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Les blocages du printemps dernier n’ont fait que conforter dans l’opinion publique une idée déjà bien ancrée : l’université en France reste un endroit qu’il faut éviter si l’on peut. Pourtant, elle abrite en son sein des filières plébiscitées, les filières santé ou le droit, les IUT mais aussi des écoles d’ingénieurs. Le débat n’est pas de savoir si c’est mérité, ou non, mais de comprendre comment il est possible de faire évoluer certains stéréotypes. Voici quelques éléments de la réflexion que j’ai eu l’occasion de présenter lors du séminaire mensuel de l’IGAENR consacré à la communication dans l’ESR.

Parler de communication dans les universités c’est souvent faire l’unanimité contre soi : un débat pas digne des universitaires, qui ne mangent pas de ce pain là, une dépense inutile, un outil des bureaucrates qui dirigent les établissements etc.

Cette faiblesse structurelle profite au reste de l’ESR, les organismes de recherche, centralisés, qui occupent le terrain, tandis que le secteur concurrentiel (les écoles de management et plus globalement le secteur privé) a développé une communication efficace de longue date.

Pourtant, cette communication des universités est omniprésente, que ce soit pour les détracteurs irréductibles du MESRI (les opposants à la loi ORE ont été de remarquables communicants !), les leaders d’opinion du secteur ou les nombreux dirigeants qui communiquent très peu, ce qui est une communication en soi ?.

Pour saisir la situation des universités, on peut utiliser une image rugbystique : le pack est souvent solide, capte les ballons (de remarquables formations, une recherche excellente) mais reste peu mobile tandis que les lignes arrières peinent à franchir la ligne d’essai qu’est la communication. Faute de ballons et parfois de technique…

Les raisons de cette mauvaise image

Cette mauvaise image des universités est une réalité qui s’impose. D’un côté,  les épisodes éruptifs (occupations, blocages) pourtant de plus en plus réduits à quelques établissements, polluent l’image globale, mettent à mal leur cohésion. De l’autre côté, l’accumulation des couches du millefeuille montre en permanence un système qui dysfonctionne.

Cette mauvaise image n’empêche pas les étudiants de s’y inscrire, les personnels de travailler, mais obère largement le développement d’un sentiment d’appartenance et la motivation. En externe, elle représente souvent auprès des médias, des réseaux de décideurs, quels qu’ils soient, un repoussoir, résumé par au mieux, « Ah, l’université, c’est compliqué… », au pire (à Bercy), « pourquoi leur donner tant d’argent ».

Ainsi, les stéréotypes ont la vie dure, les défauts (réels) des universités prenant le pas sur leurs qualités, alors même que les écoles ou organismes échappent à ces critiques. L’université est-elle vouée à incarner le “bas de gamme” tandis que les Grandes écoles et les organismes (à forte identité) seraient le “haut de gamme” ?

Sauf à penser que les universités ont tous les défauts et les autres toutes les qualités, on peut donc s’interroger sur l’image portée par ses dirigeants et leurs communautés, et l’efficacité de leur communication.

Car ce secteur a changé comme jamais, et a été capable de relever des défis incroyables (massification-démocratisation, professionnalisation du fonctionnement, avalanche de réformes etc.) qu’aucune institution publique n’a eu à relever dans ce contexte de compétition internationale accrue.

Pourtant, le décalage entre leur image et ce qu’elles sont devenues est énorme.

Un repli sur soi

Il existe un pessimisme qui interdit aux dirigeants de piloter une stratégie de communication efficace. C’est le permanent « c’est la faute des autres » : les médias, les grands corps, les technocrates, le MESRI, les bacs pros etc.

Le regard indifférent/négatif de la société sur l’Université et la recherche l’a amenée à développer cette stratégie défensive, que j’ai analysée durant les mouvements du printemps. Ce repli se traduit également par un langage réservé aux initiés et une communication rivée sur ce que propose le MESRI, loin de l’autonomie revendiquée. La méfiance, voire la défiance plutôt que la confiance est ainsi devenue malheureusement la règle vis-à-vis de l’extérieur.

Enfin, le brouillage institutionnel rend difficile une communication cohérente : même dans les universités fusionnées (une seule marque), le millefeuille (Satt, IRT, IHU, Labex, Idex-Isite etc.) est un perturbateur de la communication.

Il faut ajouter ce que j’appelle le syndrome de Stockholm. Alors que les dirigeants des business schools cherchent à attirer des clients, que ceux des organismes de recherche veulent incarner la science, les présidents d’université slaloment pour éviter les difficultés avec leurs communautés et avec le ministère.

Une défiance des universitaires pour la communication

Il faut dire que la culture universitaire française est à l’inverse des anglo-saxons en matière de communication.

2 raisons, toutes les deux liées à la gouvernance faible des universités et aux résistances à la professionnalisation de son fonctionnement, expliquent ces comportements.

La première, et c’est le paradoxe de l’université française, qui la distingue de tous les autres pays comparables : quand ils communiquent, les universitaires français le font à titre individuel, ou pour leur unité de proximité (UFR, labo). L’Université, encerclée en France (organismes, Grandes écoles) n’a pas la main sur ses professions libérales !

Car remarquons que les chercheurs des organismes, comme par exemple ceux du CEA (un EPIC) n’ont pas tout à fait le même comportement ! On revient donc à la lente émergence de l’université en France, dans un ESR dominé par les composantes et les organismes de recherche.

La deuxième, c’est la difficulté des universitaires à accepter « une forme d’abandon de souveraineté », dont la communication est la dernière incarnation. Qui se souvient encore, et pourtant c’était il y a quelques années, de ces sujets que le « pouvoir universitaire » ne voulait pas lâcher à des professionnels, sur les RH, les finances, l’informatique etc. ?

Cette professionnalisation presque achevée (quoique encore inégale) des fonctions support (immobilier, RH, finances, informatique etc.) bute sur le dernier étage qui touche à la substance universitaire : la « parole ».

Un défi externe

Pourtant, malgré ces résistances, les choses avancent. La prise de conscience est récente dans les universités : on entendait (entend ?) encore souvent l’argument selon lequel elles n’ont pas besoin de communiquer car elles ont trop d’étudiants. Cet argument est désormais battu en brèche par plusieurs phénomènes :

  • De nombreux établissements peinent à attirer des étudiants, ou pour le moins dans certaines de leurs filières.
  • Pour ceux qui sont « submergés » de demandes, l’enjeu est l’adéquation avec les profils attendus.
  • Désormais, la réputation ne peut plus être ignorée, les classements se multipliant sur cet item.
  • De plus en plus nombreux sont les universitaires qui prennent conscience (Cf MT180s) de l’impact positif de la communication.

Les universités ont donc globalement commencé à prendre le taureau par les cornes et à moderniser leur communication en direction des lycéens, des étudiants et de leurs familles. Certaines maîtrisent remarquablement les techniques éprouvées (réseaux sociaux, site web, événements, chaînes Youtube etc.) et ont compris que la fameuse « plaquette » était un peu dépassée…

L’accueil des nouveaux entrants est désormais un enjeu majeur de communication, y compris pour les personnels. Ce qui les différencient des Business schools, c’est bien sûr la gestion des effets volumes combinés à des budgets limités : et il faut reconnaître qu’elles font preuve d’imagination, faute de moyens comparables.

Il faut selon moi souligner plusieurs évolutions en cours :

  • Le passage de la communication au marketing. L’une des leçons de Parcoursup, que l’on soit pro ou anti, a été la difficulté à suivre la stratégie des jeunes et de leurs familles. C’est la même chose pour les masters, sachant que l’environnement devient de plus en plus compétitif : les choix sont beaucoup plus ouverts qu’avant. Mieux comprendre les attentes des jeunes en fonction de leur profil, de l’offre de formation va devenir, comme dans le privé, un exercice incontournable.
  • L’impact des classements, qui ne sont plus simplement réservées aux écoles de management ou d’ingénieurs, et qui ont un effet majeur en interne.
  • La place des réseaux sociaux : leur utilisation est une réalité quotidienne pour les jeunes, pas encore dans les établissements qui sont désormais interpellés sur twitter, par exemple lors de la procédure Parcoursup.
  • L’implication des enseignants dans la communication, à partir du moment où les formations définissent des attendus et où les filières ont des objectifs quantitatifs et qualitatifs.
  • Des médias aux aguets toute l’année, car le -3/+3 s’incarne désormais concrètement dans Parcoursup, et plus dans le bac.
  • L’enjeu de la recherche. La prééminence des organismes de recherche demeure cependant l’un des handicaps majeurs des universités au même titre que l’incroyable complexité du système : le communiqué commun Université X ou Y-CNRS (ou Inria etc…) n’est toujours pas la règle. Et les organismes continuent de mener une politique active pour capter la communication scientifique. Là encore, les universités courbent l’échine dans une stratégie complètement défensive.

Le défi de la communication interne 

Ceci est profondément lié à l’état du management et de la gouvernance de l’ESR. Tout le monde le constate : les personnels, pas seulement les enseignants-chercheurs, ne se saisissent pas de la profusion d’information à leur disposition.

Or il n’existe pas de communication sans bonne information ! Sans prétendre résoudre avec une recette magique un problème complexe, il faut souligner ce que j’appelle l’illusion AEF-Educpros-Newstank dans les équipes de direction.

Elle les conduit à confondre leur degré appropriation de l’information (réservée à quelques dizaines de personnes) avec celle des communautés.

Car on peut là aussi souligner plusieurs choses :

  • Des écarts énormes en matière de niveau d’information.
  • Des émetteurs d’informations multiples. C’est la seule organisation de l’État dans laquelle les émetteurs échappent à tout contrôle. A l’université, plus qu’ailleurs, ils reflètent le cloisonnement du système, la multiplicité des statuts et des tutelles. Imaginons donc la difficulté de la tâche pour simplement informer, au vu du foisonnement des donneurs d’ordre et des injonctions contradictoires !
  • Une chaîne d’information cacophonique, avec l’enseignant-chercheur, les composantes, les réseaux formels et informels, dont les syndicats, l’administration et les personnels Biatss, les pouvoirs publics, les organismes de recherche et les différentes strates du PIA.
  • Une « fragilité informationnelle » qui nourrit les “fake news”.

La mise en place d’une politique cohérente d’information interne n’a jamais été une priorité, quand il fallait d’abord professionnaliser les fonctions GRH, budgétaires, immobilières, informatiques etc.

Or, les personnels (Biatss et enseignants-chercheurs) perçoivent difficilement le système dans sa globalité, et surtout ses évolutions, qui plus est dans un pays qui a la “réformite” bien ancrée.

S’ils connaissent relativement bien leur environnement de proximité (service, composante, laboratoire), la stratégie de leur établissement leur échappe souvent. Surtout, ils sont complètement coupés des enjeux nationaux, qu’ils découvrent au dernier moment. C’est ce que j’appelle les 2 chaînons manquants.

Le « timing », la périodicité, le ton, le contenu  et bien sûr la forme sont rarement au rendez-vous d’une communication interne réussie.

Le défi du lobbying

Les universités se plaignent à juste titre de décideurs indifférents, voire hostiles. Les conséquences sont catastrophiques au cœur de la machine d’État, à Bercy, perclus d’idées reçues, ignorant ce qu’est la recherche, et que malheureusement le discours souvent misérabiliste conforte.

Je mets à part les élus locaux qui sont la plupart du temps des alliés, mais parfois des alliés encombrants. Les enjeux sont pourtant multiples : formation continue, valorisation de recherche, formations, immobilier etc.

Il est évident que les présidents d’université savent faire du lobbying défensif sur le GVT, pendant que les organismes eux le gèrent en silence… Mais savent-ils bâtir une stratégie d’influence positive et à long terme ? Il faut le reconnaître : en matière de lobbying, les chasseurs sont meilleurs !

Les 2 lacunes de cette stratégie d’influence sont

  • Un discours uniforme et inadapté. Quand elles communiquent, et c’est rare, elles développent le même discours quelles que soient les cibles : PME, CCI, élus, administrations locales etc. Et ce discours requiert un traducteur !
  • Pas de réseaux. C’est le chantier immense des universités, qui à l’inverse des grands corps, n’ont pas de véritables réseaux d’influence, chacune jouant dans son coin (les petites et moyennes universités, les universités « intensives en recherche », tel ou tel établissement) tandis que les « stars » jouent leur carte personnelle (les visiteurs du soir de l’Elysée ?).

Professionnaliser la relation avec les médias

Dans ce contexte, le défi médiatique concentre tout car il contribue à forger l’image. Or le chantier est immense et nécessite de l’anticipation.

Une presse qui ne comprend pas l’ESR. Les médias ont du mal à comprendre le système : peut-on leur en vouloir ? Comment expliquer la nouvelle réforme de la formation des enseignants ? Comment s’y retrouver sur un site entre Comue, Idex, universités, écoles ?

Face aux dizaines de communiqués de presse reçus chaque jour par les rédactions, venant essentiellement des écoles et/ou des composantes universitaires, se développe un processus inconscient qui attribue à ces dernières dynamisme, innovation, mais surtout fait disparaître les universités des radars : elles n’existent qu’en cas de crise !

Une vision trop souvent réduite des relations médias. Ces médias ne se réduisent pas à AEF, Educpros ou Newstank le journal local, et éventuellement le Monde, Libé, et Le Figaro en cas de crise.

La presse nationale est traitée la plupart du temps “en réaction” ou à l’occasion d’un événement majeur (les conflits par exemple…). Quant à la presse professionnelle, elle est tout simplement globalement ignorée.

Une vision erronée de la presse. La communauté universitaire a du mal à comprendre le fonctionnement des médias. La dénonciation du journaliste du Monde David Larrousserie par un collectif de chercheurs en a été l’illustration.

Cette méconnaissance du fonctionnement des médias, outre ces erreurs psychologiques, aboutit aussi à ne pas cibler les informations diffusées : le même contenu pour tous les supports, la non-identification des responsables de rubriques, la difficulté à cerner ce qui peut intéresser etc.

La plus grande difficulté est donc d’identifier les points forts, et de mettre de côté des processus parfois soviétiques de relecture de ces communiqués ou la pudeur à mettre en avant tel ou telle.

Professionnaliser le fonctionnement

L’Arces (les responsables communication de l’ESR) organisait récemment un séminaire pour apporter les clés « pour mieux accompagner votre manager dans ses prises de parole internes, le convaincre du bien-fondé des actions de communication et faciliter l’information transversale. »

Ceci résume le sentiment des personnels en charge de la communication dans les établissements. Ils sont d’ailleurs peu nombreux dans les comités de directions (50%), sachant qu’il n’y a pas de directions de la communication partout !

A de rares exceptions près, la communication n’est toujours pas une fonction stratégique, comme en témoignent des effectifs faibles et ces différences énormes entre les établissements.

Le fait est là : la relation communication-équipe de direction (Président, vice-présidents, directeur de cabinet, DGS) est plus que perfectible !

Heureusement, quelques établissements commencent à le comprendre : on assiste au même processus et à la même prise de conscience mais en retard, que pour les fonctions immobilières, SI, RH etc.

Pas de grand soir de la communication

Face à des communautés universitaires sceptiques, souvent fragiles, la communication est une arme à double tranchant dans les établissements.

Je me rappelle de ces débats à propos de l’informatique ou de la gestion il y a 20 ans, quand des enseignants-chercheurs contestaient les moyens consacrés par les établissements aux systèmes d’information et de gestion : certains m’affirmaient à l’époque qu’ils n’en avaient pas besoin et que l’on pouvait gérer un établissement avec un tableur. Car il fallait mettre cet argent dans la recherche (plus rarement d’ailleurs dans l’enseignement ?).

Plus personne n’en conteste désormais le principe, mais tout le monde attend des résultats. Ce n’est donc pas un débat nouveau !

Il ne sert donc à rien de pratiquer la langue de bois ou de se flageller : le retard est fort, parce que la communication est la dernière fonction qui doit se professionnaliser dans les universités. Et elle suppose une gouvernance forte.

Le chantier majeur est de passer d’une stratégie défensive à une stratégie offensive avec la valorisation de ses atouts en matière de science et d’innovation (y compris pédagogique). Au cours de mes rencontres avec des personnels (Biatss, chercheurs), je suis toujours frappé par la multitude des initiatives et des réussites, qui restent sous le tapis.

Les identifier et les décliner sur la base d’une véritable stratégie d’influence : comment des établissements qui revendiquent l’autonomie pourraient-ils ignorer longtemps ces armes ?

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