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904 M€ en moins pour l’ESR, le chiffre a à juste titre frappé les esprits, bien qu’en réalité il faille en nuancer l’impact. Pourtant l’argent public coule à flots en France, ce qui soulève 2 questions : coule-t-il là où c’est nécessaire, est-il utilisé efficacement ? L’optimisation des dépenses publiques ne consiste-t-elle pas prioritairement à réformer le CIR à 7 milliards d’euros pour “réarmer” 🤭 l’ESR ? Le tissu entrepreneurial français a besoin d’innovation avant d’avoir besoin de subvention. Et l’innovation a besoin d’une recherche puissante. Car l’enjeu n’est pas que financier et interroge les places respectives de la recherche et de l’innovation dans notre pays. Suivez-moi…

Comme beaucoup, à écouter les femmes et hommes politiques, à écouter ou lire les médias, j’ai l’impression que la France (et les Français) a toujours été en crise. Sur fond de catastrophisme ambiant (Ah les JO 2024 !), tout est prétexte à dégainer ce mot-valise, qui colle si bien au pessimisme et cet autodénigrement si français. Au moment où notre pays inscrit l’IVG dans la Constitution.

Des dépenses publiques toujours en hausse

Les part des dépenses publiques fait de la France une oasis en Europe et ailleurs : mais sont-elles bien ciblées ? On ne peut contester en effet qu’elles ne cessent d’augmenter, y compris les effectifs des emplois publics (+ 60 000 selon l’Insee), même si la part des fonctionnaires y décroit au profit des contractuels notamment. Au vrai, la hausse des dépenses publiques concerne d’abord les dépenses sociales (santé, retraite) qui explosent, ce qui n’atteste pas d’un “pays ultra -libéral”, surtout si l’on se compare à nos voisins.

Chaque jour, comme citoyen, on peut vérifier que le fonctionnement des administrations et services publics est déficient, malgré de nets progrès dans certains secteurs. Peut-on réduire tout ceci à un manque d’effectifs ? Les 60 000 postes dans l’éducation nationale que F. Hollande a voulu en 2012 (contre l’avis de V. Peillon à l’époque, pour en avoir discuté avec lui) ont masqué l’impensé de la formation des enseignants, de leurs rémunérations et la nécessaire évolution du système. Résultat, le marteau PISA nous rappelle au réel chaque année.

Quant à la Justice dont le budget a considérablement (et à juste titre) augmenté en quelques années (comme quoi, il y a des améliorations), cela règle-t-il le problème structurel du fonctionnement de la magistrature, de sa numérisation, de son organisation et de l’inflation de textes redondants qui engorgent les tribunaux et allongent les délais 1 Soyons provocateur : avec 10 000 salariés en moins entre 2010 et 2021 (selon les Échos) sur 156 000, les caisses d’assurance maladie ont intégré 7 millions d’assurés en plus (indépendants et étudiants) : car depuis l’invention de la Carte Vitale, d’énormes gains de productivité ont été engrangés, puisque 96 % des feuilles de soin sont transmises électroniquement. ?

Parmi ces hausses de dépenses publiques (ou de manque à gagner), l’une doit retenir l’attention, celle du CIR qui désormais atteint presque 7 milliards d’euros (5,7 Mds€ en 2012) 2Je ne détaille pas les mécanismes budgétaires différents entre un crédit d’impôt, qui est un manque à gagner pour l’État, et les programmes budgétaires type Mires : l’enjeu n’est pas technique mais politique. ! Car si l’on évoque à raison les pesanteurs du système ESR français, on a quand même là un exemple saisissant de politique publique que l’on persiste à poursuivre malgré les signaux négatifs inquiétants (souvenons-nous du numerus clausus…). N’est-il pas temps de sortir du dogmatisme ?

904 M€, une goutte d’eau…

Revenons sur l’annulation de 904 millions d’€ de crédits de la Mires : évitons tout d’abord une confusion car ce montant ne concerne pas que la recherche et pas que le MESR. Si l’on enlève l’enseignement agricole et le spatial, on est plutôt aux alentours des 600 M€. Ces annulations de crédits sont une constante dans la politique budgétaire des pouvoirs publics. J’ai ‘compilé’ les annulations de crédits des PLF durant le mandat de F. Hollande (voir infra) : intéressant 😊 !

Alain Fischer a bien raison (L’Express du 8 février) quand il déplore une recherche maltraitée, avec également “le manque de culture scientifique d’une partie des Français, qui les empêche de comprendre qu’une corrélation n’est pas la même chose qu’une causalité, ou de cerner les ordres de grandeur. (…) Le milieu journalistique aurait aussi besoin d’améliorer ses connaissances scientifiques.” J’ajouterai aussi quelques académiques 🤭.

904M€ versus 7Mds€ du CIR, qui s’intéresse aux ordres de grandeur ? Raison de plus pour pointer les idiots utiles de la ‘trumpisation’ de l’argumentation à l’œuvre sur les réseaux sociaux, à l’image du collectif Nos services publics et son représentant Arnaud Bontemps, profil typique de la gauche caviar Sciences Po et Ena. Sur Twitter (X), il annonce en effet la suppression de – 7500 postes dans l’ESR 3soit un coût moyen de 120 000€…. Et ses chiffres sont repris par des bac+8 …😒. Il a été contraint d’enlever sur son profil X ‘Magistrat financier à la Cour des comptes’ et il vaut mieux, tellement il s’est fourvoyé sur les chiffres.

A-t-il pris la peine de lire le rapport relatif au décret annulant 10 Mds€ ? Non évidemment puisque les faits n’ont plus d’importance. Apprenons-lui et à d’autres à compter, et surtout attaquons-nous aux véritables tabous des dépenses publiques concernant l’ESR, et notamment le Crédit Impôt-Recherche que ces révolutionnaires d’opérette ont évidemment oublié.

… pour 7 milliards d’euros, un océan

L’ESR est en effet en permanence dans une logique de rattrapage, ce qui est le principal mérite de la LPR. Est-il sous-financé ? Oui et non. Est-il bien organisé et efficace ? Je laisse mes lectrices et lecteurs juger 🤭 !

Évidemment, à Bercy, on a lu le nouveau référé la Cour des comptes qui a évalué en 2022, le “préjudice financier” lié au non-respect du temps de travail des Biatss à 313 M€ …  ce qui représente le tiers de l’annulation, voire la moitié. On a également regardé les tableaux de la trésorerie des universités, ce qui au passage éloigne tout spectre de faillite 😊. Parmi les trésoreries les plus importantes des opérateurs de l’État, on avait fin 2022 selon François Ecalle, Fipeco, et en millions d’euros

202020212022
Universités340938574110
CEA2398031150
CNRS99411841278
INSERM353525569
CNES285415520

Pour le moins, cela ne se dégrade pas …, la trésorerie n’étant certes pas l’alpha et l’oméga, mais ça aide quand même !

Cependant tout ceci reste marginal devant l’explosion des dépenses de CIR. Or, à Bercy, si l’on s’offusque du côté ‘dépensier’ de l’ESR, on semble beaucoup moins s’inquiéter de l’envolée du manque à gagner du crédit d’impôt-recherche (CIR). Pire, en 2021, si la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE pour la dépense des administrations (0,76% du PIB contre 0,71%), elle est en dessous pour celle des entreprises (1,44% contre 1,76%). Et horreur, le diable libéral américain dépense plus (en 2019) pour le secteur public (eh oui avec 0,80% !) et pour le secteur des entreprises (2,27%) !

Personne n’ose donc s’attaquer à ce qui est devenu une ‘patate chaude’ et un tabou : la R&D des entreprises sous-performe et le CIR est pour le moins inefficace comme outil de stimulation, en tout cas rapporté à son coût pour les finances publiques.

Un gâchis de dépenses publiques pas où l’on croit

On peut se gargariser de la French Tech, de la station F, des Unes de Challenge, les résultats sont là et très médiocres : pendant que l’innovation à la française ne perce pas ou si peu, notre recherche fondamentale décroche et les universités sont en souffrance. Il y a peut-être un rapport ?

Il y avait pourtant dans le rapport Gillet des propositions budgétaires audacieuses. Ce dernier y revient d’ailleurs dans une interview à AEF en regrettant que certaines de ses “propositions, notamment budgétaires, n’ont pas été reprises.” Il ajoute qu’il croit “toujours à la nécessité de réinjecter un ou deux milliards dans le système pour stimuler la créativité et l’inventivité. Pourquoi à ce titre ne pas orienter une partie du CIR vers des outils de recherche conjoints avec les industriels (LabCom, plateaux techniques etc.) ? Cela permettrait, par rebond, de renforcer le financement de la recherche exploratoire. Dans cette optique, le plan d’économies de 10 Md€ dont plus de 900 M€ pour l’ESR, annoncé par Bruno Le Maire, très dommageable, est un très mauvais signal.”

Naturellement, 2Mds€  injectés dans le système 4A l’automne 2023, LR souhaitait “recentrer cette dépense fiscale sur les activités industrielles et les petites et moyennes entreprises (PME)” , avec un gain de 2Mds€ mais que LR ne proposait évidemment pas de réattribuer à l’ESR ! Quant au PS, son contre-budget oubliait tout simplement le CIR… supposeraient et permettraient un véritable choc organisationnel, sur un fond positif donnant-donnant, qui relativiserait les batailles picrocholines à Saclay, à Grenoble et ailleurs ou encore sur les agences de programmes. Alors que font les chefs d’établissements, pourtant principaux concernés par les effets négatifs du CIR ? Certains préfèrent les postures et leur quart d’heure de gloire dans les médias, à l’image du président de l’université Jean-Moulin à Lyon. Les autres se murent, ce qui revient au même, dans des postures défensives, “on est mal-aimés”, “mal-traités” , “ce pays n’aime pas ses universités” etc.

Côté France Universités, Udice, Auref, Cdefi, CGE et même côté syndicats, on est étrangement silencieux et amorphes sur le CIR. Il y pourtant matière à passer à l’offensive sur le terrain des dépenses publiques et dénoncer une politique qui mène dans une impasse. Pourtant, avec de l’audace et du courage, des universités pourraient être les meilleures défenseures de la gestion des deniers publics et renverser la charge de la preuve !

Une politique d’innovation “cosmétique”

Car, outre le PIA 5Dont j’ai souvent abordé les effets délétères de la multiplication d’appels à projets sur des sujets qui devraient être financés par des crédits de base., les moyens sont là. Ecoutons, outre Alain Fischer, Jean-Pierre Bourguignon et… le conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden. On confond en France le processus d’innovation et de recherche fondamentale. C’est la raison pour laquelle on a dépensé des milliards, en plus du CIR, à subventionner avec la BPI (qui a dû faire un virage tardif sur les ‘deeptech’) tous azimuts ce que l’on croyait être de l’innovation. Il suffit de lire dans les Echos, Challenge etc. les sagas de ces start-up créées par des HEC et autres, bénéficiant de leurs réseaux pour les levées de fonds, avec des concepts fumeux et des objectifs de rentabilité opaques, que la situation actuelle a ramené à la dure réalité des lois du marché. Pendant ce temps, Pfizer et les scientifiques de l’université de Mannheim se sont appuyé sur la recherche fondamentale…

Toutes les études concordent : la relation entre le montant du CIR français (championne du monde) et le développement de l’innovation est plus que faible. N. Sarkozy et F. Hollande ont donné aux dirigeants du CAC 40, bien connus pour leur appartenance au monde de la recherche et de l’innovation, un blanc-seing pour, l’air de rien, diminuer leurs charges. Je me souviendrais toujours d’une discussion avec un dirigeant du CAC 40 me disant froidement que le CIR n’était qu’un moyen de réduire les charges des entreprises, illustrant ainsi son manque d’appétence pour la prise de risque liée à l’innovation qui devrait être naturelle chez un chef d’entreprise. E. Macron a malheureusement poursuivi cette politique à contre-courant des pays réellement innovateurs qui ont misé sur la recherche.

C’est la raison pour laquelle l’urgence est de réformer le CIR, non pour des raisons “idéologiques” à propos des méchants capitalistes (à ce compte les entreprises américaines qui investissent dans la R&D seraient de gentilles capitalistes 🤭), mais pour des raisons concrètes. Le tissu entrepreneurial français a besoin d’innovation avant d’avoir besoin de subvention. Et l’innovation a besoin d’une recherche puissante.

Dans un pays où chacun réclame l’aide de l’État (pour passer son permis, réparer son électroménager ou son vélo, arracher ses vignes, être ‘compétitif’ etc.), c’est un changement culturel qu’il faut assumer. Pas facile tellement c’est ancré dans les esprits, y compris et surtout dans un CAC 40 et des fonds d’investissement habitués à ne pas prendre de risques, avec leurs conseils d’administration consanguins.

Ne mettons pas la charrue avant les bœufs : revitalisons la recherche fondamentale, incitons et accompagnons non pas plus mais mieux les entreprises, notamment les PME, et enfin “réarmons” le doctorat dans les entreprises 🤭. Un nouveau CIR ne serait-il pas l’occasion d’une politique véritablement incitative, tant côté entreprises que côté académiques ?


Le feuilleton budgétaire sous le mandat de F. Hollande

Une petite recherche dans les archives d’AEF (la véritable mémoire du secteur) permet de voir la pérennité de certaines pratiques budgétaires, pratiques que le président du groupe parlementaire socialiste à l’Assemblée nationale connaît bien, puisqu’il était secrétaire général adjoint de la présidence de la République… Pour être juste, j’aurais pu revenir sur la promesse non tenue de N. Sarkozy d’allouer 1 milliard en plus pour l’ESR chaque année, même si, comme la montré Th. Piketty, c’est sous ce quinquennat que la dépense par étudiant a le plus augmenté…

PLF 2013. Le MESR est soumis à un “surgel” de 250 millions d’euros, le gouvernement Ayrault ayant annoncé un gel global de crédits de 2 Md€ qui s’ajoutent aux 6,5 milliards d’euros de gel de précaution décidés dans la loi de finances initiale.

PLF 2014. Un amendement du gouvernement en deuxième lecture du PLF 2014 réduit de plus de 45 M€ les crédits de la Mires (mission interministérielle ‘recherche et enseignement supérieur’). J.-M. Ayrault affirme la nécessité d’ “identifier au total cinq milliards d’euros d’économies nouvelles l’an prochain”.

Geneviève Fioraso, secrétaire d’État en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, estime que même si le budget ESR est “sanctuarisé” comme l’a annoncé François Hollande, cela revient … à réaliser 1,6 milliard d’euros d’économies sur 2015-2017, en raison de la hausse tendancielle des dépenses, due notamment à l’augmentation des effectifs étudiants.

PLF 2015. Pour le PLF 2015, un amendement du gouvernement réduisait de 136 M€ les crédits de la Mires par rapport au projet de loi initial, dont 70 M€ des crédits du programme ‘formations supérieures et recherche’. Le budget de la Mires baisse ainsi de 0,6 % par rapport à 2014. Pour rétablir les 70 M€ pour les universités exigés par la CPU, le gouvernement abondait de 50 M€ et prenait 20 M€ à l’ANR ! Mais toujours en 2015, le dernier décret d’avance annule près de 200 M€ pour la recherche et l’enseignement supérieur,  ces crédits annulés “étaient mis en réserve”, indiquait le gouvernement.

La Cour des comptes soulignait que “l’importance des annulations” faisait craindre “des reports de charges sur la gestion 2016”. “Comme tous les ans, la mission ‘Recherche et enseignement supérieur’ est largement contributive avec des annulations importantes dans les décrets d’avance mais aussi dans le décret d’annulation de juin et le PLFR”, estimait la Cour des comptes, dans son rapport sur les crédits du budget de l’État ouverts par décret d’avance, publié le 1er décembre 2015. Et elle déplorait que l’ANR soit devenue une ‘pompe à finances’ (- 157 M€ en 2014) pour financer le reste.

PLF 2016. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche augmente de 300 M€. Dans un premier temps, le 27 octobre, les députés ont adopté deux amendements du gouvernement augmentant de 421 M€ les crédits de la Mires : 100 M€ de plus pour les universités et 321 M€ de plus pour la recherche en énergie, développement et mobilité durables. Dans un second temps, le 13 novembre, un autre amendement gouvernemental réduisait de 119 M€ les crédits de la Mires “pour garantir le respect de la norme de dépense en valeur de l’État”.

Mais mauvaise surprise. Un décret d’avance budgétaire annule 256 M€ de crédits pour l’enseignement supérieur et la recherche. Plus de la moitié de ces annulations (134 M€) concernent les dotations de 4 organismes de recherche : le CEA, le CNRS, l’Inra et l’Inria. L’enseignement supérieur universitaire est également mis à contribution, avec 50 M€ de crédits annulés.

PLF 2017. Il prévoit que la Mires est réduite de 68 M€ pour maintenir l’équilibre budgétaire.

Références

Références
1 Soyons provocateur : avec 10 000 salariés en moins entre 2010 et 2021 (selon les Échos) sur 156 000, les caisses d’assurance maladie ont intégré 7 millions d’assurés en plus (indépendants et étudiants) : car depuis l’invention de la Carte Vitale, d’énormes gains de productivité ont été engrangés, puisque 96 % des feuilles de soin sont transmises électroniquement.
2 Je ne détaille pas les mécanismes budgétaires différents entre un crédit d’impôt, qui est un manque à gagner pour l’État, et les programmes budgétaires type Mires : l’enjeu n’est pas technique mais politique.
3 soit un coût moyen de 120 000€…
4 A l’automne 2023, LR souhaitait “recentrer cette dépense fiscale sur les activités industrielles et les petites et moyennes entreprises (PME)” , avec un gain de 2Mds€ mais que LR ne proposait évidemment pas de réattribuer à l’ESR ! Quant au PS, son contre-budget oubliait tout simplement le CIR…
5 Dont j’ai souvent abordé les effets délétères de la multiplication d’appels à projets sur des sujets qui devraient être financés par des crédits de base.

2 Responses to “7Mds€ du crédit-impôt recherche : qui osera dire stop ?”

  1. Encore un excellent papier de JMichel Catin., informé, sans polémique inutile ( on aime toufefois beaucoup ses coups de griffes drôles et pertinents). Je vais décidément passer pour le président de son fan club (et alors?). Ses pistes de réflexion ouvrent une vraie perspective pou l’ESR
    Alain Fuchs

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