Avec une nouvelle hausse du taux de cotisation retraite du CAS Pensions pour 2026 (qui le porte à 82,6% !) un nouveau modèle s’installe à bas bruit dans les établissements publics. Outre une inégalité flagrante avec les collectivités territoriales et la Fonction publique hospitalière, ceci interroge le modèle de service public pour des universités « autonomes ». Avec des conséquences très concrètes en termes de charges financières nouvelles, qui orientent des choix de recrutements, accentuent la distorsion de concurrence et biaisent l’affichage dans les comparaisons internationales. Le silence assourdissant de France Universités sur ces enjeux est symptomatique d’une impuissance collective du monde de l’ESR.
J’avais soulevé la question des effets méconnus du CAS Pensions dans un billet intitulé ‘CAS Pensions’ pour les Nuls : 2 effets pervers méconnus dans l’ESR. Or, le 17 juillet, une circulaire de la direction du budget indique que pour les opérateurs, en 2026 « le taux de la contribution employeurs des fonctionnaires civils au CAS Pensions augmentera de + 4 points, passant ainsi de 78,6 % à 82,6 %. » Ce qui signifie qu’en 2 ans, ce taux augmente de 8,6% ! Jusqu’à quel niveau ?
Un décret de janvier 2025 avait annoncé la couleur concernant les collectivités territoriales : « le taux de la cotisation d’assurance vieillesse applicable aux rémunérations versées aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers à 34,65 % en 2025, 37,65 % en 2026, 40,65 % en 2027 et 43,65 % en 2028. » Certes, elles cotisent moins que les universités mais l’augmentation prévue est régulière…
Un sujet tabou du financement des universités
La multiplication des appels à projets sur des besoins qui justifieraient pourtant un financement récurrent, a ouvert une porte : quel est l’intérêt pour les établissements de recruter des fonctionnaires dont le taux de cotisations est 66,6 points plus élevé qu’un CDI ou un CDD affilié au régime général ?
Le silence assourdissant, tant du côté des syndicats que des institutions représentatives, va-t-il persister ? L’ennuyeux (et long!) rapport du CESE sur le financement de l’enseignement supérieur (piloté par les syndicats) oublie même de l’évoquer. Pourtant, sur cette question du financement, les artifices comptables sont désormais bien documentés par les économistes de tous bords, bien que niés par la Cour des comptes. Quant à FU, Cdefi, CGE etc, c’est le silence absolu.
Biens seuls, l’institut Montaigne chiffre à 0,3 point de PIB les effets de cette surcotisation pour la part des dépenses d’éducation, ce qui vaut également pour l’ESR, de façon pire probablement ((« Aujourd’hui encore, la dépense publique française à destination de l’éducation nationale se situe légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE entre 2015 et 2023, à 3,4 % du PIB (même si, en réalité, si l’on neutralise les surcotisations retraite de l’État versées au CAS pension, le taux français retombe autour de 3,1 %). »)). Quant à l’Institut des Politiques Publiques (IPP), il critique les conventions comptables de l’État et corrige à la baisse les dépenses publiques d’enseignement à hauteur de — de 15 % pour l’Éducation nationale !
Il est évident que côté syndicats on est tétanisés à l’idée de mettre le doigt sur la question du déficit des retraites et notamment le financement des particularismes… Mais France Universités ? Son calcul, s’il en existe un 😉, semble primaire : dans un communiqué lénifiant intitulé « 6 propositions pour un financement à la hauteur des enjeux et des ambitions des établissements », elle affirme (ce qui n’est pas une position nouvelle) qu’« aucune nouvelle dépense décidée par l’État n’est possible sans compensation de sa part (principe du décideur-payeur) ». Certes mais concrètement ?
Jeu de bonneteau et ‘baiser de l’ours’ autour du CAS Pensions
Croire (en ne l’évoquant pas) que le sujet du CAS Pensions est de même nature que le GVT ou le point d’indice, est un contresens. Car si un contrat de droit privé a globalement les mêmes conséquences financières, en tout cas la même logique, (ancienneté, déroulement de carrière) que pour les fonctionnaires … ce n’est justement pas le cas pour les cotisations retraites.
J’imagine que France Universités entend négocier comme d’habitude la compensation de la nouvelle hausse de celui-ci. Et l’obtiendra peut-être. Mais le plafond de dépenses de la Mires étant fixé à + 300 millions d’€, ça va être dur ! ((Pour rappel, dans le cadre du PLF 2025, France Universités avait évalué le surcoût lié à cette hausse à 180 M€ pour les universités. Le gouvernement avait finalement intégralement compensé cette mesure aux universités, à hauteur de 200 M€, via un amendement dans le cadre de l’examen du PLF 2025 au Parlement.)) Surtout, cette surcotisation retraite se chiffre elle en milliards d’€ ! Une paille…
Le problème de France Universités, c’est que ce « calcul » de court terme se retournera inéluctablement contre ses membres, vu le déficit des retraites. Car cette compensation sera…compensée par la non-augmentation du reste ! Une simple écriture comptable, un jeu de bonneteau en somme dont les universités sont les victimes. A l’insu de leur plein gré ? Les président(e)s d’universités veulent-ils se laissent enfermer dans ce piège mortel qui s’appelle le baiser de l’ours ?
3 conséquences à méditer
Mais il y a pire. Je n’ignore pas les efforts en coulisses des président(e)s d’université (et ceux de Ph. Baptiste) pour limiter les dégâts sur le budget 2026. Mais ne pas dire un mot du CAS Pensions, ne pas ouvrir de débat sur les comparaisons internationales (FU a pourtant un bureau à Bruxelles !), ne pas faire de projections et ne pas réfléchir sur les modèles implicitement ou explicitement en jeu (je n’ai pas écrit souhaitables !) ? Est-ce une stratégie pertinente pour des universités toujours autant sur la défensive ?
Car tout ceci a un effet ‘toboggan’ de plus en plus dangereux. Ces hausses successives accentuent en effet 3 phénomènes :
- Une distorsion de concurrence de plus en plus insupportable. L‘écart entre salaire brut et net va s’accentuer, avec des conséquences en matière d’attractivité, sachant que, concernant l’ESR, l’environnement compétitif est mondial avec le ‘brain drain’. Le secteur privé, déjà ‘boosté’ par l’apprentissage, cotisera à 16% soit 66,6 points de moins ! Tandis qu’évidemment l’écart se creusera avec les rémunérations des universitaires britanniques, suisses, britanniques, néerlandais etc.
- Des comparaisons internationales de plus en plus faussées. La Dépense intérieure d’éducation (DIE) et bien sûr la dépense par étudiant et la dépense de recherche des administrations (DIRDA) vont augmenter fictivement grâce aux cotisations retraite (ou baisseront moins) ! Ainsi, le débat sur la nécessité d’investir dans l’éducation et la recherche sera étouffé une fois de plus … puisque la France est faussement au niveau des pays de l’OCDE voire au-dessus…
- Un grand gagnant, Bercy. Ce silence de France Universités et des syndicats (un consensus à noter) réjouira Bercy qui continuera de promouvoir l’idée de l’ESR comme un poste de dépense qui est mieux doté que les autres pays !
4 modèles possibles ?
En conclusion, à ces distorsions s’ajoute la question la plus visible du coût pour les établissements. Pour certains d’entre eux, de plus en plus nombreux, nécessité fait déjà loi ! Ils vont privilégier les CDI et/ou CDD qui leur coûtent beaucoup moins cher tout en garantissant à ces salariés un niveau de rémunération équivalent voire supérieur aux fonctionnaires… Car entre 16% de cotisation retraite et 82,6% pour la même prestation vous feriez quoi ? Cela interroge au fond sur les modèles possibles de l’ESR français et de sa partie publique.
Est-ce quelqu’un dans la salle 😊 a réfléchi aux conséquences ? Car cela mérite débat et surtout réflexion prospective si cette tendance se confirme. Accepte-t-on cette prise en étau dans le cadre de la fonction publique d’État, sachant que les universités ne sont et ne seront pas une priorité ?
- Les universités peuvent-elles encore se contenter de batailler sur la compensation annuelle ?
- Ou doivent-elles réclamer un taux de cotisation équivalent aux collectivités territoriales et à la fonction publique hospitalière ?
- Glisse-t-on de fait vers un modèle à la britannique avec des universités totalement employeurs, avec une convention collective et le paiement des retraite ?
- Ou bien va-t-on vers un modèle médian de type société publique comme France Télévision, avec des cotisations retraites « normales » dans le cadre du régime général ?
Bref, les pistes de réflexion sont nombreuses. Ouvrir le débat sur un choix de modèle, alors que s’installe à bas bruit une nouvelle donne, n’est-il pas urgent, au même titre que celui de la mission de l’université, de la sélection ou non, de la relation bac+3/bac+5 etc. ? France Universités, mais aussi Udice ou l’Initiative peuvent-elles continuer à invoquer sans cesse l’autonomie sans en penser tous ses aspects ?
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