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Peut-on encore parler de Grandes écoles, en dehors de l’acronyme CGE ? Le grand écart n’est pas loin au vu de leurs intérêts contradictoires. Une partie de ses membres est connectée structurellement aux universités et/ou à une tutelle ministérielle, une autre est liée (encore) aux CCI, et une autre est totalement privée. Cet équilibre précaire et ancien peut-il survivre non seulement aux tensions financières, mais à la volonté des pouvoirs publics d’une convergence, tant dans Parcoursup qu’au travers de l’ordonnance ?

Club d’influence, la CGE n’est plus ce qu’elle était en 1998, lorsqu’elle pesait de toutes ses forces contre les conclusions du rapport Attali…en l’ignorant ! A l’époque, les Grandes écoles étaient incarnées par l’X, HEC, Centrale, les Mines etc. On assiste aujourd’hui à une redistribution des cartes.

Aujourd’hui, les Grandes écoles historiques ont d’autres soucis et d’autres objectifs : la scène d’influence s’est déplacée, à l’international, ou sur des projets propres (NewUni, Paris-Saclay, PSL). La Fesic défend une part importante des intérêts du privé tandis que le Chapitre des écoles de management essaie de fédérer les écoles du même objet.

Enfin, de grands groupes privés émergent. Galiléo envisage ainsi de reprendre des actifs des CCI…

Une hétérogénéité grandissante

Dans ce contexte, il apparaît donc difficile pour la CGE d’apporter une réponse unique. La politique d’expansion de la CGE débouche aujourd’hui sur une cacophonie…que seules jusqu’à présent les universités avaient connue !

Car quoi de commun entre l’EDC Paris Business school, au cœur d’une polémique sur la qualité de son enseignement, l’Ipag dont le directeur Guillaume Bigot est accusé par certains de ses collègues (dont Alice Guilhon) de développer autour des migrants une idéologie nauséabonde, et l’université Paris Dauphine ou encore les « majors » des écoles de management ?

Que partagent HEC, l’Essec ou l’ESCP Europe avec la petite école de commerce qui lutte pour sa survie ? Et quoi de commun entre telle ou telle petite école d’ingénieurs, composante d’université et l’X ?

Bref, la CGE ressemble de plus en plus à un attelage baroque face à des universités qui pourraient presque passer pour des modèles d’homogénéité ! Elle rencontre de fait les mêmes difficultés stratégiques que ces dernières, tiraillées entre des intérêts contradictoires, entre les universités de recherche et les universités petites et moyennes.

Mais avec une différence de taille : les statuts, les personnels et les règles rassemblent les universités au-delà du débat sur l’excellence, tandis que les écoles sont engagées dans des stratégies de plus en plus diverses.

Les enjeux pour la CGE

Évidemment, la CGE ne va pas disparaître ou éclater : elle reste un outil d’influence. L’ordonnance pourrait avoir une vertu, conforter l’unité des Grandes écoles ou un défaut majeur, les diviser.

La pression à l’intégration, notamment des écoles d’ingénieurs, va être forte. Rien n’est évidemment joué, les écoles ayant montré par le passé leurs capacités à défendre leur pré carré ou leur identité selon l’opinion que l’on a.

Car, c’est un secret de Polichinelle, un des objectifs des pouvoirs publics, est de faire bouger les lignes sur la fragmentation du système français. Le Pdg du CNRS Antoine Petit a allumé la première mèche sur la tutelle des UMR avec un message clair : les écoles d’ingénieurs n’ont pas la taille critique en termes de recherche.

Une succession de signaux faibles, mais aussi parfois forts, sur tous les sujets peut justifier l’inquiétude de ce qu’il faut encore appeler les Grands écoles, même si ce terme fait désormais sourire à propos de la CGE.

Parcoursup ? Tout le monde devra y être, ce qui conduira, outre les problématiques nouvelles d’organisation des concours, à davantage de transparence. Et in fine, comme pour les filières universitaires, la possibilité de comparer et choisir.

L’eldorado du Bachelor, avec le grade de licence, ne sera pas une jungle selon le MESRI : sous entendu certaines des écoles membres de la CGE ne pourront y prétendre.

Quant à l’apprentissage, la refonte du modèle, au-delà des questions techniques, pose la question de la capacité d’adaptation des écoles et de leur modèle économique.

Le contenu des formations

C’est dire si la CGE va devoir batailler pour maintenir son influence comme conférence, le risque étant que chacun joue encore plus qu’avant sa carte. Maintenir le label Grande école comme gage de qualité pour les familles, les jeunes, les entreprises, va devenir un défi face à cette hétérogénéité. Surtout si le bachelor avec grade de licence n’est pas reconnu pour une partie de ses membres.

Face à une hausse continue des frais d’inscription, le contenu des formations va être scruté comme jamais.

Traditionnellement, les « Grandes écoles » sont vues comme performantes « en soi », sélectionnant les meilleurs  et fournissant en sortie toujours les meilleurs. La récente étude sur le concours de l’X permet au passage d’avoir un regard différent sur cette notion de performance ?.

J’ai déjà abordé cette question de façon un peu polémique. De nombreuses écoles tentent déjà de faire évoluer le contenu de leurs enseignements. Le projet de l’Inseec avec Isabelle Barth, qui veut remettre les humanités au centre, est un signal de plus.

Il s’agit de prendre en compte les attentes des étudiants, qui sont aussi des clients dans ce cas, mais évidemment celles des entreprises.

Un acteur, pas des moindres, nous alerte sur ces sujets, à partir de la recherche. Son analyse mérite que l’on s’y arrête. Dans le Monde, Jean Tirole juge à propos de l’ouverture de la recherche en économie « qu’elle se limite le plus souvent à un croisement entre deux disciplines et une influence, par exemple, de la psychologie sur une étude d’économie, ou de l’économie sur un projet de recherche en histoire. Ces croisements bilatéraux sont un excellent début, mais ne sauraient être un aboutissement satisfaisant du rapprochement en cours des sciences sociales. »

Ce plaidoyer peut s’appliquer évidemment aux autres disciplines des sciences sociales et Jean Tirole enfonce le clou : « Je pense que la science sociale de demain sera plus unifiée qu’aujourd’hui et que les scientifiques y laisseront peu à peu disparaître leurs différentes étiquettes pour qu’elles soient reléguées au second plan d’un ensemble unifié de connaissances. »

Cette alerte sur la recherche et évidemment aussi sur l’enseignement s’applique à toutes les institutions. C’est en ce sens que je m’interrogeais sur la capacité des Business schools françaises à former leurs étudiants à l’économie de l’innovation, c’est à dire la société d’aujourd’hui.

Évidemment, les formations dispensées dans ces écoles ne sont pas responsables de la crise économique durable qu’a connue notre pays et sa difficulté à sortir d’un chômage de masse. Mais je crois qu’il est pertinent qu’elles se posent la question de leur apport et du contenu de leurs formations.

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