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Les groupes de travail sur la LPPR ont donc rendu leurs propositions, avec un discours du Premier Ministre. L’écho médiatique a été faible, signe à la fois d’une communication défaillante et d’un intérêt limité pour des sujets jugés abscons 1Il faut dire que la lecture des rapports laisse une impression mitigée. Il existe pourtant de bonnes formations rédactionnelles dans les universités ? !. Le chiffrage des besoins est pourtant net et précis : il faut 4,9 Md€ pour porter le PIB consacré à la recherche publique à 1 point. Mais peut-on demander ces milliards sans une transformation profonde du système ? Les signataires des rapports préconisent pour cela de nombreuses mesures. Sont-elles réellement “transformantes” ? Suffiront-elles à convaincre le gouvernement, les parlementaires et l’opinion publique et bien sûr Bercy ?

80 pages sur le financement de la recherche, 64 pages sur l’attractivité et les carrières et enfin 160 pages sur la recherche partenariale et l’innovation : impossible évidemment dans ce billet d’examiner l’ensemble. Que peut-on en retirer ? Point très positif, ces propositions sont autrement mieux maîtrisées, étayées et détaillées que celles des assises de la recherche de 2004, qui ont donné lieu à la dernière loi de programmation.

Cependant, en écrivant cet article, je dois dire que je me suis creusé la tête : quel jugement porter sur des propositions souvent assez classiques, en tout cas pas vraiment “disruptives” ? Et c’est là toute l’ambiguïté de ces rapports : ils entérinent de fait l’organisation actuelle de l’ESRI dans notre pays. Logique, la commande même du MESRI dissociait enseignement supérieur et recherche.

Quelles lignes directrices ?

Il y a bien sûr des lignes directrices fortes : la remise à niveau du budget consacré à la recherche avec un nouvel équilibre entre financement récurrent et financement compétitif, la revalorisation des carrières mais sur la base d’un assouplissement des modalités de recrutement par exemple. Et puis aussi un constat sévère sur l’innovation : “La France ne dispose pas de stratégie d’innovation pour faire face aux grands défis sociétaux” malgré un argent public qui coule à flots 2 Ce que j’ai écrit à de multiples reprises à partir des rapports de S. Berger et J. Lewiner ! S’y fait entendre aussi la petite musique sur les universités intensives en recherche, à chaque fois mises sur le même plan (ou presque ?) que les nobles organismes de recherche.

De nombreuses propositions sont, et c’est leur mérite, des observations de bon sens sur les dysfonctionnements et lacunes du système : c’est le cas emblématique du décrochage des rémunérations des chercheurs, mais aussi celle sur le “rétablissement de l’évaluation périodique des enseignants-chercheurs.” Les données comparatives sur les salaires raviront sans doute Bercy : c’est d’ailleurs la grande force de ces 3 rapports, donner des chiffres sur la plupart des sujets, pas seulement le % du PIB.

Des propositions vont évidemment faire polémique comme le “contrat à durée indéterminée de mission scientifique” aligné sur la durée des projets de recherche ou encore l’“extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaiteraient et dont les processus de recrutement auront été certifiés.”

Sans examiner l’ensemble des propositions, certaines “crèvent” l’écran, comme celles sur les évolutions de l’ANR :

  • Confier à l’ANR la gestion de tous les appels à projets ‘recherche’ portés par des agences de financement nationales.
  • Porter le taux de succès aux appels à projets dans une fourchette de 25 à 40 % pour s’aligner sur les standards internationaux.
  • Moduler le montant de l’aide financière (en relevant le financement moyen des projets à 400 ou 500 k€) et la durée des projets en fonction des thématiques et des appels.
  • Rehausser fortement les ‘overheads’ dans une fourchette de 40 à 50 %, mais en distinguant les frais de gestion portés à 25 % des crédits scientifiques et créer un bonus ‘performance scientifique’ à hauteur de 15 à 25 % des crédits scientifiques “pour soutenir les capacités des organismes et universités à conduire une politique scientifique”.

Prudence et défense des territoires…

Cependant d’autres propositions, essentiellement sur la GRH, sont d’une prudence étonnante. Citons celle d’“analyser l’opportunité d’une fusion des corps d’enseignants-chercheurs” alors même que le rapport en approfondit l’intérêt, ou encore sur la ‘tenure track” pour le recrutement sur des “chaires d’excellence junior” chiffré à … 150 par an !

Des “oublis” sont également significatifs quant au débat possible autour de la fusion des statuts chercheurs-enseignants-chercheurs, même pas mentionné, sauf erreur de ma part (une régression par rapport à 2004 !).

Idem quant au “réexamen des compétences du Comité national du CNRS et du CNU” qui “pourrait être engagé afin de moderniser ces instances en les recentrant sur leur rôle de représentation des grands équilibres disciplinaires.”  Le problème est qu’une grande partie des mesures proposées vont se heurter à leur rôle et leur place qui sont de fait peu questionnés. Une stratégie ? Même pas sûr…

D’où un certain malaise à la lecture de ces rapports où, vieille habitude française, la multiplication des dispositifs apparaît la solution pour éviter de s’attaquer à l’essentiel ! Résultat, des propositions techniquement intéressantes mais dont chacun sait par avance qu’une grande partie d’entre elles sont impossibles à mettre en œuvre sans changement structurel. Un exemple ? Le serpent de mer de la mobilité universités-organismes. Le retard français en matière d’autonomie des universités y est résumé … à la capacité à mieux se coordonner avec le CNRS.

Les 2 limites de ces rapports

On sent donc dans ces 3 rapports l’équilibre permanent et fragile pour ménager les universités mais sans déranger les organismes et ne pas trop mécontenter CNU et CoNRS. En vain d’ailleurs, car quoiqu’il arrive ils seront mécontents ! Mais fait-on une politique avec ceci ? Ce sont les limites de ces rapports, quelles qu’en soient les qualités. Examinons en 2 :

La première, c’est la coupure formation-recherche. Une anecdote qui en dit long : page 7 du GT 1, on trouve un “avertissement” comprenant la définition de ce qu’est une université 3“université désigne l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, universités proprement dites, écoles ou instituts, quel que soit leur statut, établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), établissements publics à caractère administratif (EPA), etc.” ;… Dans n’importe quel pays au monde, on serait interloqué ? ! Seulement une anecdote ?

Faut-il le rappeler, y compris dans le Russel group et la Ivy League, aucun pays comparable n’évoquerait la recherche sans parler d’enseignement supérieur. Car peut-on parler du manque d’attractivité du doctorat et le réduire à une question de financement des contrats doctoraux ? Quid du vivier des masters et donc du lien enseignement-recherche ? Et s’agit-il simplement de réduire les heures d’enseignement des universitaires ou d’obtenir que tous les chercheurs enseignent, à un moment de leur parcours ? C’est ainsi qu’au fil des pages des 3 rapports, malgré un souci louable de défendre l’intérêt général de la recherche française, on navigue dans des compromis boiteux entre universités et organismes de recherche.

La seconde, c’est le trompe-l’œil des propositions sur l’organisation du système : “La programmation de la recherche ne peut pas s’envisager comme une simple augmentation des moyens : elle doit aussi s’accorder avec de profondes transformations dans son orientation et son organisation, afin qu’elle puisse relever plus efficacement et plus puissamment les défis qui se posent à elle” indique à juste titre l’un des rapports. Mais on cherche en vain des propositions systémiques…

Ou plutôt si : il est préconisé de “désigner comme chef de file un seul organisme de recherche, EPST ou EPIC, ayant la responsabilité de coordonner chaque grande priorité nationale déterminée par le Conseil stratégique de la recherche et de l’innovation.” Et parallèlement de “reconnaître les universités comme des opérateurs de recherche à part entière dans le code de la recherche et en tirer les conséquences stratégiques et budgétaires.” Elles ont de la chance ?!

Ce qui est donc proposé, c’est de confier aux opérateurs de recherche que sont les organismes, le soin de piloter les priorités nationales. Pourquoi pas, mais quid des Alliances thématiques, quid de la confusion entre programmateur et opérateur ? S’il faut faire une NSF, NIH etc, pourquoi le rapport ne va-t-il pas jusqu’au bout ? On sent poindre le retour des organismes qui vont s’évaluer eux-mêmes !

Le système américain, que Jean-Pierre Bourguignon saluait, ne brille pas seulement par la concentration des moyens mais par la clarté des missions des uns et des autres.

Un contexte politique à méditer

A part les propositions sur l’ANR, la clarification d’un paysage qui s’est hypercomplexifié passe donc au second plan, au risque d’ailleurs de poursuivre cette stratégie mortifère pour la performance de la recherche. Comme en 2004 (quel progrès ?), ce Yalta permettra-t-il aux communautés académiques de convaincre la Nation de mettre 5 Md€ par an en plus sur la table ?

Beaucoup des mesures proposées ne nécessitent pas une loi. Qui peut croire que ces sommes vont être lâchées comme ceci par une brutale conversion des élites de ce pays et un soudain intérêt de l’opinion publique ? C’est un fait, à part quelques parlementaires valeureux, les décideurs politiques, économiques et médiatiques, ne s’intéressent pas à l’ESR.

Le véritable enjeu réside dans la prise de conscience, ou non, de l’opinion publique, et partant des femmes et hommes politiques, que non seulement la recherche est aussi importante que l’agriculture ou encore la sécurité nationale, mais qu’elle seule dessine l’avenir d’une société. Y aura-t-il des Jean Perrin et des Joliot-Curie pour défendre et promouvoir la recherche ? Le dîner des intellectuels chez le président de la République les a montrés plus préoccupés d’eux-mêmes, à de rares exceptions près !

Pourtant le robinet à crédits reste ouvert pour certains secteurs de la société, grâce, comme le rappelait Bruno Le Maire, à des taux d’intérêt historiquement bas. Le Figaro soulignait ainsi que “pour l’heure, l’État se refinance à moyen et long terme à 0,17 %, contre 0,53 % en 2018 et 0,65 % en 2017. Dans ces conditions, Bercy est peu incité à infliger au pays une sévère cure d’amaigrissement. Il est d’ailleurs évidemment de bonne politique de s’endetter très peu cher pour investir sur des projets de bonne rentabilité.” Et la recherche, c’est rentable pour un pays. Encore faut-il savoir convaincre.

En attendant, promettre une recherche plus performante et plus compétitive en alignant les moyens sur ceux, par exemple, de l’Allemagne ou du Royaume-Uni donnera-t-il l’idée au gouvernement de s’aligner alors sur leurs modes de fonctionnement ?

Références

Références
1 Il faut dire que la lecture des rapports laisse une impression mitigée. Il existe pourtant de bonnes formations rédactionnelles dans les universités ? !
2 Ce que j’ai écrit à de multiples reprises à partir des rapports de S. Berger et J. Lewiner
3 “université désigne l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, universités proprement dites, écoles ou instituts, quel que soit leur statut, établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), établissements publics à caractère administratif (EPA), etc.” ;

3 Responses to “Loi recherche : 5 milliards d’euros pour quoi faire ?”

  1. Même sentiment à la lecture de ces rapports: des mesures techniquement intéressantes dont certaines commencent d’ailleurs à dater, mais aucune allusion à un quelconque changement systémique, même à la marge.
    Il est difficile de croire que les structures actuelles de l’ESRI français ne sont pour rien dans son recul dans la compétition mondiale et que des moyens accrus conjugués avec des mesures techniques et très ciblées suffiront à enrayer la dégradation.
    Et de toute façon je ne vois pas dans l’état actuel de l’opinion publique et la situation des finances publiques comment injecter des moyens supplémentaires dans les proportions demandées dans les rapports.
    Resteront peut-être les mesures techniques qui ne coûtent rien et ne changent pas les équilibres structurels.
    Je ne crois pas possible de faire l’économie d’une remise à plat bien plus large de notre système si on veut le redynamiser.

  2. Concernant l’adhésion de la population à des mesures de financement de la recherche et de l’ens Supérieur à la hauteur des enjeux et défis de nos sociétés – enjeux qui sont de taille puisqu’ils concernent chaque être humain – il serait peut-être opportun d’informer mieux et plus les citoyens et de mieux sensibiliser et former les décideurs de ce pays à ce que la recherche et la connaissance peuvent leur apporter. En s’appuyant par exemple sur les acteurs de la stratégie nationale de recherche publiée il y a 3 ans pour les citoyens et sur l’IHEST créé en 2006 pour la formation des dirigeants . J’ai sans doute mal lu, mais je n’ai pas trouvé excessive mention de ces deux outils dans le rapport.

  3. Je viens de retrouver un texte publié en 2005 par Jean Marc Schlenker dans les notes de la République des idées « De quoi manque la recherche fondamentale en France ?». Toujours d’actualité 14 ans après, hélas. A relire, pour se rendre compte que si la LPPR, ne comporte pas de mesures structurelles, ce sera un nième coup d’épée dans l’eau.

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