CAS Pensions, Key Labs et IA ont occupé mon actualité de ce début 2025. Mais il s’est passé évidemment beaucoup d’autres choses en janvier, février et mars : ‘Stand up for science’ et ‘trumpisation’ rampante en France, l’ombre de Poutine, une ‘casse’ limitée du budget ESR mais une ‘casse’ quand même, l’accélération du décrochage scientifique français, un doctorat marqueur des faiblesses françaises, des formations payantes en hausse chez les étudiants étrangers, mais marginales dans les universités.
La mise en place de la politique de D. Trump n’est une surprise que pour celles et ceux qui se voilaient la face. Les universités et les agences de recherche américaines font donc face à des attaques violentes contre les libertés académiques et la science. La volonté d’accueillir des scientifiques américains devrait être une priorité européenne 1Même si le Canada peut être une solution plus facile pour celles et ceux qui se sentent près à changer d’air scientifique.. En tout cas, l’initiative d’Aix-Marseille Université montre que l’on n’est pas obligé d’attendre une déclaration des pouvoirs publics, pourtant bienvenue. Cependant, pour être au niveau des conditions de recherche des scientifiques américains, il ne s’agira pas de salaire seulement…
‘Trumpisation’ : balayons devant notre porte aussi…
S’il faut se féliciter de la mobilisation « Stand up for science », il serait bien que ses initiateurs ne se contentent pas de rester précis sur les USA mais vagues en France. Certes, il y a des velléités de remise en cause des libertés académiques en France, mais qui restent à mon sens encore marginales. En revanche, la remise en cause insidieuse de la science est devenue, par ignorance ou militantisme, la plus grande menace.
Trop de décisions politiques sont prises sur la base de compromis ‘politiciens’ (ah l’hydrogène vert !) qui n’ont rien à voir avec la science, appuyées par une technostructure totalement ignorante de ces questions. De même, le service public, tant sur Radio France que sur France Télévision, multiplie les émissions qui véhiculent tranquillement des ‘fake news’ scientifiques, sans aucune réaction. N’importe quelle ONG peut ainsi y délivrer des discours non étayés ou mensongers, sans contrepoids au sein de ces médias : cancers pédiatriques, PFAS, nucléaire, ‘médecines douces’, pollution de l’eau potable, tout ceci sur fond de catastrophisme millénariste qui n’a rien à envier aux délires de l’Amérique conservatrice et religieuse. En quoi n’est-ce pas aussi condamnable que la torsion des faits sur CNews ?
La ‘gauche’ obscurantiste. En effet, si on a les antivax et anti-science à la droite de l’échiquier politique, une partie de la gauche n’est pas en reste et multiplie des prises de position obscurantistes. Faut-il rappeler qu’EELV décerne un prix Michèle Rivasi, décédée aujourd’hui, qui s’était acoquinée avec R. Kennedy Jr dans sa lutte contre les vaccins et avait promu l’idée du faussaire Wakefield de la responsabilité des vaccins ROR dans l’autisme ? Et qu’autour de cette mouvance circulent anti OGM, antinucléaires, anti-compteurs Linky, anti-ondes, pro-homéopathie, pro biodynamie, sourciers et sorcières et j’en passe ?
Le complotisme ‘chic’ au Monde. Cette lente ‘trumpisation’ de la pensée touche en réalité toutes les sphères, politiques, économiques ou médiatiques. La négation des faits et/ou leur instrumentalisation irriguent désormais les « grands » médias. Je conseille à mes lectrices et lecteurs de lire cette tribune de Stéphane Foucart, journaliste « scientifique » du Monde, lui qui agite en permanence toutes les peurs avec des accents complotistes. Intitulée « le cancer est au moins partiellement une maladie politique », elle aurait pu être signée par Robert Kennedy Jr. Sa conclusion : « Lorsque la maladie frappe, le premier réflexe est de s’interroger rétrospectivement sur ses habitudes de vie, son alimentation, les lieux qu’on a fréquentés : à la vérité, il faudrait aussi se demander pour qui on a voté. » Au-delà de la déhumanisation du propos pour les malades, il rend responsable de la maladie le vote de droite ou d’une certaine gauche. Du pur Trump, ou du CNews avec la même maladie du complotisme.
Fractures durables dans l’ombre de Poutine
Entend-on les scientifiques prompts à dénoncer Trump ou les médias Bolloré, s’insurger contre ces variantes obscurantistes de gauche ? Les figures pétitionnaires de la lutte contre le changement climatique, qui accusent sans cesse les autorités publiques d’ignorer la science, sont curieusement silencieuses dès que cette ignorance concerne leur camp.
Il faut dire que la lâcheté entre « chers et chères collègues » est une chose bien partagée. Dénoncer ces dérives serait faire le jeu de l’extrême-droite ? Bien non justement, car ce sont ces complotistes « de gauche » qui la légitiment en réalité, en reprenant ses codes, ceux de la sphère Bolloré, de CNews etc.
Reprenons. L’extrême-droite Bolloré-RN-souverainistes est donc ouvertement pro-Trump et pro-Poutine tandis que l’extrême gauche LFI-PCF, historiquement anti-OTAN et pro-Poutine s’est de facto rapprochée de Trump. En résumé, un remake des années 30/40, le pacte germano-soviétique à la française. Gauche et droite se fracturent sur le soutien à l’Ukraine et la communauté scientifique française n’y échappera pas non plus. Si la droite et l’extrême-droite sont faibles dans l’ESR (encore qu’il faille beaucoup nuancer vu le vote des jeunes et des fonctionnaires), les leaders d’opinion y sont marqués très à gauche, voire à l’extrême gauche. Ils/elles sont anti OTAN, anti Europe et même quand ils sont anti Poutine, ils sont pacifistes. Les pacifistes sont à l’ouest, les missiles à l’est, rappelait F. Mitterrand.
L’Europe ferait une grave erreur stratégique en ne misant pas sur la recherche, comme cela semble se dessiner autour du prochain programme Horizon, et comme le préconisait le rapport Draghi. Malgré cela, émettons l’hypothèse que le renforcement de la politique de Défense et de ses budgets aura peut-être 2 conséquences :
- d’abord une certitude : l’ESR ne sera pas une priorité, vu le contexte budgétaire 😒.
- ensuite un paradoxe : l’ESR sera incontournable, le défi pour les universités et les organismes de recherche étant de s’inscrire dans cette « nouvelle économie » qui va brasser des milliards et peut les rendre incontournables. Comment ? En formant des jeunes et en nouant des contrats de recherche avec l’industrie de la Défense. Le modèle Darpa en quelque sorte.
On entend déjà les cris d’orfraie des pro Poutine !
L’actualité du nouveau ministre
Comme tous les ministres de l’ESR, Philippe Baptiste s’est battu pour limiter la casse, pour un budget qui n’est jamais considéré comme majeur et prioritaire. La clause de revoyure de la LPR est pour l’instant en stand-by. Bref la routine de l’ESR depuis des décennies. Il peut à juste titre expliquer que les baisses ne concernent pas les programmes du MESR, c’est-à-dire les programmes 172 sur la recherche, 231 sur la vie étudiante et 150 sur les universités.« Ce sont des programmes qui dépendent d’autres ministères qui ont subi ce décalage, ce qui a produit cette baisse du budget de la Mires.
Encore le CAS Pensions. En résumé, le budget du MESR est « en progression par rapport à celui de 2024 » soit 300 M€ supplémentaires pour les universités et 200M€ pour la compensation intégrale du CAS Pensions (Mon billet sur ce sujet). Casse limitée donc… A propos du CAS Pensions, notons les explications alambiquées de la Cour des comptes, qui parle à propos des cotisations employeur de 78,5% de « convention comptable ». L’argument : l’État adapte ce taux aux besoins !
Supérieur privé : il n’est jamais trop tard mais… L’impuissance et le retard à l’allumage des pouvoirs publics sur les écoles privées aux pratiques commerciales mensongères ou frauduleuses ont été incroyables. Après des mois et des mois de tergiversations sur les labels, Qualiopi et j’en passe, E. Borne et Ph. Baptiste ont enfin annoncé un dispositif permettant d’exclure de Parcoursup ces formations. Et ils annoncent qu’une inspection interministérielle sera « missionnée pour une plus grande transparence du fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif », après leur rencontre avec le directeur général de Galileo Global Education, le 10 mars 2025. Fallait-il attendre la sortie du livre « Le Cube », de la journaliste Claire Marchal dont rend compte Le Monde autour notamment des dérives du groupe Galileo ? Alors que les alertes se multipliaient avec un documentaire de France Télévision ou encore une tribune de Laurent Batsch ? Attendons de voir si les pouvoirs publics agiront vraiment.
Enfin une présidente au HCERES ! Coralie Chevallier a donc été « validée » par le Parlement et nommée 2Les deux commissions ont émis un avis favorable à sa nomination., après des mois d’atermoiements. Auditionnée, la future présidente ne jette pas le bébé avec l’eau du bain et souhaite « augmenter la pertinence des évaluations » du HCERES, Évoquant un « paradoxe » – le HCERES est une « institution solide » mais ses évaluations « peinent à susciter l’adhésion » -, elle propose trois axes de travail : renforcer l’impact des évaluations et les personnaliser ; aller « plus loin » sur la simplification ; « adapter l’action » à divers enjeux stratégiques. La « fronde » contre les évaluations de la vague E concernant les formations est son premier dossier. Aura-t-on un jour en France une évaluation non contestée et suivie d’effets ?
La France poursuit son décrochage scientifique
L’OST (Observatoire des sciences et techniques) du HCERES a procédé à une analyse fouillée et nuancée de la place de la France. Et le bilan n’est pas bon du tout. Entre 2010 et 2022, la France est passée du 6ème au 13ème rang mondial, même si cette position varie selon les corpus et indicateurs 3Afin d’éviter les « biais » de la bibliométrie, l’OST est parti « de différents corpus », les 3 principaux étant : le corpus « total », le corpus « anglais » restreint aux publications en anglais, le corpus « revues 1er décile » restreint aux articles parus dans les 10 % des revues et actes de conférences les plus cités.. Pas réjouissant tout ça ! Et ce n’est pas la faute des pays émergents : dans de nombreux secteurs, dont l’ERC, un petit pays comme les Pays-Bas fait mieux. Et l’OST en est à souligner la performance française face à celles de l’Espagne et de la Russie…
Des SHS françaises en chute libre au niveau mondial. Quant au « profil disciplinaire spécifique » de la France, les mathématiques restent la première discipline de spécialisation de la France, avec une part de ses publications 70 % plus élevée que celle de la discipline dans le total mondial, soit un indice de 1,7 et « cette forte spécialisation se maintient, voire se renforce sur les autres corpus étudiés ». Les autres disciplines de nette spécialisation, avec des indices de spécialisation de 1,2, « sont la biologie fondamentale, la physique, les sciences de la Terre et de l’Univers, les sciences humaines », poursuit l’OST, notant que « la spécialisation en biologie fondamentale et en physique se maintient sur les corpus sélectifs ». En revanche, « elle se tasse en sciences de la Terre et de l’Univers dans le corpus des revues les plus citées ». Enfin, « elle disparaît en sciences humaines, à la fois dans le corpus anglais et dans le corpus des revues les plus citées (l’indice passe de 1,2 à 0,7 ou 0,6) », constate l’OST.
Le doctorat marqueur des faiblesses du pays
Une note du SIES-MESR titre « Comparaisons internationales sur le doctorat : l’attractivité française avérée ». Malheureusement ce cocorico doit être tempéré par la lecture attentive de la note. Certes la formation doctorale française fait partie des plus attractives à l’international, « avec 38 % de doctorants étrangers mobiles, contre 25 % pour l’ensemble de l’UE. » Mais la réalité, c’est que la France ne compte que 2,0 %, de ses étudiants en doctorat contre 3,7 % en moyenne pour l’UE et 2,8 % pour l’OCDE.
Et le constat suivant est sans appel concernant la part des docteurs dans la population française :
Enfin, la faiblesse française est particulièrement marquée dans 2 secteurs clés : l’ingénierie et la santé. Faut-il commenter les conséquences pour notre pays ?
Droits différenciés : un coup d’épée dans l’eau
9 600 étudiants se sont acquittés d’un tarif plein … sur 108 100 étudiants extracommunautaires, selon une note flash du SIES-MESR, à la rentrée 2023-2024. 13 800 en ont été totalement exonérés et 84 600 en ont été « partiellement exonérés ». On peut y voir la résistance sur ce qui serait une rupture de l’égalité ou le manque de courage des établissements pour faire payer les riches… A vous de voir !
Il n’y a donc pas la « catastrophe » attendue par certains. Selon CampusFrance, en 2023-2024, la France a accueilli quelque 430 466 étudiants (+ 4,5 %) sachant que si « les universités continuent d’attirer la majorité des étudiants (63 %), les effectifs d’étudiants n’y augmentent que de 2 % alors que cette croissance est de 11 % dans les écoles de commerce et de 9 % dans les écoles d’ingénieurs ». Curieusement, la croissance du nombre d’étudiants étrangers est la plus forte là où c’est payant, la plus faible là où c’est gratuit (ou presque).
L’enjeu de la précarité. La Cour des comptes chiffre de son côté le manque à gagner : le produit des droits d’inscription différenciés « pourrait avoisiner entre 4 M€ en 2019-2020 et 26 M€ en 2022-2023 ». Par rapport à une situation sans exonération, proche de ce qui était envisagé au lancement de la stratégie, « le manque de recettes s’élève à 308 M€ en 2022-2023, un écart très substantiel », souligne le rapport. Elle remarque surtout, à la suite de l’OVE, que la précarité financière est « prégnante en France » pour une partie des étudiants internationaux.
Pourquoi ? Parce qu’elle « est entretenue par un seuil de ressources financières minimales exigées peu élevé en France, équivalent à 615 € par mois », qui estime que « la revalorisation et l’indexation de ce seuil sont indispensables ». D’autant que son niveau « laisse penser aux candidats étrangers qu’il s’agit d’un budget suffisant pour vivre en France, alors qu’il ne représente que 60 % du seuil de pauvreté et que l’allocation mensuelle attribuée aux boursiers du gouvernement français est, elle, de 860 € par mois ». La Cour suggère ainsi « de faire des bourses un levier de la politique d’attractivité, en augmentant l’offre de bourses d’établissements et en renforçant la durée et le montant des bourses du gouvernement français pour les publics prioritaires ». Logique non ?
Références
↑1 | Même si le Canada peut être une solution plus facile pour celles et ceux qui se sentent près à changer d’air scientifique. |
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↑2 | Les deux commissions ont émis un avis favorable à sa nomination. |
↑3 | Afin d’éviter les « biais » de la bibliométrie, l’OST est parti « de différents corpus », les 3 principaux étant : le corpus « total », le corpus « anglais » restreint aux publications en anglais, le corpus « revues 1er décile » restreint aux articles parus dans les 10 % des revues et actes de conférences les plus cités. |