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Que s’est-il donc passé pour l’enseignement supérieur durant le septennat de V. Giscard d’Estaing ? Témoin engagé de l’époque, j’ai fait appel à mes souvenirs d’étudiant qui hurlait « Patrons hors des facs » 😀 mais plus sûrement aux archives, celles du Monde, et au livre de Charles Mercier sur un acteur majeur des universités des années Giscard, René Rémond. On y perçoit des évolutions considérables mais aussi des blocages persistants.

On l’a oublié : même après le choc de mai 68, l’enseignement supérieur a continué de relever du ministère de l’Education nationale. C’est V. Giscard d’Estaing qui va amorcer une rupture en créant un secrétariat d’Etat aux universités, attribué à Jean-Pierre Soisson jusqu’en janvier 1976. Il sera remplacé par Alice Saunier-Seïté, qui deviendra ministre de plein exercice en janvier 1978 jusqu’en mai 1981. Notons que la dénomination n’était pas « enseignement supérieur » et encore moins « enseignement supérieur et recherche », mais universités.

Quant à la recherche, elle était politiquement réduite à la portion congrue, vue comme un appendice de l’industrie 1Sous G. Pompidou, les gouvernements Chaban-Delmas et Messmer instaurèrent un Ministère du Développement industriel et scientifique.. En 1974, le gouvernement de J. Chirac comprendra un portefeuille ministériel de l’Industrie et de la Recherche, occupé par un très proche de VGE, Michel d’Ornano. Ce dernier poursuivra dans le premier gouvernement de R. Barre (août 1976 à mars 1977). Dans le gouvernement Barre II (mars 1977 à mars 1978), changement de paradigme : ce ministère devient celui de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat 😀… En revanche est créé un secrétariat d’État auprès du Premier ministre, chargé de la Recherche. Dans le gouvernement Barre III, il sera occupé par Pierre Aigrain, un scientifique, une première.

On le voit, le septennat de VGE marqua  un changement notable, qui s’il connut des hauts et des bas, fit de l’enseignement supérieur un secteur distinct de l’éducation nationale. Désormais, grâce à VGE 😊, à chaque changement de gouvernement, le milieu s’interroge : un ministère de plein exercice sera-t-il maintenu ?

2 personnalités vont occuper le devant de la scène ministérielle : Jean-Pierre Soisson et Alice Saunier-Seïté. Comme tous les responsables politiques dans ce secteur, ils seront confrontés à la question lancinante des moyens. On peut d’ailleurs sourire sur la récurrence du feuilleton des universités en déficit, des postes insuffisants ou encore de ce que l’on n’appelait pas alors la « précarisation ».

Mais je voudrais me concentrer dans ce billet sur l’aspect enseignement supérieur sur 2 questions de fond, l’une dépassée, la professionnalisation des formations, l’autre non, l’autonomie des universités.

La période Soisson

Issu de la droite modérée, proche d’E. Faure avec lequel il a travaillé à la loi du même nom, Jean-Pierre Soisson est un fervent partisan de l’autonomie universitaire et formera, avec René Rémond, président de Nanterre et vice-président de la CPU, un véritable duo. A tel point que Charles Mercier, dans son livre sur René Rémond et la politique universitaire pos 68, estime que l’alliance Soisson-Rémond préfigure la loi Pécresse « matrice des développements ultérieurs de l’autonomie universitaire, matrice paradoxalement peu reconnue comme telle par les chercheurs, peut-être parce qu’elle est immédiatement suivie par le raidissement centralisateur de 1976-1981. »

L’autonomie pédagogique était une source de crispation puisque tout passait par le ministère, de même que les aspects de gestion courante : en décembre 1974, les présidents reçurent une circulaire fixant les dates des vacances universitaires à partir d’un décret de 1885…Eternelle administration française !

Jean-Pierre Soisson fut il est vrai rapidement isolé dans son propre camp 2Il appellera d’ailleurs à voter F. Mitterrand en 1988., notamment pour sa défense de la loi Faure, supposée être responsable de tous les maux universitaires et de favoriser la main-mise de la gauche et notamment du PCF sur les universités.

Car à l’époque, la comptabilité des résultats électoraux universitaires, restituait le clivage droite-gauche dont mai 81 allait être le sommet. Ainsi, dans l’entourage de VGE, chez les parlementaires de la majorité, et avec le lobbying actif du syndicat autonome, il fallait tout faire pour éviter que les universités, et donc leurs présidents « tombent » à gauche. C’est d’ailleurs l’une des explications de la scission organisée de l’université de Clermont-Ferrand…

Pour cela, 2 armes furent conçues, armes qu’Alice Saunier-Seïté employa sans nuances :

  • renforcer le poids des professeurs dans la gouvernance des universités (limitation de la représentation étudiante avec un quorum, loi Sauvage en 1980).
  • renforcer le rôle des recteurs et de la tutelle.

La période Saunier-Seïté

Son baptême du feu va pourtant d’abord être une longue grève étudiante contre une réforme du 2ème cycle … Ironie de l’Histoire, elle avait été conçue par Jean-Pierre Soisson et son directeur de l’enseignement supérieur Jean-Louis Quermonne, ancien président de Grenoble-II, en accord avec une bonne partie des présidents d’université.

Universitaire elle-même, Alice Saunier-Seïté accepte mal les « conseils » de la CPU et en particulier de René Rémond, ce qu’elle perçoit comme de la condescendance et du mépris pour elle, ancienne institutrice. Et elle reste très attachée à sa fonction précédente de rectrice : l’obéissance hiérarchique y est un dogme. Par ses injonctions, elle va rapidement se mettre à dos les journalistes (qu’elle boycotte souvent) et une grande partie des présidents d’université, sans parler des étudiants.

Mais elle va rencontrer dans l’opinion publique, par son langage plus que direct, un certain succès. Dans l’Express du 15 février 1976, elle estime que « les universités françaises ont perdu beaucoup de leur crédibilité », ajoutant que « l’Université a confondu, depuis cinq ans, liberté intellectuelle et liberté dans l’organisation » et qu’elle ne doit pas « être synonyme de gaspillage ». On a connu plus diplomate !

L’injonction professionnalisante

Sans entrer dans les détails de l’arrêté du 16 janvier 1976 (qui va connaître moults négociations), son objectif est de renforcer la place du monde de l’entreprise dans la conception l’évaluation et la mise en œuvre des formations à l’échelle nationale comme au niveau des établissements.  Mais à l’inverse de l’autonomie pédagogique et l’allègement des procédures réclamées par les universités, elles sont fermement « invitées » à ne pas demander l’habilitation de formation sans débouché professionnel.

Alice Saunier-Seïté souligne, à juste titre, que nombre de formations « absorbent beaucoup de moyens tout en ne concernant qu’un petit nombre d’étudiants. » Résultat, c’est pour beaucoup la crainte d’une sélection déguisée dans le cadre d’une université utilitariste rejetant la culture désintéressée. Le tout « sous la pression du grand capital » évidemment ! Ajoutons que la réforme de la formation des maîtres de R. Haby (oui déjà…) semble aller dans le sens de dessaisir les universités, et on a les ingrédients d’une crise, puisque Capes et Agreg sont à l’époque un débouché majeur pour les étudiants…mais aussi pour leurs professeurs !

Sur tous les aspects de la vie universitaire, la ministre a une idée claire pour ne pas dire simple : il faut remettre de l’ordre. Il faut dire qu’un rapport de la Cour des comptes sur les IUT lui donne du grain à moudre : peu de représentants des entreprises pour donner des cours (8% au lieu des 33% prévus), des heures complémentaires absorbées par les enseignants-titulaires, des capacités d’accueil non-remplies etc.

Peut-on d’ailleurs lui donner complètement tort ? La réalité gestionnaire des universités de l’époque est proche du niveau zéro, celles-ci étant pilotées en réalité par des individus, chacun ouvrant son diplôme, les doublons étant nombreux. Résultat, la hantise de la fameuse « carte universitaire » devient un leitmotiv, avec la peur de l’instauration de collèges universitaires, la fermeture de formations etc. Et déjà, le débat autour de pôles d’excellence puisque la ministre entend développer la recherche universitaire mais autour des « meilleurs » 3Je n’aborde pas ici les débat sur la réforme des carrières, mais qui font aussi écho à ceux d’aujourd’hui..

Donc il faut contrôler, revoir les habilitations etc. De façon caricaturale, après la grève du printemps 1976, un recteur, celui de l’académie de Versailles Pierre Albarède, ira jusqu’à demander les sujets d’examens à Nanterre pour vérifier qu’il n’y a pas de complaisance ! Sans succès évidemment 😀…

Pourtant, en réalité, de nombreuses universités ont commencé à mettre en place (en plus des DUT), des filières professionnalisantes : ainsi à Paris-XIII Villetaneuse, c’est un président d’université… membre du PCF qui est cité en exemple par un hebdomadaire économique (Le Nouvel économiste) pour avoir créé des Maîtrises des sciences et techniques, sur le principe anticipé de l’arrêté controversé 4Je ne suis pas objectif car j’ai contribué, comme militant de la future UNEF indépendante et démocratique d’obédience trotskiste, à organiser la grève contre ce président d’université….

Peut-on parler de victoire « posthume » d’Alice Saunier-Seïté ?

Avec le recul, c’est bien l’approche une fois de plus centraliste combinée à un « adéquationnisme » dogmatique sur le lien formation-emploi, qui a mis le feu aux poudres, dans un contexte de croissance d’un chômage de masse. La position (voir infra) des présidents d’universités qui tentèrent de désamorcer la crise étudiante, illustre à la fois la continuité et l’évolution des esprits universitaires. Car sur le fond, les idées présentes dans l’arrêté de janvier 1976 ont fait florès. Elle ne rencontrent plus d’opposition réelle, mais suscitent une multitude d’initiatives.

De fait, la réforme de 1976 ne s’appliquera pas telle quelle : elle se mettra en place dans le cadre des initiatives autonomes des établissements, et sous leur contrôle. A l’inverse de la vision centralisatrice d’A. Saunier-Seïté, on peut dire que l’autonomie des universités a pris le dessus, en épousant de façon pragmatique un mouvement de fond. C’est celui de la demande sociale des familles, des étudiants, et des entreprises.

Vous l’avez compris, j’ai  évoqué les 2 ministres mais pas vraiment VGE  : malgré quelques déclarations favorables à l’autonomie des universités, c’était pour lui (comme pour beaucoup d’autres ?) un sujet secondaire. Quant à R. Barre, même s’il a reçu régulièrement ses collègues présidents, la priorité était de réduire la dépense publique et le déficit… Surtout, leur base électorale, y compris au sein de l’ESR, était à la fois malthusienne et peu intéressée par la recherche comme condition première de l’innovation.

C’est donc sous la gauche arrivée au pouvoir qui va être donné un coup de fouet…à la professionnalisation des formations. Les « patrons dans les facs », c’est elle !

Remarquons en conclusion que les prédictions catastrophistes des uns et des autres, et notamment des syndicats (j’en étais !) ne se sont jamais réalisées : les effectifs étudiants ont explosé, la diversité sociale dans les universités a progressé, et l’insertion professionnelle des diplômés est plutôt globalement satisfaisante. Quant à la fameuse « privatisation » des universités, elle s’est surtout manifestée par le développement de l’enseignement supérieur privé. Etudier les neiges d’antan dans l’enseignement supérieur (et la recherche) c’est donc sourire devant les gourous auto-proclamés de la disparition des universités, de la recherche etc., bref nos collapsologues universitaires. C’est un tout petit peu plus complexe…

Je souhaite à toutes les lectrices et à tous mes lecteurs de belles fêtes de fin d’année ! Prenez soin de vous. Et à 2021.


La position des présidents d’université en avril 1976

Voici la retranscription faite par Le Monde à l’époque.

Le 26 avril 1976, la commission permanente de la conférence des présidents d’université, proposait l’annulation de la circulaire du 25 février 1976 portant sur l’application de la réforme du second cycle, et demandait des garanties, sur 8 points controversés de la réforme.

1) Les formations fondamentales actuellement dispensées seront reconduites « sur simple demande «  des universités.

2) Des « critères nationaux d’habilitation », sur lesquels le secrétariat d’État pourra se fonder pour autoriser ou non les universités à délivrer tel ou tel diplôme, seront définis « en association avec le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et la conférence des présidents ».

3) La licence ne sera pas un diplôme terminal « dans les formations fondamentales conduisant aux carrières de l’enseignement et de la recherche ».

4) Les universités ne pourront pas fixer elles-mêmes des « règles d’accès différentes » pour des formations identiques.

5) Les habilitations pour les futures licences et maîtrises seront accordées « indépendamment des délais précisés » (dans l’arrêté) c’est-à-dire des cinq ans au bout desquels elles peuvent théoriquement être retirées par le secrétariat d’État.

6) Les membres des « groupes d’études techniques ». Chargés de donner leur avis sur ces habilitations, et qui seront en partie des « représentants des intérêts économiques », ils pourront être désignés par le secrétariat d’État « sur proposition du CNESER, du comité consultatif des universités et de la conférence des présidents ».

7) Ces groupes d’études techniques auront un rôle « exclusivement consultatif « .

8) Des moyens supplémentaires seront attribués aux universités pour la mise en place de la réforme.

Références

Références
1 Sous G. Pompidou, les gouvernements Chaban-Delmas et Messmer instaurèrent un Ministère du Développement industriel et scientifique.
2 Il appellera d’ailleurs à voter F. Mitterrand en 1988.
3 Je n’aborde pas ici les débat sur la réforme des carrières, mais qui font aussi écho à ceux d’aujourd’hui.
4 Je ne suis pas objectif car j’ai contribué, comme militant de la future UNEF indépendante et démocratique d’obédience trotskiste, à organiser la grève contre ce président d’université…

7 Responses to “Mes années Giscard : « Patrons hors des facs »”

  1. Souvenirs, souvenirs les années Giscard sont pour moi les années de début de thèse (et oui à l’époque d’Etat donc longue!!).
    Ce que je retiens particulièrement de ton post c’est le sujet formation/emploi qui est toujours d’actualité à mon sens: connaissances donnant un niveau et on apprend le métier ds l’emploi lui-même (d’où agilité, adaptabilité) ou diplôme professionnalisant stricte qui permet d’être de suite (enfin presque) opérationnel mais nécessite de ne pas se tromper dans l’orientation initiale, ou encore un mixte des 2? La transformation en cours des licences en bachelors est un exemple de ce vaste sujet.

  2. Bonjour, je me plonge toujours avec délice dans vos papiers, même si n’étant pas du sérail je ne comprends pas toutes les subtilités des batailles qui agitent les universités. Et les citations de Bernard Maris se lisent toujours avec bonheur. Comme j’ai deux gosses en fac et un en école de commerce, je m’interrogeais sur la valeur comparée (image ou débouchés) des diplômes et des titres certifiés – RNCP – qui vont jusqu’au doctorat. Qui délivre ces titres, que valent-ils, comment est-ce que ça évolue, comment l’Etat se positionne-il ? Au cas où vous manqueriez de sujets pour 2021, en voilà un qui m’intéresse…. Bonne fin d’année

  3. Il serait intéressant de jeter un regard sur l’évolution des tracts syndicaux pendant ces cinquante dernières années (aussi bien étudiants que syndicats de personnels). Mais les archives de ces tracts, documents pourtant extrêmement significatifs pour l’historien, existent-elles ? Peut être les centrales syndicales ont-elles conservé tout ça ?

  4. Très juste, Jean-Michel, ces rappels historiques. Deux choses peuvent être ajoutées, me semble-t-il : d’une part, sous la houlette de René Rémond, la CPU (pourtant muselée par la présidence du Ministre) prend corps (justement parce qu’elle est bousculée par Alice S…); d’autre part, en 1980, un décret met de l’ordre et surtout unifie les carrières des universitaires (il y avait les profs titulaires de chaire, les profs sans chaire, les chargés de cours, les maîtres assistants, les maitres de conférences, les maîtres de conférences agrégé, etc.) : oeuvre centralisatrice s’il en est!

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