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Des pouvoirs publics qui essaient de serrer les cordons de la bourse et enjoignent aux universités de mieux gérer et de répondre aux besoins de formation du pays, France Universités qui proteste sur le budget, des universitaires qui dénoncent le manque de moyens et de considération pour l’Université française… Rien de nouveau sous la grisaille de l’enseignement supérieur ! Sauf que le décrochage en recherche se combine désormais à la baisse des effectifs universitaires, pas seulement en doctorat, ce qui devrait inciter à une prise de conscience. Chez les pouvoirs publics évidemment, chez les universitaires aussi. Ces derniers peuvent méditer les conséquences de leur refus des IUT en 1966, après celui des enseignements « techniques ».

Lorsque j’ai abordé le choc de la baisse des effectifs universitaires, des lecteurs ont réagi, tempérant, à mon avis à tort, mon constat. Dans le désert, je fus un des rares dès 2018 à alerter sur la baisse des inscrits en doctorat et l’expansion du privé. Car la cécité règne partout dans l’ESR sur les chiffres et les faits : les slogans sur le manque de moyens, (ah ma cassette, ma cassette !), nourris par un traitement caricatural de l’actualité, servent à masquer un vide sidéral de la réflexion sur les besoins des jeunes et du pays 1On vient de le voir à propos du logement étudiant avec cet article surréaliste, l’acmé du misérabilisme version Figaro, mais que l’on peut retrouver aussi dans Le Monde ou Libération avec d’autres témoignages tout aussi caricaturaux, et très parisiens..

Baisse des effectifs ? Fuite vers le privé ? On peut être atterré des débats de cette rentrée à propos des fonds de roulement et de l’offre de formations. C’est l’éternel recommencement d’un jeu de rôle facile : les méchants pouvoirs publics, les gentils universitaires ou l’inverse. On sait que de, toutes les façons, par peur d’un mouvement étudiant, il n’y aura pas de coupes franches et qu’on laissera l’ESR vivoter. Alors, peut-on se contenter de ces explications simplistes, de part et d’autre, pour le 3ème budget de l’État ?

L’évolution inachevée des universités…et des pouvoirs publics

Les déclarations d’E. Macron sur l’université expliquant que la France « n’est pas un pays qui sous-investit sur l’enseignement supérieur » lors d’une interview accordée au youtubeur Hugo Travers, ont, à juste titre, choqué. On lui conseille de lire les chiffres de l’OCDE sur la dépense par étudiant mais aussi sur la recherche. Il ajoutait que les universités doivent « avoir le courage de dire ‘on ne laisse pas ouvertes des formations parce qu’on a des profs sur ces formations’  » et doivent ouvrir « des formations courtes, diplômantes et qualifiantes dans les villes périphériques ». Là encore on lui conseille de lire les notes du SIES-MESR sur l’essor des formations professionnalisantes et sélectives au sein des universités.

Mais soyons direct : E. Macron a-t-il pour autant tort sur les formations ? 2J’avais souligné dès 2018 à partir des rapports divers (OCDE, SIES, Cour des comptes) que sous N. Sarkozy il y avait eu une hausse de la dépense par étudiant, même si cela n’a pas duré. Heureusement que Thomas Piketty l’a confirmé…sinon on m’aurait qualifié de social-traitre. Certes, il témoigne de la méconnaissance, partagée depuis longtemps par les politiques et la technostructure, du fonctionnement des universités. Mais il met aussi le doigt là où cela fait mal et pointe ce que l’on peut constater à propos des formations, avec des évolutions nécessaires que révèlent les chiffres d’inscrits par filières. Il faut relire les recommandations du CAE sur ces sujets. C’est mon « en même temps » à moi !

Ne pas répéter l’erreur de 1966

Je livre à la réflexion cet extrait du journal télévisé de 1966 à propos de la création des IUT. Et je le complète avec cette analyse intéressante de 2019 d’Alain Portron publiée … sur le site du SNEsup 😉 et intitulée « D’une priorité à l’autre : des ingénieurs aux techniciens supérieurs (1956- 1966) ». On y apprend que « la position réticente de l’université de Rouen vis-à-vis des IUT reflète bien le sentiment d’une partie non négligeable de la communauté universitaire française de l’époque tant dans son versant progressiste que conservateur. Pour les uns les IUT ne sont que des super lycées sans l’onction des troisièmes cycles dédiés à la recherche et pour les autres des formations dédiées au patronat. »

Aux enjeux des années 60 succèdent ceux d’aujourd’hui, autour des multiples conséquences de l’IA, le consensus sur la nécessaire réindustrialisation du pays et la formation d’une main d’œuvre qualifiée. Certes, l’idée d’adapter les formations aux enjeux de réindustrialisation de la France ouvre un débat piège sur la professionnalisation et l »adéquationnisme’. Remarquons que les universitaires s’obstinent à spécialiser dès la première année par discipline… tandis que d’autres (souvent les mêmes) dénoncent la trop grande spécialisation professionnalisante 😒.

Il est ainsi évident qu’il aurait fallu mettre le ‘paquet’ sur les formations autour de l’informatique par exemple : mais cela suppose à la fois des moyens supplémentaires, des redéploiements internes … et de trouver des enseignants-chercheurs. Sans sombrer dans l' »adéquationnisme borné » (qui connait les métiers de demain ?) en quoi est-il impossible de conjuguer formation fondamentale-approche par compétences-spécialisation professionnelle … et formation tout au long de la vie ?

Une offre de formation des universités peu pilotée

J’ai souvent plaidé sur mon blog pour la transparence, réclamée par l’opinion publique mais qui fait cruellement défaut dans l’ESR, faute de données exploitées ou exploitables. Les annonces d’E. Macron et l’injonction faite aux universités de mieux gérer et de fournir des indicateurs, de revoir leur carte des formations, si elles sont plus que maladroites, sont-elles pour autant dénuées de sens ? Car contrairement à la recherche, partagée avec les ONR, la stratégie de formation appartient en théorie aux universités. En réalité, elle appartient aux individus que sont les universitaires…

Car là où le bât blesse, c’est le pilotage de cette offre de formation, une question pas simple. Déjà en 2012, l’inspection générale pointait des faiblesses énormes (vous pouvez consulter ce résumé). Et 2 ans après en 2014, dans un rapport sur « La gestion des heures d’enseignement au regard de la carte des formations supérieures« ,  l’Inspection générale constatait « un désajustement progressif entre la charge d’enseignement d’une part, les effectifs et le potentiel de l’autre, qui s’est traduit par une augmentation du nombre de formations à faibles effectifs et du volume d’heures complémentaires. L’extension et le morcellement de l’offre au lendemain de la mise en œuvre du LMD, la multiplication des parcours et des options indépendamment du nombre d’étudiants » .

Dans le même temps, le développement des formations professionnelles et l’application de mesures réglementaires relatives au volume horaire des formations et au référentiel d’activité des enseignants-chercheurs « ont généré des surcoûts non couverts par la subvention pour charge de service public. »

Peu de vision globale et d’indicateurs

Et le rapport soulignait l’impossibilité d’avoir une vision ‘globalisante’ vu les écarts entre domaines de formation « en matière de taux d’encadrement, de volume horaire par étudiant et de coût de l’heure d’enseignement, du fait notamment de la priorité accordée à la recherche, du faible taux de redéploiement des emplois entre composantes et des variations fortes et imprévisibles des flux d’étudiants. »

Mais le caractère extrêmement spécialisé de certaines formations constitue-t-il une garantie d’insertion professionnelle pour l’étudiant ? Non, car il répond trop souvent « au souhait d’un enseignant-chercheur d’enseigner uniquement les matières correspondant à son domaine d’expertise. »  Et le rapport de donner 2 exemples : une université dont 30 masters sur 200 ( !!!) accueillaient moins de dix étudiants. Et une autre avec 485 parcours de formation, dont 20% avec moins de dix étudiants en licence comme en master. Avec des volumes horaires peu justifiés par la pédagogie…

Lire les rapports Hceres sur les formations…

On peut en douter à l’échelle globale, la « fermeture » d’une formation étant la chose symboliquement la plus difficile dans une établissement ! Des domaines entiers sont aujourd’hui sinistrés, avec des sous-services. D’autres au contraire croulent (jusqu’en janvier ?) sous l’afflux d’étudiants. Car rappelons qu’il existe un écart plus ou moins important « entre le nombre d’inscrits administratifs (sur la base duquel est prise à la rentrée la décision d’ouverture ou non de la formation) et le nombre d’inscrits pédagogiques (et a fortiori d’étudiants assidus) » expliquait l’inspection générale en 2014 🙂.

Des secteurs autrefois en pointe comme les IUT souffrent, et ce avant la mise en place du BUT. Vous y ajoutez (et mes lectrices/eurs le savent mieux que moi) le fait que « les fermetures de formations se heurtent parfois aux intérêts particuliers des composantes ou de certains enseignants-chercheurs. »😉

J’ai la chance (je plaisante) de lire et d’avoir lu des dizaines de rapports de l’Igesr et de ses ancêtres, de la Cour des comptes et auparavant des Chambres régionales. J’ai ajouté à ma palette la lecture des rapports Hceres, qui depuis quelques mois ont tendance à ne plus tourner autour du pot. Les synthèses formations révèlent par exemple l’incroyable manque de données fiables ou simplement existantes sur les étudiants : leur insertion professionnelle et surtout leur devenir, leurs appréciations des enseignements dispensés, la place des étudiants étrangers et bien sûr le taux de pression pour les masters (nombre de candidatures). Et évidemment peu d’universités ont la capacité de fournir les coûts complets de leur formations, un argument pourtant essentiel pour ouvrir … ou fermer une formation.

En conclusion

Faut-il rappeler que le contenu des formations et leur degré de professionnalisation figuraient en 1966 au menu de la création des IUT … à laquelle une bonne partie des universitaires s’opposaient. Le résultat est que les IUT se sont développés à côté des universités, à tel point que le MESR continue parfois à les compter à part… Après les écoles d’ingénieurs au 19ème et 20ème siècle.

Au fond, on assiste à un moment charnière, comme dans les années 60 qui ont vu la création des IUT, dans un contexte politique précis. De ce point de vue, mai 68 n’a été qu’une parenthèse, les « patrons hors des facs » laissant la place dès les années 70 aux formations professionnalisantes. Ce que recherchent les jeunes et les familles, c’est l’excellence et la sélection au profit d’une insertion professionnelle de qualité : n’est-il pas temps de créer au sein des universités les IUT de demain, non pas au sens institutionnel, mais au sens symbolique ? Au risque sinon, comme en 1966, de rater la vague…

C’est cette absence de réaction-réactivité que capte le privé dans tous les secteurs, face à un état centralisé et des communautés qui campent sur leurs positions. Alors oui, l’État est responsable. Mais les universitaires ?

Remettre à plat les offres de formation, réfléchir à l’évolution des prépas, des BTS et des IUT, réfléchir au nombre de masters et aux secteurs qui se vident de leurs étudiants (oui il y en a !) etc, les chantiers sont nombreux et mériteraient un consensus. Il est intéressant de noter que des universités, en général de petite taille, s’y sont attelées. C’est donc possible, au profit des étudiants.


La gestion financière des universités ? En net progrès

Qui peut croire sérieusement qu’un ou une ministre, quel que soit son ministère, ne défend pas ses crédits ? S. Retailleau doit (comme F. Vidal avant elle) composer et répondre à des parlementaires qui lui demandent des comptes, et s’étonnent de la “stupéfiante l’absence de traçabilité des crédits”,  du manque de remontées de données, des lacunes du pilotage… Qui peut le contester ? Certainement pas ces universitaires qui sur les réseaux sociaux confondent fonds de roulement et ‘endowment’ de Harvard…

Chaque année le 3ème budget de l’État (on l’oublie trop souvent) est sur la sellette. Côté universités, on essaie tant bien que mal de geler des positions (GVT, compensations diverses des décisions de l’État etc.) en espérant qu’une forme de statu quo permettra d’éviter le pire. Côté ministère, à l’exception de l’épisode Alice Saunier-Seïté sous Giscard, le ou la ministre tentent de limiter les dégâts avec des gouvernements et une technostructure pour lesquels ce n’est pas une priorité. Ils/elles obtiennent parfois de réelles avancées 3Claude Allègre avec le plan U2000 par exemple, F. Vidal avec la LPR et la revalorisation réelle des régimes indemnitaires ou S. Retailleau sur les bourses. Ils/elles sont évidemment dénoncés comme des ‘liquidateurs de l’université’ 🤭 (le ‘surmoi’ maoïste universitaire sans doute !).

Déjà en 1998 le montant des fonds de roulement des universités était dénoncé par la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) de l’Assemblée nationale (en augmentation de 9,5% par rapport à 1996 et de 30% par rapport à 1993 !). Déjà, les responsables plaidaient le fait que ces argent n’était pas nécessairement disponible… Dans son rapport public 1999 publié en janvier 2000, la Cour des comptes étrillait les universités, conduisant les parlementaires socialistes à exiger une remise en ordre…

Mais depuis une dizaine d’années, les différents rapports de l’Igesr et de la Cour des comptes saluent une amélioration réelle de la gestion financière des universités, à 4/5 exceptions près que je ne nommerai pas… Pour résumer, désormais elles connaissent leur recettes et leurs dépenses et maîtrisent globalement leurs fonds de roulement. Et face aux autres opérateurs publics, elles n’ont pas à rougir de leur gestion rapportée à la faiblesse de leurs moyens en personnels administratifs.

Les universités sont cependant comme certains conducteurs de voiture : même si elles n’ont pas les moyens de faire le plein tous les jours, elles savent à peu près si elles ont du carburant. Mais ont-elles une destination, et connaissent-elles l’itinéraire le plus adapté à leur consommation ?  C’est leur véritable défi !

Références

Références
1 On vient de le voir à propos du logement étudiant avec cet article surréaliste, l’acmé du misérabilisme version Figaro, mais que l’on peut retrouver aussi dans Le Monde ou Libération avec d’autres témoignages tout aussi caricaturaux, et très parisiens.
2 J’avais souligné dès 2018 à partir des rapports divers (OCDE, SIES, Cour des comptes) que sous N. Sarkozy il y avait eu une hausse de la dépense par étudiant, même si cela n’a pas duré. Heureusement que Thomas Piketty l’a confirmé…sinon on m’aurait qualifié de social-traitre.
3 Claude Allègre avec le plan U2000 par exemple, F. Vidal avec la LPR et la revalorisation réelle des régimes indemnitaires ou S. Retailleau sur les bourses

One Response to “Formations supérieures : ne pas répéter l’erreur de 1966 ?”

  1. Autre sujet soulevé ds déclarations présidentielles: partition des universités entre métropolitaine et proximité ac assignation pr ces dernières aux courtes 🥵
    Est-ce à celles-ci de les supporter? L’idée derrière c’est des collèges universitaires mais alors revoyons toutes les formations posts bacs (tt le monde aligné sur Bachelor ?).
    Univs de proximité ds villes périphériques et moyennes ne développent-elles pas déjà exclusivement des L en 3ans? Encore univ si pas de recherche ? Universités en réseau autour tête de pont univ métropolitaine ?
    Oui JMC: Remettre à plat les offres de formation en cherchant un consensus.
    Répondre tout à la fois au besoin d’émancipation
    individuelle et aux enjeux de développement économique du pays,😉

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