Le chiffre attendu est sorti en pleine crise du Coronavirus : le budget consacré à la recherche serait augmenté de 5 milliards d’€ à 10 ans, de 25 à 30 milliards d’€. Quels que soient les aléas budgétaires, l’histoire montre des évolutions significatives à l’image des dernières lois de programmation de la recherche en 1982 et 2006. L’enjeu pour 2020 est de savoir si la crise du COVID-19 fera, enfin, de la recherche un enjeu pour la société française dans toutes ses composantes. Et qui ne se limite pas à la santé lorsque l’on mesure les tensions sociales et économiques à venir.
Rappelons le contexte de cette LPPR : à l’issue de ses travaux, le groupe de travail sur la LPPR formulait des « demandes financières » à hauteur d’une fourchette comprise entre 2 010 et 3 620 M€ par an, répartie en 2 catégories : des crédits budgétaires entre 1 090 M€ et 2 540 M€ ; des crédits PIA 4 entre 920 M€ et 1080 M€.
De son côté, la CPU chiffrait le besoin à 1 milliard d’€ pendant 5 ans pour atteindre 1% du PIB consacré à la recherche publique. Quant aux syndicats et diverses instances élues, ou non, les chiffrages se rejoignaient autour de ce milliard par an.
Dans une grande confusion (qui en a plongé plus d’un dans l’expectative sur le sens des annonces), le MESRI a donc annoncé 5 milliards de plus sur 10 ans, ce qui signifie en réalité que pour accroître le budget de 5 Md€, il faut réinjecter plus de 25 Md€ en cumulé. Cela commencera par une augmentation de 400 M€ par an entre 2021 et 2023, puis de 500 M€ par an de 2025 à 2027, pour finir à 600 M€ de plus par an entre 2028 et 2030. L’engagement est pris de + 400 M€ dès 2021, sans attendre le vote de la loi de programmation, et de nombreuses mesures seront prises sans passer par cette dernière.
La seule mesure objective
Passons en revue quelques questions financières soulevées par cette annonce. Rappelons d’abord que le propre d’une loi de programmation, c’est qu’elle est vouée à ne pas être respectée, surtout lorsque l’horizon est à 10 ans, au-delà du mandat du président de la République donc… Les précédentes lois de programmation, sur 5 ans maximum, ne l’ont jamais été (Voir infra).
Un petit retour sur les lois de programmation de la recherche de 1982 et 2006 montre cependant que, même si les promesses de moyens financiers sur la durée ne sont pas tenues, de réels changements sont opérés, quoique l’on en pense. En quelque sorte un signal pas seulement financier.
Il y a aussi ce paradoxe très français qui complique les comparaisons, au vu de l’organisation de l’ESR : la volonté permanente de dissocier enseignement supérieur et recherche, ce qui se révèle toujours impossible. Le train de la recherche ne risque-t-il pas de cacher celui de l’enseignement supérieur et de sa croissance ? Attention au risque d’accident ?…
Enfin, quelle sera la part, vu la crise du COVID-19, de la recherche médicale ? Quels seront les effets d’un préciput à 40% ? Les financements supplémentaires auront-ils une influence sur la croissance du CIR ?
Mais la mesure de tout, la seule norme comparable est celle-ci : la France rejoindra-t-elle, par exemple, l’Allemagne avec 1% du PIB consacré à la recherche publique ? Et sa recherche privée rivalisera-t-elle enfin avec celle des pays les plus avancés, soit a minima 2% du PIB ?
La loi de 1982
Prenons l’exemple de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, dite loi « Chevènement ». Elle comprenait 30 articles et de copieuses annexes, d’ailleurs très « bavardes ». De fait, en 1982, il s’agissait essentiellement de mettre au centre les organismes de recherche (avec la création des EPST), de titulariser leurs personnels et de soutenir la stratégie française en matière technologique. Pour mémoire, le budget civil de recherche et de développement technologique (la dénomination de l’époque), s’élevait à 25,4 milliards de francs en 1982 (8,8 Md€ 2019).
Financement. Son article 2 stipulait que « pour atteindre l’objectif retenu par le plan intérimaire tendant à porter à 2,5 % en 1985 la part du produit intérieur brut consacrée aux dépenses de recherche et de développement technologique, les crédits inscrits au budget civil de recherche et de développement technologique progresseront à un rythme moyen annuel de 17,8 % en volume d’ici 1985, et les effectifs employés dans la recherche publique croîtront au rythme moyen annuel de 4,5 %. »
Selon Le Monde, dès le budget 1983, l’Inserm bénéficiait de 230 créations de postes, soit +6%, 540 au CNRS (soit +2,3%) et 210 à l’INRA (+ 2,8%). Mais ces substantielles hausses de budget des organismes de recherche, outre la fonctionnarisation massive, seront freinées ou stoppées par le tournant de la rigueur de 1983.
Fonctionnarisation massive. Devant le Sénat en avril 1982, Jean-Pierre Chevènement indiquait que » la création de corps des personnels de recherche ne fait que consacrer la stabilité de l’emploi déjà acquise par ceux-ci et que cet alignement de la gestion des personnels de recherche sur la fonction publique donnera, au contraire, de nouvelles motivations aux chercheurs. »
Mobilité des personnels. Les universités sont globalement absentes (la loi Savary de 1984 leur sera consacré) mais surtout l’objectif est la connexion entre la recherche publique et le développement technologique. Ainsi l’article 25 prévoit notamment que les statuts des chercheurs « doivent favoriser la libre circulation des idées et, sans préjudice pour leur carrière, la mobilité des personnels entre les divers métiers de la recherche au sein du même organisme, entre les services publics de toute nature, les différents établissements publics de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, et entre ces services et établissements et les entreprises. »
Crédits incitatifs et récurrents. Curieusement oubliée par une partie des admirateurs de cette loi, elle précise concernant la recherche fondamentale, que si elle « a besoin d’un financement régulier, » afin de permettre « un soutien des équipes de pointe et de favoriser l’émergence de thèmes ou de disciplines nouvelles, les crédits courants, et ceux qui assurent une politique d’incitation, seront équilibrés. De plus, l’attention sera non seulement portée sur les catégories disciplinaires déjà classées, mais également sur celles qui peuvent représenter un surgissement pour l’avenir, bien qu’elles soient encore indisciplinées et non programmables. »
La loi de 2006
La loi du 18 avril 2006, et ses 51 articles est adoptée après le mouvement des chercheurs de 2004. Elle va graver dans le marbre l’existence de l’ANR, créer l’Aeres et surtout promettre une programmation sur 5 ans. Mais son périmètre n’est pas le même que celle de 1982 car elle inclut une partie du budget de l’enseignement supérieur, hors vie étudiante. Elle sera vite abandonnée avec la LRU de 2007 et le lancement du PIA 1. Avec les instruments du PIA, puis la loi Fioraso de 2013, cette loi de programmation va en réalité amorcer le sentiment de meccano institutionnel permanent, tandis que l’ANR verra son financement progressivement réduit.
Financement. L’objectif était d’ajouter 1 milliard d’€ (de 18,5 Md€ en 2004 à 19,5 Md€ étalés de 2005 à 2010). Les dépenses fiscales (à savoir le Crédit impôt recherche) étaient prévues à hauteur de 1,7Md€ en 2010 (elles sont désormais de plus de 6Md€). Quant à l’ANR, il était prévu en 2010 1,5 Md€ ( 1,6Md€ en valeur 2019). Le MESRI prévoit aujourd’hui une trajectoire à 1 Md€.
Millefeuille. Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, réseaux thématiques de recherche avancée, centres thématiques de recherche et de soins, établissements publics de coopération scientifique et fondations de coopération scientifique, tout y passe ou presque ! Sans parler évidemment de l’ANR et de l’Aeres ou des articles sur les Académies.
Inventaire à la Prévert. L’assouplissement des marchés publics pour la recherche est traité de même que les écoles doctorales et le doctorat. Enfin, suite à un conflit social à l’Essec, une sorte de ‘cavalier’ est adopté pour les « Enseignants non permanents des établissements d’enseignement supérieur privé ». Il faut relever cet article sur sur le projet Iter avec une perle : « Le Commissariat à l’énergie atomique est autorisé à défricher les terrains nécessaires à la réalisation du projet ITER, situés sur le territoire de la commune de Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône), sous réserve de l’approbation par le ministre chargé des forêts des modalités de ce défrichement. » ?
Évaluation. Outre la définition des missions de l’Aeres (objet d’une rude bataille !), il est intéressant de souligner que dans son article 8, à propos de l’évaluation des activités de recherche et d’enseignement supérieur, il est indiqué (article L. 311-2 du code de la recherche et l’article L. 711-1 du code de l’éducation) que « l’Etat tient compte des résultats de l’évaluation réalisée par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (…) pour déterminer les engagements financiers qu’il prend envers les établissements dans le cadre des contrats pluriannuels susmentionnés. »
Ce dernier point illustre à merveille cette inflation législative et les débats infinis dont notre pays est coutumier : l’allocation des moyens en fonction de l’évaluation existe juridiquement, mais n’a jamais été mise en œuvre. Comme l’évaluation des enseignements.
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