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Être fier de l’organisation des JO, des résultats des équipes françaises doit nous conduire à réfléchir à cette dépression permanente qui semble régir la psyché collective française, y compris évidemment dans l’ESR. La question n’est pas de nier les difficultés ou les obstacles mais de prendre leur mesure, sans angélisme mais sans noirceur non plus, afin de comprendre comment y faire face positivement. Car la célèbre formule d’Antonio Gramsci, « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté » ne pourrait-elle pas être avantageusement remplacée par l’optimisme de la raison face au pessimisme (chez certains) de la volonté ?

Dans le Monde du 4 août dernier, l’ancien directeur de la rédaction Luc Bronner écrivait, à propos des Jeux Olympiques : « La fierté ressentie est sans doute aussi à la hauteur des anticipations négatives, réflexe culturel collectif dans le monde journalistique français, et donc dans le débat public. » Un constat lucide et courageux, surtout lorsque l’on lit le quotidiennement le contenu de son journal ! Est-ce comme l’écrit Philippe Auclair dans The Guardian ce que la presse étrangère a maintes fois souligné à propos de la France et des JOP 2024 : « the nation whose main problem sometimes appears to be that it believes it has a problem … » ?

Le succès des Jeux Paralympiques ferme en tout cas une parenthèse « enchantée » qui a dû désarçonner toutes celles et ceux, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par E. Ciotti, S. Rousseau, A. Bauer etc. qui prédisaient le pire 1Y compris sur ce tabou français de l’argent, lorsque l’on repense à ces attaques sur la rémunération de 280 000€ de Tony Estanguet, qui ferait rire à l’étranger. Comme celle des président(e)s d’université d’ailleurs !. Et à tous ces académiques qui dans des tribunes ou sur les réseaux sociaux dénonçaient pêle-mêle un supposé fichage généralisé, l’exploitation des bénévoles, la mise en place de barrières, la marchandisation et j’en passe.

Comme quoi, la déconnexion d’une partie du monde académique des réalités françaises n’est pas une légende ! Moi, j’ai plutôt une pensée pour le département le plus pauvre, la Seine Saint-Denis, qui bénéficiera d’équipements grâce aux JO ou encore ces athlètes paralympiques enfin pris en compte et pour lesquels le regard des « valides » aura changé durablement. Des motifs d’espoir.

Pourquoi ce tropisme négatif ?

Ces jeux 😉 politiques existent bien sûr dans tous les pays : mais d’où vient ce tropisme négatif permanent qui se manifeste en France quels que soient les sujets ? On ne peut qu’être frappé par le contraste entre la tonalité de la campagne de K. Harris (qui serait de droite voire d’extrême-droite en France !) et ce qu’il se passe chez nous : enthousiasme vs tristesse, énergie positive vs déploration permanente etc. Il suffit d’écouter les discours de B. Obama et de M. Obama à la convention démocrate de Chicago pour comprendre le fossé culturel, pas seulement politique.

Ils font passer une grande partie des élites françaises pour des clones de Trump. Car au fond, la classe politique française ne joue que sur les peurs, voyant partout le risque et jamais l’opportunité. Peur de l’étranger, peur du déclassement, peur du changement climatique etc., tous les débats sont rythmés par les peurs et un catastrophisme de fin du monde. Certaines réactions au succès extraordinaire des Jeux olympiques et paralympiques en sont une expression chimiquement pure, en ce qui concerne les étudiants participants : on dénonce le manque de moyens et d’aménagements plutôt que de saluer un tournant positif avec les efforts des établissements, ce qui doit aider justement à changer les choses, et pas seulement en termes de moyens et d’aménagements. En un mot la France…

Alors d’où cela vient-il ? C’est évidemment multifactoriel et sans avoir la prétention d’être un historien de la chose, on peut évoquer 3 raisons. Je vais donc émettre quelques hypothèses.

3 raisons, et surtout une…

Une première raison : « le génie français menacé ». Le débat public français est toujours marqué chez les politiques, les journalistes et les intellectuels par cette fascination/adulation de l’exception française, ce génie français qui éclaire le monde avec son modèle social, sa cuisine 🤭 etc. Et son corollaire la hantise de voir cette exception disparaître. Certes, aux USA par exemple on exalte également des sentiments de force et de puissance. La différence avec nous, c’est qu’en France, il s’agit de défendre un passé idéalisé (ah le CNR !), là-bas d’aller de l’avant, certes pas toujours pour le meilleur. Mais on me permettra de remarquer que la diversité des origines est cent fois mieux représentée aux USA dans les médias, les entreprises et le monde politique.

Dans notre pays qui se veut porteur d’un message universel, il existe une résistance majeure à penser « international » et la propension à se vivre comme une île menacée par les agressions extérieures : je conseille cette tribune très drôle de Pascal Ory dans Le Monde 🤭! A gauche, on a peur du modèle anglo-saxon, à droite des hordes d’immigrés. Cela s’exprime dans le secteur éducatif et ESR par cet attachement au centralisme avec des ministères omnipotents, de ses particularismes (CPGE, ONR) et de son refus des comparatifs 2Faut-il rappeler comment Pisa a été accueilli par les syndicats ? ou (ce sont parfois les mêmes) de la peur de la démocratisation qui ferait baisser la qualité de nos élites.

Une deuxième raison : l’existence d’un ‘prolétariat intellectuel’. Tant le monde académique que le monde journalistique sont marqués sociologiquement. Il faut appeler un chat un chat : c’est un monde très ‘blanc’, la plupart du temps issu des mêmes formations, et surtout très homogène socialement, venant des catégories les plus favorisées de la population. Pourtant, à part une grande partie des juristes ou des PU-PH, la grande masse du monde académique n’est pas rémunérée à la hauteur de ses qualifications, surtout face à leur collègues fonctionnaires de cat A comme les policiers, militaires, profs de CPGE ou à Bercy…

Ces origines sociales marquées combinée à des rémunérations faibles conduisent une partie de ce monde à vivre une tension permanente : un sentiment de déclassement et la culpabilité de leur réussite de bac+8 (minimum). Beaucoup ressentent donc la nécessité d »expier’, dans la plus pure tradition religieuse (je vous laisse le choix), en projetant leurs frustrations sur de supposés plus « pauvres » qu’eux. On assiste ainsi à une concurrence victimaire (sélective) qui les rapproche ainsi des puritains anglo-saxons et leurs dames patronesses. Ils deviennent des leaders d’opinion en dénonçant Elon Musk, mais en prenant leur part, toute leur part, pour faire de X un déversoir des haines et d’une vision noire du monde actuel, tout en nouant de fructeuses relations avec les médias, caisse de résonance de leurs angoisses et peurs.

Et cette tension se traduit assez simplement pour ce qui concerne l’ESR. Ils/elles envoient leurs enfants ou conseillent à leur entourage de contourner la sectorisation en collège, de choisir les bonnes options en lycée, d’aller en CPGE ou en école de commerce ou Sciences Po et d’éviter l’université. Dans le même temps, ils/elles dénoncent l’envolée du privé et bien sûr Parcoursup. Les étudiants d’université qui seraient affamés deviennent leur « nouveaux pauvres » à l’image des maoïstes des années 70 et les OS de Renault.

Ils ont leurs Jean-Paul Sartre qui se gardent bien évidemment d’enseigner en 1ère année. Le résultat, c’est une vision quasi dépressive de l’ESR français dans lequel tout irait de plus en plus mal : ils/elles n’ont évidemment pas vécu comme moi, venant d’un milieu défavorisé, la fin des années 70 : des locaux miteux et surchargés, des repas en restau-U immangeables, des cités-U sordides partout, des bourses faméliques, des BU sans livres, des parcours de formation complètement tubulaires etc.

La raison majeure de ce pessimisme : le système éducatif français. Ces deux premières raisons, l’existence d’un prolétariat intellectuel et la nostalgie du passé ne suffisent pas cependant à expliquer les racines de ce pessimisme. Rappelons que dans notre langue on parle de ‘faute’ d’orthographe alors que dans la plupart des langues on parle d’erreur. Sans doute un héritage lointain de l’origine religieuse de notre système !

La culture global du système a malheureusement peu changé depuis les constats implacables de Marc Bloch. Il écrivait ainsi à propos de la “manie examinatoire” : “(…) Ses conséquences morales, les a-t-on toujours assez clairement vues : la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves ; la négation de toute libre curiosité ; le culte du succès substitué au goût de la connaissance ; une sorte de tremblement perpétuel et de hargne, là où devrait au contraire régner la libre joie d’entreprendre ; la foi dans la chance (car ces examens, quelle que puisse être la conscience des examinateurs, demeurent, par nature, hasardeux (…)”.

En effet, pourquoi ce talent si répandu chez nos élites enseignantes de ne pas croire en nous, de dénigrer ceux qui essayent et au fond de manquer si structurellement de confiance en soi ? La question n’est en effet pas de savoir s’il y a un problème quel qu’il soit mais de trouver des solutions. Or tout notre système éducatif s’est construit et perpétué dès l’école primaire autour du fait de pointer ce qui ne va pas, avec un tri précoce des élèves. Cette vision, combinée à une centralisation extrême, fait de notre système un système plus inégalitaire que jamais.

Dénoncer ou proposer ?

Bourdieu au secours ! Qui sont les « héritiers » ? Je dois dire que lorsque je vois en permanence des chercheurs et chercheuses qui revendiquent le fait de ne pas enseigner ou des universitaires passer leur temps à se plaindre et/à dénoncer/déplorer, on a là une des manifestations les plus pernicieuses de ce fameux ‘génie français’ du négativisme : comment transmettre aux jeunes générations, notamment celles issues de milieux les plus défavorisés cette confiance en soi indispensable ?

Même si Jacques Attali n’est pas ma tasse de thé, je partage son constat : « ceux qui ne savent pas admirer les talents des autres se condamnent personnellement à l’amertume et politiquement aux extrêmes. L’extrémisme reste légitime lorsqu’il n’y a rien à admirer ; et c’est tout le travail des extrêmes que de dénigrer tout ce qui pourrait être admirable. »

Il est évident que l’ESR français a des défis nombreux que la situation des finances publiques ne va pas probablement améliorer. Mais ne faut-il pas renverser la célèbre formule d’Antonio Gramsci, « pessimisme de la raison, optimisme de la volonté ». N’y a-t-il pas plutôt aujourd’hui l’optimisme de la raison face au pessimisme (chez certains) de la volonté ? Notre pays est confronté à des choix : dépenser sans fin dans la « réparation » ou investir pour créer de la prospérité, donc en partie dans l’éducation et la recherche. Utopique pour l’instant mais positif non ?

Références

Références
1 Y compris sur ce tabou français de l’argent, lorsque l’on repense à ces attaques sur la rémunération de 280 000€ de Tony Estanguet, qui ferait rire à l’étranger. Comme celle des président(e)s d’université d’ailleurs !
2 Faut-il rappeler comment Pisa a été accueilli par les syndicats ?

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