Mes humeurs d’automne me font balayer quelques sujets qui en disent beaucoup sur notre système : un budget pas bon mais moins pire qu’attendu (pour l’instant), une application de la LPR désormais plébiscitée, l’incroyable inaction du MESR face aux escrocs de l’enseignement supérieur privé, de bonnes nouvelles sur les bourses mais toujours des sondages bidons sur la précarité étudiante. C’est d’ailleurs l’occasion de revenir sur la lente ‘trumpisation’ des médias, du Figaro à Libération, pour lesquels les faits ne comptent plus. Et puis, j’égratigne ce ‘mépris de classe/caste’ persistant chez un certain nombre d’universitaires dits de gauche, qui pour certains découvrent l’Amérique. Il y en a pour tout le monde…
Toutes les forces politiques, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, se sont donc unies pour ‘sauver’ un médicament 1Non que j’ai un avis éclairé sur la vente ou non de Doliprane par Sanofi, son impact sur l’emploi etc. Même si le retour à une économie soviéto-cubaine n’est pas ma tasse de thé. qui n’a aucune importance stratégique, qui est par ailleurs disponible partout sous d’autres noms et dont les principes actifs viennent de Chine et qui n’incarne aucune innovation de rupture. Pas un politique ne s’est demandé à cette occasion pourquoi la France, sa recherche et son industrie pharmaceutique n’ont pas été capables de produire un vaccin ARN par exemple : il y a vraiment une majorité : contre la recherche scientifique et la raison.
En réalité, la plupart des forces politiques ne comprennent pas le rôle de la science en général, et ignorent ou veulent ignorer ce qui se fait dans les autres pays, comme le montre d’ailleurs cette vague de chauvinisme limite xénophobe (ah le plombier polonais !) autour du Mercosur. Complotisme antivax, médecines alternatives, ‘biodynamie’, opposition aux OGM (on lira avec profit le billet de blog de S. Huet sur cette question) ou antinucléaires prospèrent sur cette ignorance abyssale de la science. Il faut y ajouter ce culte du ‘génie français’ qu’illustrait le rapport du polytechnicien Théry en 1994 : face au minitel, il estimait qu’Internet était ‘mal adapté à la fourniture de services commerciaux’ ! Pendant ce temps, ailleurs…
Budget : ça aurait pu être pire…
Commenter le budget de l’ESR, c’est un peu comme des rugbymen qui jouent les Springboks, et se disent « ouf, on n’a pas pris 50 points. » Ce qu’il faut retenir évidemment, c’est que la hausse faciale (26,8 Md€ en 2025, + 89 M€) est marginale. Surtout le financement de la LPR (ça c’est sûr) va beaucoup ralentir tandis que la réforme prévue des bourses n’est pas soutenable. Certes l’ANR augmente de 120 M€ (1,4 Md€, mais une hausse inférieure à la trajectoire de la LPR). Mais il est probable qu’elle servira comme toujours, à un moment ou un autre, de variable d’ajustement budgétaire.
Alors on peut se dire, ce n’est pas une catastrophe dans le contexte politico-budgétaire, avec des effectifs étudiants stables. Mais on peut aussi se dire que l’écart va malheureusement continuer de se creuser avec les pays comparables. Ironie de l’histoire, il est amusant de constater que désormais tout le monde est attaché à la LPR et sa clause de ‘revoyure’ ! Comme quoi…
Mais la lumière qui devait jaillir des agences de programmes est très filtrée… Car ça (re) commence… Pour P. Hetzel « il faut faire attention à ce que les agences de programmes soient bien un outil de coordination et non pas un outil d’exclusion ou de substitution des acteurs ». Et surprise 🤭, il « repère aujourd’hui un risque qui est que l’organisme de recherche qui se voit doté d’une agence de programmes, puisse considérer qu’il a le monopole sur le programme, ce qui n’est pas l’état d’esprit« . Pas possible !!! C’était évidemment couru d’avance : on le sait, le véritable ministère de la recherche, ce n’est ni F. Vidal, S. Retailleau ou P. Hetzel, mais les organismes de recherche, en particulier le CNRS : tout changer pour ne rien changer.
« En avant Mauricette » : le privé, ça ose tout, le MESR rien.
Dans une tribune percutante et bienvenue à AEF.info, Laurent Batsch, ancien président de Paris-Dauphine PSL, dénonce le fait qu’il est « plus difficile d’ouvrir un salon de coiffure qu’une école privée ». Et il cite l’exemple d’une « école du luxe » à 10 500 € par an, « sans capital, sans locaux, sans personnel, sans programmes », et dont la société porteuse, « En avant Mauricette », est domiciliée dans un espace de coworking à Lyon. Il rappelle que le HCERES avait suggéré de « muscler le label Qualiopi » avec des critères fondés sur son référentiel de l’évaluation des formations. « Ce label évolué dit « Qualiopi + » permettrait de mieux réguler le financement de l’apprentissage » souligne-t-il. Et il s’interroge : « Pourquoi tarder à mettre en œuvre cette proposition ? » Oui pourquoi ?
On peut y voir la main invisible d’une politique visant à favoriser le privé : mais on peut y voir aussi la main visible des dysfonctionnements de l’État, et en particulier du MESR, de sa vision routinière et boutiquière. Car si le ministère du Travail porte une énorme responsabilité, le MESR et la Dgesip ont tergiversé et sont englués depuis des mois dans un débat sur le sexe des anges à propos de la ‘labellisation’.
Et qu’ont fait surtout les rectrices et recteurs délégués à l’ESRI, pris dans les méandres des COMP (et j’en passe) ? Combien de fois ont-ils saisi la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) ? Comment justifier cette passivité ? Mais ils ne sont pas seuls. La CGE, la Cdefi et France Universités se réveillent et estiment aujourd’hui qu’il est possible de « réaliser des économies massives en se recentrant sur les formations de qualité ». Une prise de parole et de conscience un peu tardive non ?
Vie étudiante : la réalité vs le misérabilisme
Boursiers : une bonne nouvelle. En 2023-2024, ils sont à nouveau plus nombreux (+2,1 %). Mais comme le souligne la note du SIES-MESR, derrière cette augmentation, « des dynamiques contraires sont en jeu : la réforme de la rentrée 2023, et la hausse des effectifs boursiers qui en découle, s’inscrivent dans un contexte de baisse marquée du nombre d’étudiants boursiers depuis deux ans (- 3,9 % en 2021-2022 et – 7,6 % en 2022-2023). » Mais si la réforme n’avait pas eu lieu, près de 30 000 boursiers de l’année universitaire 2023-2024 n’auraient pas été éligibles, « ce qui aurait prolongé la tendance à la baisse précédente. »
En réalité, cette baisse s’explique aussi par la forte hausse de l’apprentissage notamment en STS (+73,4 % en trois ans), là où la proportion de boursiers reste la plus élevée. La part d’étudiants boursiers atteint désormais 37,1 % à la rentrée 2023, contre 36,3 % pour l’année 2022-2023. Mais les différences sont énormes entre les STS (54,8% de boursiers), les universités (40,1%) les CPGE (28,3%) et les écoles de commerce (11,2%). Il ne faut en tout cas jamais cracher sur les bonnes nouvelles, quelles que soient leurs limites, surtout quand il s’agit des étudiants : globalement, il y a de plus en plus d’étudiants aidés.
Un nouveau ‘sondage’ misérabiliste. Marronnier de la rentrée, la précarité étudiante donne lieu à un sondage Ifop et COP1, après le coup non moins médiatique de Linkee sur sa distribution alimentaire à Bordeaux, relayée par une vidéo de France Bleue que j’ai évoquée en septembre. Je laisse mes lecteurs comparer l’échantillon biaisé de l’Ifop et celui des près de 50 000 questionnaires de l’OVE 2L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 812 personnes, représentatif de la population étudiante française, et d’un autre de 910 bénéficiaires de COP1, par définition en difficulté donc…. Pourtant, les médias (non spécialisés) ne relaient pas ou peu l’enquête de l’OVE, incroyablement plus rigoureuse et qui surtout pointe les véritables problèmes, loin de la démagogie ambiante. Pourquoi ? Car comme les questions interminables de trop nombreux journalistes dans les conférences de presse, il s’agit non pas d’examiner les faits, mais de les faire entrer au chausse-pied dans sa propre opinion : « tout va mal. »
La lente ‘trumpisation’ des médias français
En effet, dans une part de plus en plus importante des médias (on le voit à propos du Mercosur, des OGM, du nucléaire etc.), on assiste au remplacement de l’examen des faits pour privilégier avant tout ses propres opinions/émotions/colères. Et Bolloré n’est pas tout seul… dans un cocktail d’idéologie, de paresse, et d’incompétence aussi. Ce mois d’octobre nous a offert par exemple l’occasion de découvrir 2 articles symboliques de cette dérive à propos de l’ESR.
L’un (court) sur le CNRS dans le Figaro Magazine et l’autre (long) dans Libération sur les fondations et le financement privé dans l’ESR. Les 2 articles (dans des médias qui ne sont pas la propriété de Bolloré) ont ceci en commun de substituer au classique recoupement des sources contradictoires pour analyser des faits, le développement d’une thèse, et une seule source qui sert à étayer leur a priori idéologique.
Côté Figaro Magazine, du 25/10, à propos de « ces ‘machins’ qui coûtent cher à la république », Judith Weintraub se livre à une charge contre le CNRS à partir d’une lecture biaisée des documents budgétaires, de contre-sens (sur l’ANR par exemple) mais surtout à partir d’une seule source, Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du monde musulman, en lutte pour dénoncer l’institut CNRS Sciences humaines & sociales (en se trompant sur son nom), le wokisme dans les labos de recherche ainsi que l’ostracisme dont elle serait la victime. Une chercheuse critique le CNRS, et donc le CNRS serait un repaire de la « pensée décoloniale ». C’est un procédé classique : on a régulièrement, à l’opposé de l’échiquier politique ces économistes qui dénoncent dans la presse le courant ‘mainstream’ qui bloquerait leur carrière…
Côté Libération du 15/10, un long article-enquête au titre aguicheur et aux relents complotistes, Total, L’Oréal… quand des multinationales dictent leur loi à l’enseignement supérieur, entend dévoiler « un jeu d’influence en toute discrétion ». Ce papier quasi monosource, est inspiré ouvertement par celui qui a mené la fronde (perdue devant le Conseil d’Etat) contre Total et P. Pouyanné à l’X. Mais comme il faut donner l’illusion d’un semblant de travail journalistique, pour justifier un parti-pris préalable, ça commence par un scoop incroyable : Total a versé 2000 euros à l’école des Mines de Nancy 🤭… en faisant signer une clause de non-dénigrement. Comme la journaliste l’admet, c’est une clause classique… On s’attaque à plus gros après à propos des 1,2M€ versés entre 2018 et 2022 à PSL par L’Oréal. Sans se rendre compte (j’ai constaté que les journalistes ont souvent des problèmes avec les ordres de grandeur…) que cela représente 300K€/an. Rapporté au budget consolidé de PSL…
L’enquête s’inquiète de la transparence car « seuls les membres des CA peuvent consulter les conventions. » Et preuve de l’opacité, il est selon elle « impossible de savoir quelle part les fonds privés représentent aujourd’hui dans le budget des universités. » On peut rassurer la journaliste 3Que l’on a connu mieux inspirée pour son enquête sur l’enseignement supérieur privé. : si la traçabilité des comptes des universités est complexe, ce n’est pas que sur ce sujet ! Mais surtout il existe des chiffres sur les ressources propres et leur évolution : mais ça demande trop de travail sans doute : la part des ressources propres des universités est passée de 17,6 % à 27,5 % entre 2016 et 2022 : mais cela inclut les appels à projet sur fonds publics, ANR, France 2030, la formation continue et les frais d’inscription etc.
Ca se conclut d’ailleurs par une perle 😂 : depuis la LRU, les outils de financements privés se multiplieraient autour des fondations universitaires, partenariales, de coopération scientifique et rendraient « encore plus brumeuses les entrées de fonds privés dans les universités. » Est-elle au courant que justement les Total, L’Oréal investissent (éventuellement) dans les Grandes écoles que leurs cadres ont faites mais pas dans les universités ? Et que les Fondations universitaires sont en réalité au ralenti ?
C’est ce complotisme à la petite semaine qui participe de la ‘trumpisation’ des esprits. A droite et à gauche.
Le mépris de classe/caste à la sauce universitaire
2 000 universitaires et chercheurs ont publié une tribune dénonçant l’inefficacité du CIR ou encore « le manque de culture scientifique de la classe politique ». J’y souscris évidemment. Mais comment expliquer leur capacité à ruiner en permanence leur crédibilité ? Passons sur leur dénonciation obsessionnelle des économistes Ph. Aghion et E. Cohen, un véritable TOC chez certains signataires qui ont inspiré ce texte. Mais leur vision dépressive et nihiliste (c’est un peu la même chose) les conduit à dénigrer leurs points d’appui potentiels, comme le rapport Draghi, qui demande quand même un investissement sans précédent de l’UE dans la recherche et l’innovation ! Pourquoi ? Parce que l’entreprise est le diable pour ces adeptes de la pureté révolutionnaire.
C’est pourquoi il leur faut dénoncer non pas les dérives de l’apprentissage, mais l’apprentissage tout court, « les 25 milliards d’euros consacrés en pure perte à l’apprentissage et à l’alternance et captés par un secteur privé de piètre qualité. » Bien sûr, ces chercheurs/euses n’ont pas lu la note de l’OFCE sur ce sujet, qui fait plus pour la démarche scientfique que leurs péroraisons. Qu’en pense Anne Fraïsse, la présidente d’université signataire ? Va-t-elle expliquer à ses enseignants et étudiants en apprentissage que c’est en pure perte ?
Car si l’objectif central des signataires est« de faire vivre un espace public de pensée, de critique réciproque et de délibération », le mot insertion professionnelle des jeunes leur est totalement étranger. Et BTS est un gros mot pour ces intellectuels hors sol. Pas étonnant dans ce petit milieu qui adule Bourdieu mais qui s’autoreproduit dans un orgasme de tribunes autocentrées. Avec le mépris de classe habituel pour les ‘ploucs’ qui vont en apprentissage e/ou en filières professionnalisantes. Toujours le naufrage d’une certaine gauche 😒…
Tintin d’Angers en Amérique !
Justement, vous avez beau signer toutes les pétitions imaginables sur la marchandisation de l’ESR, contre l’autonomie des universités et contre le capitalisme en général, sortir de France est parfois un choc. C’est ce qui est arrivé à David Cayla (sur X), membre de la gauche universitaire, MdC à l’université d’Angers. Il découvre les conditions d’études et de travail à l’université (publique) du Missouri. Comme toujours aux USA, cette université a des campus dans tout l’Etat, notamment à Kansas City et Saint-Louis mais pas que, en résumé une Comue réussie. Notre Tintin découvre même qu’aux États-Unis « bien que l’université soit très chère en moyenne, le taux de personnes de 25-34 ans disposant d’un diplôme du supérieur y est supérieur à ce qu’il est en France (51,26% contre 50,39%). Et les conditions d’études y sont bien meilleures. » Ah oui 🤭 ?
J’ajoute que si les frais de scolarité expliquent en partie les différences avec la France, dans le budget de l’université du Missouri, ils représentent moins de 13% des recettes. Notons au passage que toutes les universités américaine (et pas seulement elles) publient leurs chiffres, budgets et ratios en toute transparence. Ah oui, elles ont de véritables ‘boards’ et CA. Et font payer les riches ! On y apprend que l’université a dépensé 59 M$ pour l’emploi d’étudiants et 207 M$ de bourses et dons divers… Il y a donc peut-être un juste milieu non ?
Mais au fond, le plus surprenant, c’est qu’un universitaire français ignore à ce point le système américain, au-delà des traditionnels marronniers sur l’endettement (réel) des étudiants. Notre Tintin va-t-il aller désormais jusqu’à vouloir faire payer les riches en France, pour pouvoir disposer d’un bureau à lui ?
Toulouse : match retour.
Allez, et pour finir, je n’y résiste pas. Le président de Toulouse-I Capitole et son CA ont donc mangé leur chapeau à propos de la marque ‘université de Toulouse’. Ça ne dit pas si le site de Toulouse va sortir de sa crise rampante. Mais ça dit en tout cas la pusillanimité de tellement d’acteurs du secteur. On me permettra de dire à mes ami(e)s toulousain(e)s qu’il n’y a visiblement pas que des Antoine Dupont dans la ville rose…
Références
↑1 | Non que j’ai un avis éclairé sur la vente ou non de Doliprane par Sanofi, son impact sur l’emploi etc. Même si le retour à une économie soviéto-cubaine n’est pas ma tasse de thé. |
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↑2 | L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 812 personnes, représentatif de la population étudiante française, et d’un autre de 910 bénéficiaires de COP1, par définition en difficulté donc… |
↑3 | Que l’on a connu mieux inspirée pour son enquête sur l’enseignement supérieur privé. |
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