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Dans son rapport sur l’intelligence artificielle, Cédric Villani estime qu' »un doublement des salaires en début de carrière est un point de départ minimal indispensable, sous peine de voir se tarir définitivement le flux de jeunes prêts à s’investir dans l’enseignement supérieur et la recherche académique. » C’est la préconisation phare de ce rapport, complètement passée sous silence, et d’ailleurs non chiffrée. Il faut dire que l’application de cette mesure aurait des conséquences en cascades, et pas que financières. Mais les pouvoirs publics peuvent-ils accumuler les déclarations sur l’attractivité du pays (en tentant d’attirer des financiers dans le cadre du Brexit) sans miser sur les talents de la recherche ?

Comme d’habitude les pouvoirs publics ont commandé un rapport et ont décidé de créer des structures… Même un universitaire comme Cédric Villani, qui propose pourtant de la simplification d’un système qu’il juge illisible, a visiblement cédé aux sirènes de la technocratie française. Pourtant, si on le lit attentivement, tout son rapport est axé sur le capital humain.

Doubler le salaire, une proposition à multiples tiroirs

Si l’on doublait le salaire des maîtres de conférences (mesure radicale !), on peut estimer les coûts complets (sans les coûts induits en retraite) à 2 milliards d’€ annuels pour l’Etat : 50 000 € charges comprises  X 36 184 MdC (2015/2016). C’est une charge tout à fait supportable … dans le cadre des crédits alloués au PIA par exemple. Mais le vrai problème est l’effet en cascade ! Car si vous entrez dans la carrière avec un salaire doublé, vous dépassez tout de suite tous les CR ou maîtres de conférences. Et vous rattrapez les DR et Professeurs.

Cette proposition a donc un coût induit énorme et bouleverserait tout les grilles de rémunérations de l’ESR. Ce pavé dans la mare soulève pourtant à juste titre la question des salaires insuffisants des universitaires et chercheurs. Au-delà des comparaisons internationales (la France ne peut pas rivaliser, surtout dans certaines disciplines), c’est déjà au sein de la fonction publique française que les universitaires sont défavorisés. On connaît le cas des professeurs de classes préparatoires, mais c’est surtout le régime indemnitaire qui est défaillant, comparativement aux magistrats, militaires et bien sûr fonctionnaires de Bercy !

L’universitaire, paria de la fonction publique

Dès 2008, la commission présidée par le Conseiller d’Etat Rémy Schwartz pointait l’injustice du traitement des rémunérations des enseignants-chercheurs. Son rapport soulignait ( et ça n’a pas beaucoup changé depuis 2008) que « la partie indemnitaire représente en moyenne 23 % de la rémunération dans la Fonction publique mais varie très fortement selon les corps : 52 % pour les cadres mais seulement 18 % en incluant les professions intellectuelles supérieures. Les corps d’enseignants-chercheurs disposent d’une faible partie de leur rémunération sous forme de primes. En effet, seule 10 % de leur rémunération brute totale leur est versée sous forme indemnitaire, contre 55 % pour un administrateur civil. » La commission demandait, déjà, « un rééquilibrage des primes des enseignants-chercheurs par rapport au niveau moyen des taux accordés dans la fonction publique pour les cadres » estimant inacceptable la « discrimination » dont ils font l’objet.

Or, tous les gouvernements ont préféré systématiquement investir dans des dispositifs plutôt que dans ce capital humain : le PIA a ainsi conduit a multiplié les structures dites d’excellence. Certes tous les universitaires ne sont pas au niveau de l’indice de base : travaux extérieurs, heures complémentaires au détriment de la recherche, tout ceci existe (je me souviens de ce président d’université qui m’avait invité à une séance de son bureau, avec ses directeurs de composantes, et qui avait brandi la liste nominative des utilisations d’heures complémentaires…)

Ces dérives bien connues (mais faisant l’objet d’une omerta), ne sont tous comptes faits, que la conséquence de la dévalorisation du statut d’une profession à bac+8 minimum et ayant un salaire indigne de ses qualifications (au premier échelon, un maître de conférences touchera aux alentours de 2 200 euros bruts mensuels). De plus, les volumes concernés (en 2015/2016 36 184 MdC et 20 252 Pr, 13 221 Prag/certifiés et 22 591 non-permanents) sont faibles à l’échelle de la fonction publique.

« Même s’il est illusoire de penser rivaliser financièrement avec les offres des GAFAM, l’écart est actuellement si important qu’il tend à décourager les jeunes diplômés, y compris ceux qui sont le plus attachés à la recherche publique et au bien commun » concluait Cédric Villani. Un message toujours pas entendu. Or des mesures de revalorisation significatives pourraient esquisser un « new deal » de l’université française, dans une optique gagnant-gagnant.

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