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L’université française en général méprisée, est devenue l’épicentre de tous les débats avec Parcoursup. Pourtant, avec seulement 32% de vœux en filière non sélective, elle est objectivement minoritaire dans les attentes des lycéens. Pourtant, on la charge de tout : réduire les inégalités sociales d’accès, faire réussir etc. Mais à force d’en faire trop, comme avec l’appel (non signé…) dans Libération d’étudiants et d’enseignants de Normale Sup, « pour normale, la sélection est anormale », on finit par se demander si ces plaidoyers ne ressemblent pas à la chanson de Jacques Brel : « Pour faire une bonne dame patronnesse, C´est qu´il faut faire très attention, A ne pas se laisser voler ses pauvresses, C´est qu´on serait sans situation, A ne pas se laisser voler ses pauvresses, C´est qu´on serait sans situation ». Les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur sont-elles devenues le nouveau « charity business ?

L’appel dans Libération d’étudiants et d’enseignants de Normale Sup, « pour normale, la sélection est anormale »  est un symbole : il proclame le refus de la sélection…sauf à l’ENS ! Car depuis des semaines, on lit des choses étonnantes sur l’université. Comme une expédition coloniale découvrant de lointaines contrées, des « intellectuels » délivrent des messages aux « pauvres », qu’ils assurent de leur solidarité. Au premier rang des arguments, la nécessité de réduire les inégalités sociales, un peu comme ces candidats de téléréalité à fond contre la guerre et pour la paix dans le monde…

On a le sentiment, comme pour ces Normaliens, que nombre de ces commentateurs ignorent ce qu’est une 1ère année d’université (ils ont fait des prépas), que beaucoup d’enseignants y ont enseigné mais il y a fort longtemps, et que beaucoup d’autres s’intéressent aux étudiants quand ça les arrange.

D’ailleurs, l’attachement à la réduction des inégalités ne va quand même pas jusqu’à s’implanter en banlieue (faut-il revenir sur les méandres du déménagement de l’EHESS et de Condorcet ?), voire de proposer d’intégrer l’ENS Ulm à l’université Paris 13 à Villetaneuse (j’y ai fait mes études, ce n’est pas le même public certes) : là, ces Normaliens rencontreraient des boursiers, de la diversité, des difficultés sociales mais aussi et surtout des parcours incroyables d’étudiants pas nés avec une cuiller en argent dans la bouche.

Inégalités sociales : ne pas tout mélanger

Le débat sur les inégalités sociales mélange tout, entre les lacunes scolaires, le poids du milieu social mais aussi, et c’est un grave non-dit, les limites intellectuelles supposées des jeunes issus de milieux défavorisés. Mettons de côté les délires eugénistes de Laurent Alexandre, qui tient une chronique dans l’Express, et qu’Axel Kahn a renvoyé dans ses cordes de façon percutante : non le patrimoine génétique comparé des riches et des pauvres n’explique pas les différences de réussite, notamment scolaire.

Le problème, c’est qu’un discours pernicieux s’installe en parallèle, avec les meilleurs sentiments du monde, sur les difficultés supposées des jeunes issus de milieux défavorisés. A partir de constats justes sur le poids des inégalités (mais qui sont par ailleurs variées dans leur nature), un déterminisme social absolu est dépeint, finissant ainsi, par manque de nuance, à passer à côté des vrais déterminismes.

Je lis dans The Conversation, une tribune, intéressante, d’un professeur de psychologie de l’ Université Paul Valéry – Montpellier III, pour qui « la procédure Parcoursup risque d’aboutir à une sélection sociale pure et simple » car « ce sont en effet les performances scolaires qui constitueront le critère essentiel de recrutement de nos futurs étudiants et toutes les études convergent pour nous indiquer que ces performances sont liées au milieu social d’origine. » Et « les bacheliers issus des milieux les plus modestes risquent de se retrouver en fin de classement en raison de leurs moindres performances en classe de terminale. »

Je m’attendais donc à ce qu’il plaide pour la prise en compte des « soft skills », des talents qui se révèleront plus tard, voire d’un 1er semestre idoine en L1 de psycho dans son université. Je conseille aux « étudiants défavorisés » le descriptif de cette Licence de Psychologie (là ce n’est pas le MESRI)…

Ce qui est sans doute le plus choquant c’est ce discours implicite : les pauvres n’ont pas les compétences scolaires. D’abord, des bacheliers d’origine modeste, ont des résultats scolaires dans la norme, et même pour certains (mais oui!) au-dessus ! Si l’on met de côté le problème spécifique des bacs pros, la réussite des étudiants issus de catégories sociales défavorisées est moindre mais pour des raisons multifactorielles. C’est justement l’apport novateur de Richard Descoings à Sciences Po.

Ces discours contribuent à faire de l’université française la dernière roue du carosse, en considérant d’ailleurs que les « pauvres » n’ont pas l’ambition, ou les capacités, de réussir. La contribution à la réduction des inégalités met en jeu une multitude de facteurs, la maîtrise des codes, questionne les programmes, la pédagogie, l’utilisation du numérique, l’ouverture 24h/24 des BU, et bien sûr des moyens etc. Mais elle demande surtout une révolution copernicienne dans le regard que l’on porte sur les jeunes issus de milieux défavorisés.

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