construire de nouvelles universités hors des métropoles. Dénonçant le « néolibéralisme » et la « précarité étudiante » (figures imposées obligent 🤭), il estime que « des contre-modèles existent (…). Dès que cette possibilité leur est offerte, les étudiantes et les étudiants choisissent la proximité d’un campus à taille familiale, qui les protège de la précarité générée par la métropolisation de l’offre universitaire. Nos collectivités, elles, se réjouissent des nombreux effets bénéfiques engendrés par ces expériences. »

Une vision faussée de l’université

Ce constat est-il juste ? Non, en tout cas très partiellement, mais il a au moins le mérite d’ouvrir un débat bienvenu sur l’organisation du système. Mais le fait-il dans la bonne direction ? Si le sénateur dénonce des élites qui « maltraitent une université qu’elles ne connaissent pas, au mieux, ou qu’elles méprisent, au pire », ses propos flirtent avec les clichés sur l’université. Ou plutôt, ils illustrent malheureusement cette pensée profondément ancrée à gauche, et tellement convergente avec les élites françaises et la technostructure, selon laquelle la recherche ce sont les organismes, l’enseignement supérieur de masse étant réservé à l’université, et la sélection pour toutes les autres filières.

En effet, cette tribune fait l’impasse sur 2 éléments essentiels : ce qu’est réellement une université et le développement des filières non-universitaires. Pour lui, une université c’est en réalité seulement de l’enseignement : il propose d’en créer de nouvelles dans les villes moyennes, citant, outre l’INU Champollion d’Albi (dont il oublie d’ailleurs de mentionner qu’il est aussi présent à Castres et Rodez), l’exemple de Nevers (rattaché à l’université de Bourgogne) et « l’université de Foix » (sic), en réalité antenne de l’université Toulouse Jean-Jaurès … Or, comment mobiliser des enseignants-chercheurs sur ces sites sans « plomber » leur recherche ? Créer une université de plein exercice suppose une taille critique, pas seulement en effectifs étudiants, mais en recherche (labos, doctorants etc.).

Les antennes ont-elles accompagné la « démocratisation » de l’accès à l’enseignement supérieur ? Ou l’ont-elles permise ? La question reste ouverte, mais P. Ouzoulias et les partisans de la création de nouvelles universités font politiquement fausse route : la priorité n’est-elle pas de conforter les universités de proximité existantes alors que le maillage territorial est réel mais surtout peu organisé ?

Antennes universitaires : où sont les enseignants-chercheurs ?

Rappelons que la multiplication des antennes universitaires délocalisées et de départements d’IUT, avec en point d’orgue la création de 8 universités nouvelles et 24 IUT a émergé à partir des années 80 sous l’impulsion du tandem Jospin-Allègre. Encore faut-il différencier les universités « nouvelles » 2Soulignons d’ailleurs que parmi ces universités nouvelles, ou de petite taille, certaines restent très fragiles et peinent à garder leurs enseignants-chercheurs les plus actifs en recherche. et les antennes qui sont dédiées à une cible (les concours par exemple pour les études de santé ou les études de droit) avec une taille critique en termes d’effectifs, ou les départements d’IUT, avec un recrutement géographiquement plus large. Certaines marchent très bien, d’autres sont en difficulté.

On observera également qu’il n’existe quasiment pas de délocalisation concernant, par exemple, la psychologie ou la sociologie mais aussi l’économie, encore moins d’études littéraires en dehors de la formation des enseignants. Il y a bien sûr quelques cas d’écoles d’ingénieurs dans des villes moyennes, liées à une histoire spécifique (Alès par exemple) mais avec de faibles effectifs. En réalité, ce sont les licences professionnelles (c’est le cas de Nevers et de Foix qu’il cite) qui ont souvent « réanimé » des antennes en souffrance. Les antennes, à la différence des universités (de façon plus ou moins étendue) offrent en réalité un choix restreint aux jeunes. Or, créer ex-nihilo des universités n’est pas qu’un problème immobilier !

Le rapport de la Cour des comptes « universités et territoires » de janvier 2023 mérite d’être (re)lu :

Il soulignait d’abord l’échec des campus connectés, et pas faute de moyens : « force est de constater que les objectifs de fréquentation ne sont pas atteints à ce jour alors que les financements ont été consommés. Cela conduit à un coût annuel par étudiant considérable. »

et constatait

  • Un nombre important de sites. Avec environ 150 sites délocalisés accueillant près de 91 000 étudiants en 2020 (hors universités parisiennes et les universités d’outre-mer), les enseignements « se limitent généralement au premier cycle (77 %) et au master d’enseignement (11%) et sont majoritairement localisés dans les villes moyennes (80 % des antennes sont basées dans une unité urbaine de moins de 100 000 habitants). Les implantations ont une taille réduite avec un effectif moyen de 660 étudiants. »
  • Une composition sociale différente avec effectivement « une sur-représentation notable des étudiants ruraux dans les antennes » et des effets positifs sur l’accès à l’enseignement supérieur.
  • Mais une amélioration de la réussite étudiante à beaucoup nuancer. Les chiffres « tendent à montrer qu’il n’y a pas d’effet clair de la localisation sur le taux brut de réussite en licence et en IUT ». Et surtout, la poursuite d’études y est « globalement plus faible. »
  • Des surcoûts même si selon la Cour des comptes,  ils sont difficiles à établir (comme toujours dans l’enseignement supérieur…

Enfin, le problème majeur est la difficulté à mobiliser les enseignants-chercheurs avec « la quasi-absence des professeurs d’université dans les enseignements en antennes (5 % du total des heures contre 20 % à l’université) ». Et cette difficulté « pousse les universités à recourir à des vacataires, ce qui représente un coût, certes moindre que lui d’un titulaire, mais venant s’additionner à la masse salariale du site principal. »

Face à ce constat, peut-on parler d’université sans enseignants-chercheurs ou doit-on accepter de parler de collège universitaire ? Ce n’est pas infâmant mais c’est la réalité !

Un maillage territorial en réalité remarquable

Outre le rapport de la Cour des comptes, un coup d’œil à l’atlas régional des étudiants suffirait à les rassurer sur ce maillage territorial très dense de l’enseignement supérieur dans notre pays. Certes, il n’y a pas de « LAS/PASS » partout même si de nombreuses universités ont mis en place des dispositifs à distance.

Au fond, le paysage de l’ESR est fortement marqué dans les villes moyennes par la présence de STS (privés et publics) et dans une moindre mesure de CPGE 3Si pour les STS, qui accueillent 227 800 étudiants à la rentrée 2022, l’effectif sous statut scolaire baisse de 9,6 % par rapport à la rentrée précédente, surtout dans le privé (-14%) qui semble bénéficier plus en quelque sorte de la ‘manne’ de l’apprentissage. Car plus d’1/3 des étudiants effectuant un apprentissage sont en STS, soit près de 110 000. Quant aux CPGE, la baisse globale est de 2,6%, stable en Ile-de-France mais en baisse de 3,6% dans les autres capitales régionales métropolitaines et de 3,5% dans le reste de la France.. L’infrastructure est là (les lycées, restauration) mais ces filières peinent à faire le plein dans certaines thématiques, faute de remise à plat : il est plus facile de sommer en permanence les universités de se réformer que de toucher à la carte des STS et des CPGE…

Car ce qui détermine l’accès à l’enseignement supérieur, ce n’est pas l’existence en soi d’une offre, mais la nature de cette offre.

La transition douce entre lycée et supérieur est déjà pratiquée à grande échelle dans les STS et CPGE. Bien sûr, la géographie, notamment des transports, est à prendre en compte dans tous ses aspects : si l’on veut faire médecine, se rendre de Nevers à Dijon en train, c’est 3 heures. Bien sûr, les cours à distance peuvent être une réponse. Mais que des jeunes peinent à « s’arracher » à leur milieu familial ne peut être un argument durable : aller voir ailleurs est fondamental dans leur construction et l’université peut et doit être un lieu de socialisation, pour peu qu’elle en ait la volonté et les moyens.

C’est le coût financier qui est un obstacle (logement, vie quotidienne) : il touche donc principalement les jeunes et les familles les moins aisées. Or, P. Ouzoulias et la gauche en général sont face à leur contradiction majeure en préconisant d’aider tout le monde 😉 …

Toujours les mêmes tabous

La situation actuelle est qu’il n’y a pas de vague démographique prévue et que l’on assiste même à un reflux des inscriptions universitaires, marqué dans certains établissements. On est loin, très loin d’un paysage idyllique de l’enseignement supérieur de proximité : la difficulté à mobiliser des enseignants-chercheurs ne fait qu’entériner le fantôme/fantasme du « collège universitaire », ce qui n’est en rien péjoratif pour moi. Evidemment ces questions sont taboues, surtout à gauche mais pas seulement : comme toujours, les élites françaises, enfermées dans des (mauvais) débats théologiques, ne voient pas le réel qui est devant eux.

Et l’on est en droit de se poser les bonnes questions : avoir des enseignants-chercheurs est-il systématiquement nécessaire en premier cycle, en tout cas dans toutes les licences ? Et au fond, tous les jeunes ont-ils vocation à entrer à l’université ? Ne faut-il pas revoir la carte des STS, y compris en créant des collèges professionnalisants autour d’une université chef de file ? Le BUT doit-il être le diplôme structurant de tels collèges ?

Quelle sera l’évolution quantitative et qualitative des besoins du pays ? Quel sera l’impact de l’IA sur l’évolution des métiers ? Quelle sera aussi l’évolution des attentes des jeunes ? S’il est évident qu’il y a un enjeu à former plus de techniciens supérieurs (bac + 3) et d’ingénieurs (bac + 5), la question des besoins de formations en Humanités et en Sciences sociales est trop souvent minorée. Comme trop souvent dans le monde académique, focalisé sur l’échec, la question de la formation continue demeure un impensé, avec ces allers-retours essentiels avec la vie professionnelle et ces parcours atypiques.

Références

Références
1 J’ai suivi les interventions de Pierre Ouzoulias depuis quelques années sur les sujets de l’ESR. Pugnace, travaillant ses dossiers, ses analyses et remarques sont respectées y compris par ses opposants. Car lui au moins ne cultive pas la démagogie populiste qui est celle de son collègue député LFI Hendrik Davi, chercheur et syndicaliste de l’Inrae, et qui affirme que 100 000 jeunes sont ‘sans facs’ …
2 Soulignons d’ailleurs que parmi ces universités nouvelles, ou de petite taille, certaines restent très fragiles et peinent à garder leurs enseignants-chercheurs les plus actifs en recherche.
3 Si pour les STS, qui accueillent 227 800 étudiants à la rentrée 2022, l’effectif sous statut scolaire baisse de 9,6 % par rapport à la rentrée précédente, surtout dans le privé (-14%) qui semble bénéficier plus en quelque sorte de la ‘manne’ de l’apprentissage. Car plus d’1/3 des étudiants effectuant un apprentissage sont en STS, soit près de 110 000. Quant aux CPGE, la baisse globale est de 2,6%, stable en Ile-de-France mais en baisse de 3,6% dans les autres capitales régionales métropolitaines et de 3,5% dans le reste de la France.

5 Responses to “Faut-il « construire de nouvelles universités hors des métropoles » ?”

  1. Jean Michel comme tu le sais je suis de « gauche » mais je partage ton analyse. J’ai fait en partie la même ds ce fil https://twitter.com/michelbessiere/status/1721961609159970968?t=227zp8onAOhxF1WnfAj3LQ&s=19

    Je connais des collègues de gauche qui partagent cet avis donc stp ne tombes pas ds la caricature mais débattons vraiment sur la structuration de toutes les formations post-bacs et n’assignons pas les jeunes des territoires à ne pas être mobiles

    • Cher Michel, je ne fais que constater l’état des réflexions sur ce sujet à gauche, de LFI au PS et au PC en passant par les Verts je n’ose parler de Nupes…). Les propositions du PS, qui se veut un parti de gouvernement, sont particulièrement indigentes : il faut lire le contre-budget présenté par B Vallaud… ou les rares contributions du PS sur l’Esr pour être effaré de la déconnexion du réel par rapport à la population qui ne vit pas dans le 5 eme arrondissement et/ ou n’est pas enseignante.

  2. Ah! l’Université Champollion! J’ai quelque souvenir de son origine puisque, recteur de Toulouse (où Jospin, conseiller général de Cintegabelle, était candidat aux régionales) j’ai été chargé du plan Université 2000. En réalité, il fallait convaincre les collectivités locales de financer au moins 50% des coûts et obtenir un consensus politique des acteurs: cette université est exemplaire de ce point de vue, une conjonction de politique locale, en contrepartie de financements ! M.Martin Malvy était ministre du Budget et Jospin m’avait plus ou moins suggéré de placer une antenne à Figeac, dont Malvy était maire, et c’est pourquoi ce qui est devenu une université porte le nom de Champollion, originaire de Figeac, qui y dispose d’un musée; à Albi, les militaires partaient et étaient disposés à nous laisser leurs casernes, en très bon état et pour un prix symbolique, et ainsi de suite à Foix, à Castres puis, plus tard, à Rodez. Même processus à Nîmes où l’antenne universitaire a bénéficié d’une prison de centre ville, reconvertie en locaux d’enseignement, puis est devenue une université de plein exercice (à 40 min de Montpellier). Dans les deux cas (Champollion et Nîmes) des antennes (plus ou moins électorales…) ont été transformées en universités, processus bien connu dans notre pays: elles ont les mêmes travers que ceux dénoncés par Jean-Michel…Pour mettre fin à ces semblants d’universités, la recommandation de la Cour des comptes, passée largement inaperçue, a tout son intérêt: de vrais collèges universitaires; l’université débute au master.

  3. Entièrement d’accord avec Jean Michel et les commentaires de son papier:
    -une université c’est bien sûr aussi la recherche, complètement oubliée dans l’analyse du sénateur Ouzoulias , dans une tres mauvaise tradition spécifiquement francaise qui de facto met les universités à l’écart de la recherche;
    -il y a désormais un maillage assez complet du territoire par diverses institutions post-bac, STS, IUT, antennes d’universités des metropoles;
    -appelons collèges universitaires les éléments de ce maillage, complétons ici ou là par quelques formations de premier cycle, et nous avons exactement ce que préconise le sénateur, et qui existe donc déjà!

  4. Il faut suivre de près l’évolution des campus des métiers et qualifications. Il y a là un outil expérimental qui démontre les capacités d’innovation des universités, en lien avec leur territoire et les publics à former, à insérer, lieux à la croisée de la formation, l’innovation, la recherche dans lesquels se côtoient chercheurs, entrepreneurs, étudiants, élèves et formateurs. Une innovation parmi d’autres qui ne représente qu’une bribe de solution, mais forge l’idée qu’il est temps de sortir d’une vision uniforme de l’ESR et ses opérateurs, pour multiplier les expérimentations au plus proche de chacun des territoires, des besoins économiques, des envies des jeunes, des capacités d’innovation et de la qualité de la recherche.

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